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Retraites : le Trafalgar d’Emmanuel Macron
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Réforme

Jean-Yves Archer évoque la réforme des retraites et revient sur les difficultés rencontrées par Emmanuel Macron.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le projet de réforme des retraites, conçu de manière approximative, a déjà été dénaturé : il est désormais aussi bancal que complexe à l'infini. Compte-tenu des frustrations sociales engendrées, depuis celles des cheminots aux avocats en passant par les marins-pêcheurs, il va être un sparadrap durable et urticant pour Emmanuel Macron. Une sorte de bourbier à fort retentissement électoral.

Jamais – d'ici à 2022 – le président Macron ne sortira de son chaudron de l'échec sociétal et social dans laquelle le destin et surtout son obstination stérile l'auront plongé. Sa popularité apparente écornée masque un fort rejet dans les tréfonds de notre Nation et son incompétence à traiter les questions sociales est désormais bien connue. Demandez aux riverains de la gare de Lyon qui ont subi la fin de l'acte 62 des Gilets jaunes dont on ne voit précisément pas la fin ! Quel est ce Pouvoir qui ne réussit pas à apaiser le terrain social depuis plus d'un an malgré une injection de 17 milliards de fonds publics ?

Initialement un projet de réforme des retraites a été concocté dans le secret de bureaux où l'air n'est manifestement guère renouvelé. Puis, du fait des pressions du peuple français et des élus, le projet a été modifié. Alors, les forces vives directement concernées sont entrées en jeu et ont contraint le Pouvoir à bouleverser son projet : je parle ici des professions et non des diverses postures syndicales. Nous connaissons tous le résultat : si cette funeste mascarade aboutit, la France sera dotée d'un régime universel dénaturé par des dérogations multiples. Les régimes spéciaux seront devenus spécifiques au terme d'une palabre spécieuse.

On aura donc inventé le passage d'un régime qui avait fait ses preuves à un objet bizarre où les exceptions ( militaires, pompiers, policiers, contrôleurs aériens, marins-pêcheurs, etc ) le disputeront au concept magique, plus que sérieusement crédible, d'universalité.

Ce qui était, en 2017, un propos de campagne électorale destiné à séduire quelques bobos de gauche amoureux du système par points va déboucher sur une horreur économique.

Pardon pour cette évidence, mais qui dit retraites dit questions de financement. Or, le président Macron ne voit pas de problème institutionnel à proposer que le Parlement délibère – fin Février – sans production préalable d'une véritable étude d'impact. Il sera par conséquent demandé, en procédure accélérée, au Parlement de voter un texte crucial sans en connaître les modalités précises de l'équilibre financier. Du jamais vu !

A cet égard, la lecture du projet de Loi est stupéfiante. Maintenant, on y voit clair et nos craintes – qui forment notre rejet de ce projet – sont fondées. L'Exécutif avait bel et bien pour plan d'équilibrer le nouveau régime de retraite par une captation du contenu des caisses autonomes ( avocats, etc ) incluant les 70 milliards de réserves de l'AGIRC-ARRCO. Donc, en bon franglais, il s'agit d'une spoliation King size de ressources privées issues d'appels de cotisations à valeur prudentielle pour participer autoritairement au financement des déficits publics structurels. 

Les caisses tenues par des fourmis devraient payer pour des déséquilibres démographiques et des avantages exorbitants hérités d'un autre âge.

Pour l'heure, chacun a compris deux premiers points d'ancrage. Le premier est né d'un rapport de force et de près de 50 jours de grève – qui auront coûté un peu plus d'un milliard au secteur public ferroviaire et près de 1,5 milliard au secteur privé – et concerne la non-dissolution des régimes spéciaux. Des arrangements de coins de table avec la SNCF et la RATP éloignent du projet initial d'éradication pure et simple de certains avantages acquis désormais abusifs. Tout n'était pas à briser dans les régimes spéciaux mais de là à continuer à assurer leur prospérité sur le dos des Finances publiques, il y a plus qu'une marge.

Deuxième point d'ancrage, malgré les silences de ce " cher " Monsieur Delevoye pendant 18 mois, il a fallu attendre la dernière minute pour réaliser que le changement d'assiette de calcul des retraites ( la carrière pleine par opposition aux actuels 6 derniers mois ) aurait un coût très significatif pour les enseignants. Le prudent et avisé Jean-Michel Blanquer a parlé de 10 milliards sur 10 ans. Désormais, plusieurs experts tablent sur 15 milliards sans même évoquer près de 5 milliards additionnels pour les personnels de la Recherche. Je rappelle, au passage, qu'avec cette seule somme on équilibrait jusqu'à 2030 le régime actuel selon les estimations énoncées par le C.O.R ( Conseil d'orientation des retraites ). 

En clair, avec 15 mds on passait le cap de 2030 en peaufinant une réforme paramétrique socialement appropriée plutôt que de se lancer, à corps perdu, dans une innovation systémique dont les coûts de transition sont prohibitifs.

Mais avec Emmanuel Macron, nous savons désormais qu'il faut toujours plus de ronds…. Ainsi, les légitimes dérogations accordées aux militaires, policiers, pompiers auront un impact de plusieurs milliards. Puis, il y a cette noble promesse de verser a minima 0,85% du SMIC ( soit environ 1.000 Euros ) à tous les retraités ayant une carrière complète.
La CFDT et d'autres demandent que ce minima soit calé sur le montant de 100% du SMIC ce qui augmentera l'ardoise de 2 milliards additionnels.

La légitime revalorisation des retraites servies aux femmes n'explique guère le futur sort des pensions de réversion qui seraient calées sur un plafond de 75% des revenus du couple ce qui est moins avantageux que maintenant.

Arrive alors un serpent de mer – lui aussi légitime mais complexe - : les bonifications résultant de la pénibilité. Là-dessus, aucun accord gravé dans le marbre n'a été atteint à ce jour. Autant dire que le tourniquet du concours Lépine va continuer de fonctionner entre l'État, l'Assemblée, le Sénat et les syndicats.

Pas de chance pour le président Macron, le président Larcher a une compétence indéniable en matière de droit social. Il va être le Monnerville du Général de Gaulle. Sauf qu'Emmanuel Macron n'est pas De Gaulle : on l'aurait vu depuis deux ans et demi que nous subissons ces interjections déplacées et son goût pour l'étatisation : voir le secteur de l'assurance-chômage.
D'ailleurs, la fin prévisible de la future Conférence du financement a de fortes chances de se conclure par une étatisation de la gouvernance du système des retraites et par une détermination autoritaire du montant du point.

Vous croyez que l'État version Macron va se laisser déposséder du pouvoir de " jouer " avec la valeur du point et le confier aux seules forces vives de la Nation ? Évidemment non.
C'est en cela que cette réforme trop compliquée et faussement idyllique est un piège. Elle l'est car trop de données sous-jacentes risquent fort d'être réglées par ordonnances durant l'été 2021.

Sur le plan du schéma d'ensemble, je ne peux adhérer au dispositif gouvernemental qui n'aboutira pas du tout au slogan de la promesse présidentielle initiale : 1 euro servi pour 1 euro cotisé. Sur ce point, le Pouvoir sait déjà qu'il ment.

Ce schéma, s'il aboutit tel que connu à ce jour, va coûter un peu plus de 30 milliards car on ne saurait oublier l'impact du rehaussement des traitements dans les 3 fonctions publiques. Oui, il y a la question hospitalière à résoudre et là, peu se risquent à un chiffrage prévisionnel pas même le Premier ministre.

C'est dire que nous sommes face à une équipe qui a bizarrement élaboré son dossier et que " la mère des réformes " a en fait une drôle de tête.

L'arrogance de la conception du nouveau régime de retraites aboutit à un Rubik's cube qui sera générateur de pressions considérables sur les Finances publiques et sur les cotisations du monde du travail.

Le temps d'aligner toutes les faces du cube, on aura aligné les milliards.

On aurait pu croire que le président Macron serait un bon gestionnaire. Il en avait la formation et l'allure générale. En fait, il a trahi la Nation en différant la réforme de l'État et en laissant filer les déficits.  

Au troisième trimestre de 2019, la dette s'est accrue de 39 milliards d'euros soit la moitié du rendement de tout l'impôt sur le revenu. La trajectoire des Finances publiques n'est nullement respectée.

Cette bassine de dettes pour nos générations futures va s'alourdir de la boîte à claques qu'est la réforme des retraites.

En plus, là où nous sommes un pays formidable, vous savez bien que les principaux – sinon la totalité – des candidats à l'élection présidentielle de 2022 nous proposeront de revenir sur cette réforme.  Alors d'ici là, je ne peux conclure positivement sur cette réforme à valeur de tapage et à perspectives instables.

Tout simplement, car nous savons bien que notre situation économique d'ensemble n'est pas si florissante pour que nous puissions forcer notre Nation à subir une telle destruction de valeurs.

Ultime point largement passé sous silence par le Pouvoir, le coût des migrations informatiques que la réforme va entraîner. Là encore, on parlera en milliards et on ne peut que former le vœu d'avoir plus de succès qu'avec le logiciel de paye des Armées nommé Louvois.

Au total, cette réforme Macron, c'est déjà le début d'un Trafalgar sur le fond et une future gabegie insoutenable au plan financier.

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