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 Bernard-Henri Lévy  : “Les élites n’oublient pas les Français qui souffrent mais les Français, eux, oublient souvent ceux qui souffrent ailleurs dans le monde”
©Reuters

Entretien avec ...

A l'occasion du lancement d'une série pour Paris Match sur les "Guerres où se jouent notre destin", Bernard Henri Lévy s'est entretenu en exlusivité avec Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication d'Atlantico.fr.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Bernard-Henri Lévy

Bernard-Henri Lévy

Philosophe de renom, Bernard-Henri Lévy est à la fois écrivain, cinéaste, essayiste et éditorialiste.

Politiquement engagé, il s'est exprimé notamment sur le conflit au Kosovo ou sur la guerre en Irak.

Il a signé le 16 mars 2011 le manifeste intitulé Oui, il faut intervenir en Libye et vite !, rédigé par plusieurs intellectuels et publié dans Le Monde.

Son dernier ouvrage, L'esprit du judaïsme est sorti aux éditions Grasset. Il a réalisé le documentaire Peshmerga, sorti dans les salles en mai 2016. 

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Jean-Sébastien Ferjou : Pourquoi reprendre votre bâton de pèlerin et vous lancer dans cette série pour Match sur « les guerres où se jouent notre destin » ? Avec le recul que peuvent vous donner les nombreux engagements qui ont été les vôtres, croyez-vous encore à la possibilité pour des lanceurs d'alerte de rendre le monde meilleur ? 

Bernard-Henri Lévy : Je ne crois qu’à cela. Je cesserais d’écrire si je n’avais pas le sentiment que le monde, en effet, peut être rendu meilleur. Enfin, je ne sais pas si « meilleur » est le bon mot. Disons : réparer le monde. La tradition juive a un mot pour cela, un beau mot : le « tikoun olam », la réparation du monde. Les hommes ne sont pas là pour révolutionner le monde, le faire vaciller sur ses bases, le reprendre à zéro – mais le réparer, oui.

Pourquoi Paris-Match ?

Bernard-Henri Lévy : Parce que c’est un grand magazine. On ne s’en rend pas toujours compte, mais c’est même une sorte d’exception française. La plupart des magazines de ce genre, en Europe, disparaissent. Lui, Paris Match demeure. Et, faisant le bouclage, avec eux, chaque semaine depuis qu’a commencé cette série, je peux vous dire que c’est une équipe assez incroyable – à l’ancienne, mais incroyable ! Bref, Match, ça me plaît bien. J’ai fait, il y a très exactement vingt ans, une autre série de reportages du même genre. A l’époque, c’était pour Le Monde de Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel. C’est eux qui m’avaient recruté pour une série de même ampleur, mais sur les guerre oubliées. Là, ce n’est pas exactement des guerres oubliées. C’est des guerres pivotales, qui peuvent incendier le monde et le faire exploser. Et puis l’autre différence c’est que j’ai eu envie, cette fois, qu’il y ait aussi des photos. Et j’ai même convaincu mon vieux compagnon, Gilles Hertzog, de se mettre à la photo et de faire les images. Il le fait. Et c’est formidable. 

Il vous a beaucoup été reproché d'avoir été à l'origine de la guerre en Libye en alertant sur la situation dans le pays en 2011. Si vous avez déjà répondu sur le fait que ce type de commentaires oublie de prendre en compte les massacres qu'aurait de toute façon connu la Libye sans intervention des Occidentaux, le referiez-vous à l'identique ?

Bernard-Henri Lévy : A l’identique, oui. Pas l’ombre d’un regret. Car c’était ça ou une deuxième Syrie. D’ailleurs, je compte bien revenir en Libye. A l’occasion de cette série pour Match ou autrement. Mais j’y retournerai. Et j’expliquerai pourquoi Nicolas Sarkozy, à l’époque, a fait une chose extraordinairement honorable et dont je lui suis, personnellement, reconnaissant.

Mais faites-vous confiance aux gouvernements occidentaux pour aller au bout des actions qu'ils entreprennent lorsqu'ils déclenchent des interventions militaires ? Le néo-conservatisme ou l'intervention au nom de nos valeurs sont une chose dans la théorie, ils en sont une autre dans la pratique...

D’abord, je n’appelle pas ça « néo-conservatisme ». Pour moi, c’est de l’internationalisme. C’est le sens de la fraternité bien compris. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde persiste à parler de « néo-conservatisme »… Après, est-ce que les gouvernements font leur boulot pour aller au bout ? Ca, c’est une autre histoire. Et la réponse est non. Et cela pour une raison très simple. C’est qu’on est entrés dans une époque terrifiante de repli sur soi, de dureté, d’indifférence aux malheurs des autres, de nationalisme étriqué et glauque. C’est comme ça. Et c’est, aussi, pour lutter contre ça que je suis reparti sur les routes du monde.   

Qu'avez-vous envie de répondre à ceux qui se diraient que Bernard-Henri Lévy préfère les douleurs lointaines aux angoisses proches ?

Ils pensent ce qu’ils veulent. Mais ils se trompent. J’ai un bloc-notes hebdomadaire dans Le Point qui est mon vrai port d’attache, ma vraie maison journalistique et où je m’exprime, plus souvent qu’à mon tour, depuis plus de 25 ans maintenant, sur les « angoisses proches ».

Même s'il serait à la fois absurde et odieux de considérer que la France est en guerre ou en passe de devenir un régime autoritaire, avez-vous jamais envisagé d'aller sur les lignes de fractures de l'Hexagone ? A la rencontre des Français qui souffrent ou que l'Etat ou les "élites" tendent à oublier?

Je ne crois pas que l’Etat ou les élites « oublient » les Français dont vous parlez. C’est un mythe. Et, comme tous les mythes, il est faux. Les Français, en revanche, oublient les Somaliens, les Ukrainiens, les chrétiens du Nigéria, ça, c’est sûr. Je rentre de Mogadiscio : avez-vous vu, dans un grand media français, un reportage sur Mogadiscio ? Les Chrétiens du Nigeria : il y a eu une polémique sur la question de savoir si la situation était pré génocidaire ou non – mais qui, avant mon reportage, évoquait même la question ? Et puis, cette semaine, le Donbass : quel est le journal qui a pris le temps d’envoyer quelqu’un parcourir les 400 kilomètres de ligne de front qui séparent l’armée ukrainienne des séparatistes prorusses ?  

Les Gilets jaunes, avec leurs mille défauts sont-ils moins fréquentables que certains des groupes étrangers que vous avez soutenu et qui avaient leurs propres défauts même en étant victimes de pires qu'eux ?  

Bien sûr que non ! Mais j’ai un principe simple. Il faut, quand on le peut, faire ce qu’on est peu à pouvoir faire. Les Gilets Jaunes, tout le monde en parle, tout le monde s’en occupe, tout le monde est pour ou est contre. En revanche, je vous le répète : les Kurdes qui se battent pour nous contre Daech, nous sommes une poignée à nous y coller et à en parler. Et pareil, je vous le répète, pour ces Européens des confins que sont les Ukrainiens et qui sont notre rempart, au fond, contre Poutine.

Oui. Le dernier reportage de votre série dans Paris Match est sur l’Ukraine et sur la guerre du Donbass que vous qualifiez, avec ses 13 000 morts, de "guerre oubliée des Occidentaux" et de "tragédie au goutte-à-goutte". Au-delà de votre récit sur les violences ou les difficultés du quotidien subies par les populations locales (une nouvelle "guerre de tranchées" écrivez-vous), vous décrivez un président ukrainien porte-drapeau des valeurs européennes face à la puissance eurasiatique qu'entend incarner Vladimir Poutine. La situation est-elle vraiment celle d'un affrontement entre de "purs gentils" et de "purs méchants"? 

Evidemment non. Il y a des Russes formidables qui incarnent le meilleur de la civilisation de Pouchkine, Tchekov et Soljenitsyne. Et il y a des Ukrainiens détestables qui n’ont pas encore fait le deuil de l’antisémitisme féroce qui fut celui de leurs ancêtres. Mais la géopolitique, ça existe. Le fait que Poutine ait un projet géopolitique alternatif à celui de l’Europe, c’est un fait. Le fait que ce projet soit, non seulement alternatif, mais agressif, intrusif, invasif, le fait que Poutine teste en permanence notre capacité de résistance, le fait qu’il interfère dans nos élections, le fait qu’il finance Le Pen et tous les partis d’extrême-droite  européens, tout cela est incontestable. Et, face à ça, l’Ukraine, oui, porte le drapeau des valeurs européennes.

L’Europe, déjà passablement affaiblie par le Brexit et par la montée des populismes ou des démocraties illibérales, doit-elle et peut-elle faire plus ? 

En soutien à l’Ukraine ? Oui. Beaucoup plus. Je suis même partisan, personnellement, de lui donner le siège de la Turquie à l’OTAN.

Le président ukrainien que vous avez rencontré et dont vous considérez qu'il réussit plutôt bien son mandat était avant son élection un acteur sans expérience politique. 

C’est vrai. Et il y a une scène, que je raconte dans Match, qui m’a particulièrement frappé. Nous arrivons, avec Hertzog et Roussel, mon autre photographe, du front. Nous sommes boueux. Fatigués. Et nous lui apportons, dans son bureau, des phoros de ces 400 kilomètres de tranchées que nous venons de parcourir. Zelensky regarde les photos. Il est rêveur. Il s’attarde sur certaines. Revient sur certaines autres. Et, sans qu’on ait besoin de rien lui dire, il reconnaît la plupart des lieux et même des officiers. C’est Coluche devenu commandant en chef. Et ce n’est pas si mal !

Alors que l'hypothèse d'un candidat surprise venant troubler le scénario d'un match retour Macron Le Pen a fait les titres cette semaine en France, l'exemple ukrainien devrait-il contre toute attente nous inspirer : face à la déshérence de la classe politique et à la difficulté d'Emmanuel Macron de porter la promesse sur laquelle il s'est fait élire, un candidat venu de nulle part pourrait-il être un recours à vos yeux ? 

Je ne souhaite pas, pour ma part, de recours. J’ai voté Macron. Et je ne le regrette pas. Après, qu’on assiste à un big bang politique mondial, que rien de stable ne subsiste sous nos pas, que la planète soit « hors de ses gonds », ça, c’est incontestable !

Que vous inspire l’affaire dont est victime Benjamin Griveaux ?

J’en ai aussitôt dit un mot sur mon compte twitter. L’auteur de cette ignominie est un sycophante misérable. Ceux qui ont partagé sont des lâches. Et ceux qui se réjouissent sont des irresponsables.

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