Benjamin Griveaux ou les infortunes de la vertu (publique)

Atlantico : Le nom de Benjamin Griveaux s’ajoute à une longue liste de victimes des réseaux sociaux et d’internet. Ce nouveau cas à de quoi interroger sur l'utilisation d'applications sur smartphones : effectivement, nous sommes tous susceptibles de voir afficher sur la toile nos discussions, photos et vidéos. Qu’est-ce-que cela révèle de notre société ? 

Yves Michaud : 

Cela révèle surtout quelque chose sur la technique. Elle nous facilite la vie et nous procure des opportunités de toutes sortes (communication, information, positionnement, alerte, drague) mais nous expose autant qu’elle nous avantage. Quiconque utilise un smartphone est automatiquement suivi dans tous ses déplacements.Quiconque utilise les applications de base laisse des traces qui permettent de tout connaître de sa vie. Et c’est donnant donnant : on ne peut pas avoir les avantages sans les inconvénients. Si M. Griveaux avait fait ses affaires de sexe sur le navigateur Tor, il aurait été bien plus à l’abri mais il aurait été contraint d’aller sur le Darkweb et c’eut été tout aussi dangereux. En plus il aurait eu plus de mal à transmettre vite vite ses fantasmes et il aurait eu moins de temps pour sa campagne électorale. L’anonymat coûte cher au moins en temps.

Il y a deux conclusions à en tirer :

1) si vous ne voulez pas être trop vulnérable, n’ayez pas de téléphone, n’allez jamais sur un réseau social. Encore mieux, allez sur une île déserte – mais comme vous y serez seul, il y a des chances que ça éveille les soupçons.

2) si vous utilisez les moyens techniques à la page, soyez à peu près honnête. J’ai été moi-même victime d’un hacking d’ordinateur en provenance de la famille d’un éminent membre du MEDEF et de la Françafrique, mais ces honnêtes gens, bien qu’ayant siphonné toutes mes données, n’ont pas trouvé grand-chose et en ont été pour leurs frais (camionnette en bas de chez moi pour capter le wifi, casser le code, et ensuite travail sur les données).

Combien d'entre-nous ont en leur possession des images ou discussions qu'ils souhaitent garder intime... En partant du principe que nous sommes tous des cibles potentielles, comment expliquer la volonté de certains de nuire à l’image d’autrui ?

Yves Michaud : 

La basse politique a toujours été une ressource éminente en politique. Là où il y a politique il y a aussi des traîtres, des espions, des diffamateurs, des arsouilles et des escrocs – pas tous mais certains.Saint-Simon sous Louis XIV écrit des lettres cryptées à certains correspondants pour ne pas se retrouver à la Bastille et le cabinet du roi lisait tout ce qu’il pouvait intercepter. Pareil sous Napoléon et Fouché. Le respect de la vie privée est quelque chose de récent et, à mon avis, de temporaire dès lors qu’il y a des moyens techniques inédits. J’ai été un des premiers usagers de gmail (Google) en 2004, mais je prévenais tous les gens auxquels je recommandais ce service que, s’il était remarquablement performant, il fallait aussi être conscient que la CIA lisait tous nos mails…Dans le cas de Griveaux, il faut aussi noter que ce personnage  fort peu sympathique a méprisé, dénoncé et insulté tant de monde dans tous les partis qu’il aurait du se douter qu’un jour ou l’autre il lui arriverait des bricoles, par exemple pour la Saint-Valentin, qui est aussi le nom d’un massacre du temps d’Al Capone…Ce qui arrive à Griveaux, c’est en fait ce qui arrive dans les couples où il y a tromperie, dans les affaires de banditisme et de trafic, dans la vie professionnelle quand il y a dénigrement commercial. C’est juste que les moyens sont aujourd’hui beaucoup plus pratiques et efficaces. Avant il y avait les lettres anonymes, maintenant il y a twitter.Encore une fois il y a deux remèdes : ne pas communiquer ou être peu attaquable.

 Peut-on échapper à cette surexposition permanente ? Benjamin Griveaux, et toutes les autres victimes, pouvaient-ils éviter ces diffusions ? Est-il si facile de devenir - malgré nous - à notre tour des Benjamin Griveaux en un clic ?  

Yves Michaud : 

Outre les moyens que j’ai recommandés (abstention et honnêteté), il y a d’autres solutions, pas forcément inattaquables mais qui peuvent au moins calmer les situations. D’abord beaucoup de politiciens, people, personnalités mettent en scène leur vie privée en mentant comme des arracheurs de dents sur la réalité de cette vie privée. Quand les gens jouent sur Paris-Match la comédie de la bienséance, du bonheur conjugal et de la générosité, qu'ils n'aillent pas se plaindre qu'on pirate leur vie privée pour aller voir ce qu’il en est : ils l'ont mise en scène - en oubliant seulement que leur vraie vie privée n'était pas celle qu'ils font photographier.Ce que je viens d'écrire vaut quasiment pour tous les hommes politiques - Macron compris.Et de même pour Matzneff: le sordide de ses aventures de Manille n'est pas  celui en sucre presque rose des écrits parisiens.Lors de l’affaire Markovic, de Gaulle reprocha à Pompidou non pas les ragots affreux dont sa femme faisait l’objet mais d’avoir exposé cette vie privée dans la jet set de Saint Tropez.Ensuite, on peut aussi faire preuve d’un peu de discrétion et de pudeur, même si on n’est pas totalement blanc. Si vous envoyiez des lettres d'amour, même brûlantes, et non pas des photos de vos organes sexuels, si vous aviez des passions et non pas des pulsions, si vous considériez autrui comme une merveille de bonheur et non comme une décharge pour vos humeurs, vous ne seriez peut-être pas aussi vulnérable ou bien on serait touché de votre sensibilité. Le sexe de Griveaux n’a pas tout à fait cette valeur poétique….Franchement, je ne le plains pas.