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Coronavirus : quand la nature se remet à nous faire peur
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Pandémie

L'arrivée du Corona virus a mis un frein aux discours populaires prônant un retour à la nature, en rappelant au monde qu'elle demeure sauvage et bien souvent dangereuse.

Frédéric Keck

Frédéric Keck

Directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, Frédéric Keck a étudié la philosophie à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Université Lille III, et l’anthropologie à l’Université de Californie Berkeley. Il a publié un ensemble de travaux sur l’histoire de l’anthropologie française dans ses relations avec la philosophie (Comte, Lévy-Bruhl, Durkheim, Bergson, Lévi-Strauss). Il est lauréat de la Fondation Fyssen en 2007, médaillé de bronze du CNRS en 2011, fellow du Canadian Institute for Advanced Research en 2015. Il a dirigé le département de la recherche et de l'enseignement du musée du quai Branly entre 2014 et 2018.

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L'un des premiers rapports qui évolue dans ce contexte est peut-être celui avec les animaux. Le virus vient cette fois des chauves souris, est-ce propre à la société chinoise ? Ou est-ce un phénomène plus global ? 

Frédéric Keck: Depuis la crise du SRAS en 2003, les virologues se sont rendu compte qu’un grand nombre de virus émergent chez les chauve-souris, parce que ces mammifères ont développé un système immunitaire qui leur permet de résister à une grande diversité de virus, et parce qu’elles échangent leurs virus entre espèces dans les colonies où elles vivent de façon grégaire. On a observé des phénomènes similaires avec les virus Nipa en Malaise, Hendra en Australie et Ebola en Afrique. Il n’y a pas de tradition de consommation de chauve-souris en Chine, alors qu’il y en a en Indonésie, en Papouasie et chez les Aborigènes d’Australie. Mais les chauve-souris se rapprochent des villes à cause de la déforestation qui détruit leurs habitats. Avec la tradition des marchés d’animaux en centre ville, la Chine est exposée à ces nouveaux virus qui vont des forêts vers les villes. Comme la grippe aviaire, transmise des oiseaux sauvages aux volailles domestiques, les coronavirus portés par les chauve-souris rappellent aux habitants des villes leur vulnérabilité aux maladies qui viennent du monde sauvage. Ce n’est pas le monde sauvage qui est dangereux, c’est plutôt que nous avons cessé de vivre à son contact, alors qu’il se rapproche de nous par nos pratiques urbaines. On constate le même phénomène avec la maladie de Lyme qui est portée par les tiques dans les forêts, mais qui touche surtout les néo-ruraux ou les promeneurs occasionnels en forêt.

Le développement des virus et bactéries dans la nature doit-il être surveillé au même titre que le terrorisme ?

En 2003, un grand nombre de virologues, notamment aux Etats-Unis, ont dit que « la nature est la plus grande menace bioterroriste ». Ils voulaient dire que plutôt que d’investir des milliards de dollars dans des stocks de vaccin et dans les exercices de simulation contre des virus connus mais potentiellement utilisés par les terroristes, comme l’anthrax ou la variole, il valait mieux surveiller les mutations des virus de grippe ou des coronavirus dans la nature, en prélevant régulièrement des échantillons chez les oiseaux sauvages et les chauve-souris, ce qui demande également un grand investissement. Cette technique de détection des signaux d’alerte précoce par des sentinelles animales a bien marché au début de la crise du Covid-19, car on a très vite identifié les analogies entre le nouveau coronavirus qui se transmettait autour du marché aux animaux de Wuhan et un virus séquencé en 2018 sur une chauve-souris. Mais les autorités chinoises ont ensuite perdu trois semaines dans le contrôle de l’épidémie car elles n’ont pas écouté les médecins lanceurs d’alerte. Il n’y a donc aucun fondement aux rumeurs selon lesquelles ce nouveau coronavirus aurait été fabriqué ou se serait échappé du laboratoire de Wuhan qui a permis de l’identifier. En revanche, il y a bien dans les médias un traitement analogue des foyers d’infection et des attaques terroristes : on compte les cas, on remonte à un premier cas obscur, on suit les mutations silencieuses du virus avant qu’il n’éclate. Le même terme, « outbreak", est utilisé en anglais pour désigner un foyer infectieux et une attaque terroriste. Ce qui est commun à ces deux phénomènes, c’est qu’ils sont imprévisibles alors que leurs conséquences politiques et économiques sont catastrophiques, au-delà du nombre de morts réelles. C’est pourquoi le terrorisme et l’épidémie font partie de notre imaginaire de la nature dans une économie mondialisée où les marchandises et les personnes circulent de plus en plus vite. 

D'ou provient la peur "virale" de cette pandémie ? Est-ce dû à notre façon de communiquer autour de celle-ci ? 

Le virus est un morceau d’information qui cherche à se répliquer en détournant les mécanismes de reproduction d’une cellule (le terme en anglais est « hijack », comme pour une prise d'otage). Les informations sur les épidémies circulent elles-mêmes de façon virale : avant de les confronter à la réalité, on les diffuse sur les réseaux sociaux, et elles produisent une nouvelle réalité économique, celle de l’arrêt de l’activité par peur de l’épidémie. Les virus biologiques croisent les virus informatiques dans ce nouvel imaginaire de la nature comme un ensemble d’informations qui se répliquent de façon très rapide avec des conséquences imprévisibles. Nous avons du mal à imaginer la transmission d’un virus par la consommation d’un animal qui a été en contact avec une chauve-souris, sinon par les fictions du cinéma hollywoodien, mais nous pouvons imaginer un virus envoyé par un pirate informatique parce que nous en recevons tous les jours et nous savons comment nous en protéger. Mais nous risquons alors de consommer de l’information numérique virale qui nous rendra plus malades que la virilité biologique. C’est pourquoi il est important de maintenir dans la transmission de l’information des institutions qui jouent le même rôle que les cellules sentinelles dans le système immunitaire ou que les animaux sentinelles dans un écosystème. Les journalistes peuvent être des sentinelles des pandémies s’ils transmettent les bonnes informations permettant aux humains de se maintenir à bonne distance des animaux et des virus qu’ils leur transmettent. 

Retrouvez ici le prochain livre de Frédéric Keck "Les sentienlles des pandémies" à paraitre chez ZS. 

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