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Retraites : les vraies (et peu avouables) raisons du recours au 49-3
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Passage en force

Vincent Tournier revient sur le choix du gouvernement de recourir au 49-3 dans le cadre de la réforme des retraites.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Pourquoi le premier ministre a-t-il finalement décidé d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution sur la réforme des retraites, en sachant que ce choix a un coût puisqu’il risque de radicaliser les opposants ? Et question subsidiaire : pourquoi a-t-il décidé de le faire 15 jours avant les élections municipales ? 

Les vraies raisons de ce choix n’ont pas été clairement exposées. Ce manque d’explication est compréhensible de la part du gouvernement car celui-ci n’a aucune raison de dévoiler les motifs de son action. En revanche, un tel silence est beaucoup plus problématique de la part des médias, lesquels se sont contentés de colporter la communication officielle du premier ministre. 

A quoi sert le 49-3 ? D’abord à faire taire sa majorité

L’article 49-3 permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte. Il permet donc de faire adopter une loi sans vote, la seule alternative laissée aux députés étant d’adopter une motion de censure. Le 49-3 est donc une forme de chantage : soit vous acceptez mon texte, soit vous renversez le gouvernement. 

En disant cela, on comprend quelle est la véritable nature du 49.3. Un gouvernement qui dispose d’une solide majorité à l’Assemblée n’a aucun besoin de recourir à cet article. En revanche, le problème se pose lorsque la majorité s’effiloche. Dans ce cas, le 49-3 est très utile. Il sert à siffler la fin de la récréation en sommant les dissidents de rentrer dans le rang.

Telle est bien le principe fondamental du 49.3 : ce dispositif n’est pas destiné à faire taire l’opposition parlementaire, mais à faire taire sa propre majorité. C’est ce que montre toute l’histoire du 49-3. Chaque fois que l’article 49-3 a été utilisé, c’est parce que la majorité est faible ou divisée, et qu’une partie de ses députés menace de ne pas soutenir le gouvernement. L’argument de l’obstruction parlementaire n’est qu’un alibi car la Constitution de la Vème République donne suffisamment de moyens à la majorité pour museler l’opposition. Mais encore faut-il que la majorité soit unie, ce qui est bien le problème ici.

Quand les élections municipales menacent la majorité

Quel est le lien avec les municipales ? Il n’est pas nécessaire d’être un grand clerc pour comprendre ce qui se joue. Les candidats En Marche sont actuellement dans une très mauvaise posture. Ils savent que le président et son gouvernement sont impopulaires et, surtout, que la réforme des retraites passe très mal auprès des électeurs. Une partie des députés macronistes plaident pour des aménagements, notamment sur l’âge pivot. La grogne interne est telle que le président a été contraint d’intervenir en personne pour sommer sa majorité d’aller « vendre la réforme ». Mais localement, les candidats du parti présidentiel sont confrontés à un cruel dilemme : soit ils soutiennent le projet du président, et ils se suicident électoralement, soit ils essaient de sauver les meubles, et dans ce cas ils doivent prendre leur distance avec la réforme. 

Les élections municipales créent ainsi une redoutable force centripète, au point de menacer d’implosion le parti présidentiel. L’avenir d’Edouard Philippe lui-même est en jeu : quelle serait sa crédibilité si la fronde au sein de la majorité prenait de l’ampleur ? Pourrait-il se maintenir si les seuls candidats qui parviennent à obtenir un bon score aux municipales sont ceux qui ont critiqué la réforme des retraites ? 

C’est cette dynamique d’éclatement que le président et le premier ministre ont voulu casser. Il était impératif pour eux d’arrêter cette sécession par le bas. En recourant au 49-3, le gouvernement veut forcer la main des dissidents. Ces derniers n’ont désormais plus le choix : ils doivent accepter la réforme, ce qui explique pourquoi certains députés LREM se sont sentis pris en otage par la menace du 49-3, certains allant jusqu’à signer une tribune contre son utilisation. Depuis l’annonce du 49-3, un sénateur vient d’annoncer qu’il quittait LREM

Pour autant, maintenant que la décision est prise, un certain soulagement s’est emparé de la majorité. Les candidats macronistes aux municipales peuvent espérer tourner la page. Ils vont pouvoir expliquer aux électeurs que, même s’ils ne sont pas très chauds pour cette réforme, le texte a été adopté et qu’ils ne peuvent plus rien faire. Ils ne vont plus être tenus de faire des contorsions entre le soutien au président et l’opposition à la réforme.

Dans cette stratégie, l’argument de l’obstruction parlementaire n’est qu’un écran de fumée. En accusant l’opposition d’empêcher le débat, le gouvernement masque habilement les véritables raisons du recours au 49-3, à savoir une opération destinée à sauver sa propre majorité. Que le gouvernement mente sur ses motivations est assez logique, d’autant que ce n’est ni la première fois ni la dernière qu’il joue avec la vérité (le summum ayant sans doute été atteint par Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement qui, pour écarter l’option d’un référendum, a expliqué très sérieusement qu’il faudrait organiser 65 référendums, un pour chacun des 65 articles de la loi, même si elle a tenté ensuite de démentir son propos. Le plus intrigant reste l’attitude des médias, qui se sont globalement contentés de reprendre l’argument gouvernemental sur la nécessité d’interrompre l’obstruction parlementaire. Un tel suivisme, dont on admettra qu’il facilite grandement la communication du gouvernement, ne cesse d’interroger : est-il lié à un manque d’audace ou simplement à un manque de culture politique ? Peut-être un peu les deux.  

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