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Comment le dieu social s’est installé dans l’inconscient des musulmans
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bonnes feuilles

Malik Bezouh publie "Ils ont trahi Allah" aux éditions de l’Observatoire. En réponse aux tabous mortifères qui gangrènent et condamnent la religion musulmane à terme, Malik Bezouh prône une "théologie islamique de la libération". Aujourd'hui, l'islam est à la croisée des chemins. Extrait 2/2.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Ingénieure franco‑marocaine installée en France depuis une dizaine d’années, Salima, une amie, me raconte, avec une pointe de nostalgie, ses moments de bonheur dans sa ville natale, Fès, la Somptueuse. Que de joie ! L’évocation de souvenirs heureux illumine ses yeux. Puis, brusquement, le ton change. Le visage se ferme. Tel un ciel d’été passant subitement à l’orage, la jeune femme s’est crispée. J’essaie, en évitant l’écueil de l’indiscrétion, d’en savoir plus. Elle peine à parler tandis que la curiosité me tenaille. Las de ronger mon frein, j’ose la questionner sur l’origine de son trouble. Anxieuse et souriante, elle s’abandonne et se livre ; enfin…

Horriblement gênée, ne sachant où fixer son regard, elle me confesse, presque honteuse, qu’à l’approche du mois sacré du ramadan, elle prend des congés afin de venir en France. Intrigué, je lui demande si c’est la chaleur écrasante qui, l’indisposant, la pousse à venir sous des latitudes plus clémentes. Elle me répond alors que c’est le ramadan qu’elle fuit ; elle ne jeûne pas, mais s’y sent obligée à cause de sa famille. Et elle ne supporte plus cette hypocrisie dans laquelle elle s’est enfermée. Or selon le Coran, Allah promet aux « hypocrites », qu’Il hait, les pires afflictions dans l’au‑delà. Aussi préfère‑t‑elle trouver un prétexte « professionnel » lui permettant de venir en France et de « déjeûner » en paix ! 

Désemparé, j’ai alors pensé à ces centaines de milliers ou millions de « Salima » qui, du Maroc au Pakistan, en passant par le Qatar ou l’Iran, sont forcées, par peur de l’esclandre, de s’abstenir de manger durant cette période, dite bénie, du ramadan… 

L’inavouable secret révélé, nous poursuivons notre conversation sur un mode infiniment plus détendu. Elle est comme libérée d’un poids ! Un peu comme si elle s’était confessée. Et c’est sur cette heureuse impression que nous nous sommes salués et quittés. 

Arrivé chez moi, je ne peux m’empêcher de repenser à la détresse de Salima. Pourtant la mienne est encore plus grande. Et pourquoi donc ? Je ne me l’explique pas. Cela me désarçonne d’autant plus. Est‑ce la force du conservatisme religieux, dans les pays du Maghreb, qui me navre ? Et si le problème résidait seulement dans notre incapacité – à nous autres musulmanes et musulmans – à gérer l’altérité ? À moins que la fuite systématique et méthodique, à la veille du mois de jeûne, de mon amie, incapable de faire son coming out religieux, soit un révélateur de mes propres lâchetés ? Autant de questions qui ne peuvent rester lettre morte. Trouver des réponses devient un leitmotiv, une obsession ! À tel point que j’en perds le sommeil. Des heures durant, je cherche. En vain. En un rien de temps, je sors de cet affreux désordre à la clarté d’une révélation quasi nietzschéenne : le monde arabo‑musulman a tué Allah et l’a remplacé par un dieu social ! Là réside l’explication ! Quelle délivrance ! Par ces quelques mots, je palpe une vérité refoulée depuis trop long‑ temps. Et ce n’est pas Freud, l’un des promoteurs de la « thérapie par le verbe » qui nous démentirait ! Ainsi donc, Salima n’a fait qu’exciter cette évidence enfouie dans les profondeurs de mon inconscience. 

« Allah est mort ! Vive le dieu social ! »… Il est de notoriété publique que le ramadan est un pilier de l’islam. Un croyant sincère l’accomplit pour Allah et Lui seul. Un hadith attribué à Dieu abonde dans ce sens : « Toutes les œuvres du fils d’Adam seront multipliées ; la bonne action sera décuplée […] Sauf le jeûne, qui m’appartient, et c’est moi qui rétribue‑ rai la récompense : il laisse son désir charnel et sa nourriture à cause de moi. » 

Or, aux quatre coins de l’Orient islamique, nombre de musulmanes et musulmans accomplissent le rituel du jeûne plus par crainte du qu’en‑dira‑t‑on que pour satisfaire Allah. Et cette peur du regard d’autrui armé de son jugement inquisitorial est si envahis‑ sante, si intense, qu’elle a fini par le transformer en une sorte de « dieu social » régulant les comportements et veillant au respect de l’orthodoxie. Au fond, ce que beaucoup redoutent en ne se soumettant pas à cette prescription religieuse, c’est le sentiment de honte. Car manger durant cette période d’abstinence, c’est encourir le risque de se voir frapper d’infamie par son entourage ; sans parler des poursuites pénales si la non‑observation du ramadan se faisait publiquement… 

Oui, sans que l’on y prenne garde, les sociétés majoritairement musulmanes ont fait émerger de leurs entrailles une idole qui a pris une telle importance qu’elle a littéralement tué le dieu institutionnel, (entendez Allah). C’est incontestablement un « coup d’État » dont quelques‑uns ont conscience. Un ami tunisien, épousant mes vues, déclarait : « En Tunisie, et dans le reste du monde arabe, les gens ont peur non pas du jugement d’un Dieu hypothétique qu’ils ne voient pas, mais de celui, bien réel, des proches. » 

Aussi la communauté croyante, par la pression de conformation qu’elle exerce sur les attitudes dissidentes, est‑elle responsable, malgré elle, de la naissance de ce « dieu social » immensément craint. Avec Lui, l’enfer est sur Terre ; quant à celui qui se trouve au Ciel, il peut attendre tant il faut parer à l’urgence du moment, celle de l’existence incommodée par cette armée de procureurs. Et les yeux intrusifs et impitoyables, des proches, des voisins, sont autant de flammes ardentes qui brûlent le non‑jeûneur livré à la vindicte populaire. Nous comprenons mieux Salima qui n’avait d’autre choix que de chercher refuge en France. Son but : fuir cette sordide divinité qui, partout déployée en terre d’islam, tient ses proies, non par la peur, mais par la honte. Évidemment, l’islamisme et l’institutionnalisation de l’islam élevé au rang de religion d’État nourrissent le phénomène qui, pour toute persuasion, a sa tyrannie sociale. Devenu prégnant, il fait de plus en plus d’ombre à Allah. C’est alors que l’on se remémore, avec gravité, les mots de Nietzsche accusant ses semblables, et lui‑même, d’être les « meurtriers […] de Dieu ». L’histoire semble se répéter ; en Orient cette fois‑ci… Autre façon pernicieuse de travailler à l’évanouissement de Dieu, la peur utilisée pour planter la foi dans les cœurs. Robespierre, dans un contexte radicalement différent, avait souscrit au principe de la terreur vertueuse. Les conséquences furent tragiques ; y compris pour l’Incorruptible…

Extrait du livre de Malik Bezouh, "Ils ont trahi Allah", publié aux éditions de l’Observatoire

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