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Chasse aux ex-LR "trop conservateurs" : le pari politique risqué des LREM à Paris
©Thomas SAMSON / AFP

Tri sélectif

Des candidats LREM seraient rattrapés par leurs positions anti-PMA ou sur le mariage gay dans le cadre des candidatures du parti de la majorité aux élections municipales. L’élu Jérôme Dubus, à qui étaient reprochées ses positions contre le mariage pour tous, a notamment retiré sa candidature lundi.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Jérôme Dubus, ancien élu et cadre des Républicains, a renoncé à sa candidature sous l'étiquette LREM pour les municipales à Paris. La cause, ses positions anti-mariage pour tous en 2013. D'autres élus, ancien LR, pourrait être concernés, notamment en raison de leurs positions contre la PMA ou la GPA. 

Quel est l'objectif du parti présidentiel en rompant avec ces élus qui, sur d'autres sujets, correspondent pourtant à la ligne défendue par LREM ? 

Christophe Bouillaud : Il me semble qu’il s’agit de bien affirmer auprès de l’électorat parisien la nature « libérale-libertaire » du parti présidentiel. Par « libéral-libertaire », j’entends l’acceptation à la fois du libéralisme en matière économique et du libéralisme en matière de mœurs. Ce n’est donc pas illogique de mettre en dehors des listes de LREM des personnalités qui se sont opposées aux évolutions en matière de « mariage pour tous », de PMA ou de GPA. Pour la famille des partis libéraux auxquels appartient LREM officiellement depuis les élections européennes de 2019, avec la création du groupe « Renew » au sein du Parlement européen, les droits et libertés individuelles en matière de sexualité et de reproduction, et plus généralement en ce qui concerne tout ce qui concerne la vie personnelle des individus, doivent être maximisés, et  ces droits ou libertés ne doivent pas tenir compte de la morale traditionnelle défendue au contraire par les conservateurs au nom de la « nature humaine » ou d’une injonction divine.

Cette division entre conservateurs et libéraux sur le front de mœurs admissibles par la loi de l’Etat retranscrit en politique l’existence d’identités sociologiques fortes, par exemple sur l’homosexualité. Pour résumer et pour caricaturer un peu mon propos, LREM ne peut pas avoir à la fois les votes des homosexuels pratiquants et des catholiques pratiquants. Ce choix est donc tout à fait logique. En excluant ces quelques élus trop conservateurs à ses yeux, la nouvelle candidate de LREM rend en fait sa candidature plus cohérente auprès de l’électorat qu’elle entend mobiliser : les Parisiens riches, optimistes, éduqués, libéraux en matière d’argent et en matière de mœurs. Il faut bien noter que ces exclusions sont, après l’abandon d’un certain nombre de projets de B. Griveaux, dont la très ridicule idée de déplacer la Gare de l’Est, un signe du recadrage opéré par LREM pour sauver ses chances de conquérir la mairie de la capitale. 

Le fait de vouloir se dissocier des Républicains à Paris ne va-t-il pas à l'encontre de la stratégie globale d'Emmanuel Macron de "destruction" de l'aile droite du spectre politique français ? 

Non, il faut distinguer les élections, et séquencer les choses. Effectivement, le but stratégique d’Emmanuel Macron est d’absorber complètement l’électorat de la droite dite « républicaine ». Cela lui a plutôt réussi aux élections européennes, et, à Paris même, il est bien évident qu’une bonne part de l’électorat de droite a convergé sur la liste mené par Nathalie Loiseau pour éviter que le RN n’arrive en tête de ce scrutin national. 

Ici, nous sommes dans une élection municipale. La droite républicaine a visiblement trouvé sa candidate dans la personne de Rachida Dati. Il n’y a donc plus grand-chose à récupérer de ce côté-là. Il faut donc se positionner au centre sur une ligne « libérale-libertaire », comme je viens de l’expliquer, pour éviter en plus la concurrence de la dissidence Villani. Ce positionnement permettra peut-être, vue la sociologie parisienne, complètement axée sur les CSP+, de gagner la mairie, ou tout au moins de ne pas être humilié comme menaçait de l’être Benjamin Griveaux. Un bon score de Madame Buyzin permettrait en effet au moins de démontrer que LREM dispose d’une vraie base électorale dans la capitale après deux ans aux affaires du pays. Cela serait au moins une victoire sur le plan du symbole. 

Cette stratégie d’affirmation en 2020 d’une représentation d’un électorat « libéral-libertaire »,  n’empêchera pas ensuite lors de l’élection présidentielle de 2022  Emmanuel Macron de rejouer la partition du « moi ou le chaos », du « parti de l’ordre » pour user d’une vieille référence, qui a séduit l’électorat de droite aux européennes de 2019.  Tout dépendra en réalité de l’existence ou non d’un candidat de droite crédible permettant d’offrir une alternative à Emmanuel Macron comme opposant aux populismes de droite ou de gauche, donc d’un challenger cherchant lui aussi à représenter le « parti de l’ordre ». 

N'est-ce pas là un piège dans lequel LREM risque de s'enfermer ? 

Non, parce que maintenant, ce qui compte, c’est de gagner ou pas ces élections « imperdables » pour LREM  à Paris. En effet, normalement, vu la sociologie parisienne complètement orientée CSP+, vu les scores d’Emmanuel Macron en 2017 et de la liste LREM en 2019 aux européennes, il y a vraiment une opportunité pour le « parti des gagnants de la mondialisation » d’être à la tête de la ville où ces derniers sont surreprésentés par rapport au reste de l’espace français. Il faut donc pour LREM jouer à fond la possibilité de diriger la capitale – et aussi quelques autres métropoles régionales, comme bien sûr Lyon, où là le sortant G. Collomb se trouve être l’un des fondateurs de LREM. C’est donc une pure logique de fiefs et de crédibilité politique pour LREM. Ce n’est pas un enfermement, mais une nécessité de gouverner les villes là où son électorat potentiel est le plus présent. 

Il faut noter en passant que tous les partis en lice auront à subir cette épreuve : gagner ou non ces élections municipales en certains lieux et pas dans d’autres définit au final l’identité réelle du parti. C’est là un gros enjeu pour EELV ou pour le RN, tout comme pour le PS, le Modem, le PCF, ou LR. En dehors de LREM, qui semble il est vrai assez mal parti,  il est bien possible que l’autre grand perdant de ces municipales soit d’ailleurs FI, largement en raison de sa rupture avec le reste de la gauche.  

Paris vaut-il donc tant que cela ?

Il faut distinguer deux plans, celui symbolique et celui purement administratif. 

Du point de vue purement administratif, la mairie de Paris est certes importante. Elle gère une administration nombreuse et bien spécifique par son statut, il s’agit en effet d’une commune qui est aussi un département par ailleurs. Mais ce ne sont là tout de même que 2 millions d’habitants parmi 68 millions de Français, et surtout, la ville de Paris, comme toutes les autres communes de France, est désormais prise dans un empilement de structures administratives (dont bien sûr la Région Ile-de-France) qui détermine largement les politiques publiques locales qui s’y déroulent – sans compter bien sûr le rôle de l’Etat. Le maire de Paris et sa majorité sont donc très loin de décider tout ce qui concerne la vie quotidienne des Parisiens. Le maire d’une petite commune rurale a probablement en pratique plus d’autonomie décisionnelle que le futur maire de Paris. 

Du point de vue symbolique, en raison de l’histoire de France depuis 1789 et plus récemment du rôle qu’a joué le contrôle de la mairie de Paris pour Jacques Chirac, devenu ensuite Président de la République, il reste que cette bataille pour la mairie de Paris comporte une très forte charge symbolique. Comme provincial, je suis certes exaspéré par la place disproportionnée que prend la campagne parisienne dans le compte-rendu médiatique de la campagne des municipales, mais comme analyste, je dois reconnaître le poids symbolique du contrôle de l’Hôtel de ville de Paris par un camp ou par un autre. Ce poids m’apparait d’autant plus symbolique que l’agglomération parisienne est désormais bien plus large et diverse que la seule ville de Paris « intra-muros ». Cette dernière avec son territoire qui n’a plus été redéfini depuis le XIXème siècle, contrairement à d’autres grandes capitales européennes (Berlin, Londres par exemple), est un complet archaïsme, mais, pourtant, cet archaïsme compte à plein dans la vie politique française. Cette illusion partagée par la plupart des partis et des commentateurs en dit aussi long sur l’incapacité de notre pays à se doter de structures administratives en accord avec les réalités socio-économiques de ce début du XXIème siècle. Mais c’est là un autre sujet. 

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