Edouard Philippe est-il (vraiment) la clé de l'électorat de droite pour 2022 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Edouard Philippe
Edouard Philippe
©AFP

Les prochaines élections présidentielles en France

Un article du site web de BFMTV, citant députés et parlementaires, émet l'hypothèse selon laquelle Edouard Philippe pourrait se préparer pour une éventuelle candidature en 2002. Une éventualité qui ne paraît pas si improbable..

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Emmanuel Macron a semblé mettre Edouard Philippe sous pression lorsqu'il lui a demandé, dans ses voeux du 31 décembre, de "trouver un compromis rapide" avec les syndicats afin de mettre un terme à grève actuelle contre la réforme des retraites. En effet, Edouard Philippe semble ne rien vouloir lâcher et miser beaucoup sur le maintien de l'âge pivot. Est-ce pour lui une manière de se positionner face à l'électorat de droite ?

Christophe Boutin : Gardons-nous d’abord de nous laisser emporter par des commentateurs qui peuvent tenter des manoeuvres politiques sous couvert de fausses informations confidentielles. Il est vrai qu’Emmanuel Macron a plus parlé de l’universalité de la réforme des retraites, séduisant ainsi l’esprit égalitaire des Français, et Édouard Philippe de la question de l’âge-pivot, beaucoup plus sensible, mais indispensable en termes d’équilibres économiques. Il semble pour autant difficile de considérer qu'il y ait à cause de cela deux approches différentes de la politique à mener.

Si, parfois, sous la Ve République, Président et Premier ministre ont pu connaître de telles divergences – on pense par exemple à l'opposition entre Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas, ou entre Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac – de telles oppositions se terminent toujours par la défaite du second, car le président dispose d'un droit de dissolution dont la seule menace peut conduire les députés à faire chuter le gouvernement par une motion de censure. Qui plus est, le quinquennat a conduit le chef de l'État à apparaître un peu plus encore non seulement comme celui qui définit les grandes orientations, ce qui était on le sait l'approche gaullienne des institutions, mais aussi, très concrètement, comme celui qui dirige et décide - pour reprendre la grande formule du président Massot, le « capitaine » a remplacé « l'arbitre » à l'Élysée.

De là cette dualité : au chef de l’État l’approche générale de la retraite, la plus séduisante ; à son chef de Gouvernement le « cambouis » de l’âge-pivot. Il est d’ailleurs permis de penser que c'est à l'Élysée que l’on a choisi cette répartition des rôles et que, bien loin de tenter de s’imposer face au Président, Édouard Philippe, comme nombre de ses prédécesseurs à l’hôtel de Matignon, s’est finalement contenté d’écoper du « sale boulot ». Un jeu de rôle qui préserve le chef de l’État en mettant clairement en place un « fusible » potentiel, alors même que c’est l’Élysée qui est à la manœuvre.

C’est là encore un élément classique de notre Ve République que de voir, après l'échec d'une réforme voulue et impulsée par le Président, le Premier ministre en payer les pots cassés. « Perinde ac cadaver » pourrait être la devise des hôtes de Matignon, qui, bien souvent de nos jours, ne doivent leur bonne fortune politique qu’au fait d’avoir été choisi par l’Élysée, et retournent ensuite à un quasi-anonymat. Reste la seule difficulté pour Emmanuel Macron dans ce scénario : remplacer un Édouard Philippe qui est loin d'avoir démérité dans ses fonctions, et qui fait même preuve de réels talents d'organisateur, alors que le vivier des remplaçants potentiels est quasiment vide – il n’est que de voir l’insigne médiocrité de nombre de politiques mis en place depuis 2017.

Maxime Tandonnet : C’est l’éternel problème de la relation entre chef de l’Etat et Premier ministre dans la Ve République. Elle est presque toujours tendue. On a les exemples célèbres de Pompidou/Chaban Delmas, de Giscard/Chirac, de Mitterrand/Rocard, Sarkozy/Fillon ou Hollande/Valls. Dès lors que les chefs d’Etat de la Ve République ne se contentent pas de présider mais qu’ils entendent aussi gouverner, empiétant sur la compétence du chef de gouvernement, la confrontation est inévitable. 

La relation entre le président Macron et son Premier ministre n’échappe pas à cette contradiction fondamentale du système. Elle est même particulièrement ambiguë. L’actuel occupant de l’Elysée est presque toujours en première ligne quand il est question de se mettre en valeur, à l’image du « grand débat ». En revanche, dans les séquences dramatiques, le Premier ministre est chargé de prendre les coups et d’assumer son rôle constitutionnel tandis que le président « prend de la hauteur ». On l’a vu lors de la gestion de Notre-Dame-Des-Landes, et aujourd’hui dans la crise sociale. 

Les tensions qui semblent s’exprimer entre eux sur « l’âge pivot » de la réforme des retraites sont le résultat de cette ambiguïté. Le Premier ministre ne veut plus apparaître dans le mauvais rôle de celui prend les coups et qui cède. Franchement, cela ne signifie pas qu’il nourrisse l’ambition de se présenter contre M. Macron en 2022. En revanche, il pourrait être candidat au cas peu probable où M. Macron déciderait de ne pas se représenter. Et quoi qu’il arrive, cette attitude marque son souci de son destin élyséen à plus long terme. 

Edouard Philippe, avant de rejoindre Emmanuel Macron, était membre des LR. Pourrait-il être ainsi la clé de l'électorat de droite en 2022 ? Peut-il toujours rallier derrière lui les électeurs de droite, notamment LR, même en représentant LaREM et le bilan Macron ?

Christophe Boutin : Édouard Philippe fait-il partie des éléments qui ont permis à Emmanuel Macron de séduire une part de l'électorat de droite en deux ans ? Après la fuite des cadres en 2017, ce ralliement au nouveau président d'anciens membres des Républicains aussitôt récompensés par des postes et des places, la question était de savoir si l'électorat allait suivre le même mouvement. L'analyse des choix politiques faits par les électeurs historiques de LR entre la présidentielle de 2017 et les européennes de 2019 le prouve.

Est-ce à dire pour autant que ce revirement, ce soutien à Emmanuel Macron, serait dû à la présence au gouvernement d’hommes comme Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu ou même Édouard Philippe ? Il est permis d'en douter, et de penser que c'est la politique menée par le Président qui joue le rôle principal – cette manière de faire des réformes dont la droite rêvait sans les oser. Partiellement au moins, c’est sans doute aussi dû à la manière dont le pouvoir a su jouer du mouvement des Gilets jaunes pour s'imposer comme le garant d'un ordre public auquel une partie de la droite, depuis les « Versaillais » de 1870, a toujours manifesté un attachement sans faille. Les « transfuges » se servent en fait de caution et ne sont un « produit d’appel » que pour ces politiques de droite qui vivent mal en 2020 le fait de n’avoir pas fait le même choix en 2017, mais sans doute bien moins pour les électeurs, même si la personnalité d’Édouard Philippe peut effectivement rassurer ces derniers.

Maxime Tandonnet : Il l’a été sans doute au début. Aujourd’hui, il me semble que le président Macron a sa propre clientèle venue de droite : bourgeoisie aisée, bénéficiaire de la réforme de l’ISF, qui lui sera toujours éternellement reconnaissante quoi qu’il fasse et une certaine droite traditionnelle, légitimiste, séduite par l’apparence de l’autorité. Bien sûr, la présence à Matignon d’un ex-Républicain reste un gage donné à cet électorat mais qui n’est sans doute plus indispensable désormais. Dans l’hypothèse ou Edouard Philippe viendrait un jour à se présenter à la candidature suprême, il devrait s’appuyer sur le même socle électoral que M. Macron, un mélange de centrisme, de gauche moderne et branchée et de la bourgeoisie libérale. Il ne mordra jamais sur la droite républicaine demeurée fidèle à LR dont on ne voit pas pour quelle raison elle lui pardonnerait son ralliement à LREM. 

Si ce projet se précisait pour Edouard Philippe, qu'aurait-il intérêt à faire pour conserver les faveurs de l'électorat de droite ? En d'autre termes, aurait-il plutôt intérêt à rester au gouvernement après la réforme des retraites où à se présenter à la Mairie du Havre afin de se distancer d'Emmanuel Macron et de son bilan ?

Christophe Boutin : Encore faudrait-il se poser la question de savoir de quel électorat de droite Édouard Philippe est le nom. En effet, si l’on prend l'électorat des Républicains, on se retrouve confronté à au moins deux courants. Le premier est de tendance souverainiste, nationaliste, économiquement proche d'un libéralisme d'entrepreneurs, d'artisans ou de commerçants, volontiers critique sur la construction européenne comme sur l'immigration de masse, et conservant du gaullisme une certaine dimension sociale. Le second est un courant progressiste, mondialiste, peu choqué en économie par un libéralisme financier dérégulé, prônant au mieux une « immigration raisonnée » et ayant jeté aux orties le roman national. Si Édouard Philippe séduit sans doute le second, il est permis d’être réservé sur son impact sur le premier.

Mais la question n'est pas de savoir si l’actuel Premier ministre, devenant une sorte de chef naturel de la droite, serait à même d’emporter la lutte en 2022 contre Emmanuel Macron, ce qui semble, comme on vient de le montrer, impossible mathématiquement, mais de savoir si Édouard Philippe pourrait avoir des chances pour 2022 non « contre », mais « à la place » d’Emmanuel Macron.

LREM assumerait alors de n'être plus un parti de centre-gauche ayant rallié des éléments de droite, mais un parti de centre-droit qui s'appuierait sur une partie de la gauche socialiste passée au culte du marché et se suffisant de quelques réformes sociétales pour prétendre rester de gauche. Édouard Philippe prendrait ainsi la tête d’un grand parti libéral libertaire, ou pour prendre un autre terme progressiste, ce qui traduirait en fait un peu plus cet effacement des critères de droite et de gauche auquel nous somme confronté de manière évidente depuis 2017.

Il n'aurait en tout état de cause absolument aucun intérêt à quitter son poste au gouvernement et à retrouver une fonction locale. D’abord, parce que, on l’a dit, cette fonction n’est pas suffisante pour rester présent dans les médias. Ensuite, parce que s’il s'oppose trop ouvertement à Emmanuel Macron alors que ce dernier n'a pas encore été clairement désavoué par ceux qui l’ont mis au pouvoir, il fera l'objet d'attaques destinées à le discréditer, au premier rang desquelles justement la gestion de sa mairie du Havre. Enfin, pour être en mesure de remplacer si besoin était un Emmanuel Macron discrédité et que l’on aurait convaincu de laisser la place, Édouard Philippe a besoin de continuer à utiliser et à contrôler les réseaux du pouvoir et, par exemple, de rester au plus près de la synthèse opérée par le Secrétariat général du gouvernement car, simple membre de cette techno-oligarchie que 2017 a portée au pouvoir, il n’a pas de réseaux personnels suffisants.

Maxime Tandonnet : Dans l’hypothèse – qui me paraît exclue – où son intention serait de se présenter contre l’actuel président, exactement sur le modèle de Jacques Chirac en 1981, il aurait, comme ce dernier, tout intérêt à quitter Matignon au plus tôt pour se démarquer d’un bilan et conjurer les accusations de déloyauté. Mais je ne crois pas du tout à cette hypothèse. Jacques Chirac avait ses propres troupes, un puissant RPR, ce qui n’est pas le cas de M. Philippe. En revanche, pour préparer un destin présidentiel à long terme, son intérêt est de rester le plus longtemps possible à Matignon pour imprégner les esprits et s’imposer dans l’inconscient collectif comme l’un des principaux leaders de la classe politique. Voyez comme M. Héraud, après seulement deux ans à Matignon, a disparu des écrans radars contrairement à François Fillon vainqueur de la primaire de droite après cinq années comme chef de gouvernement. Cependant tout en demeurant à Matignon, il lui faut impérativement combiner une loyauté sans faille envers le chef de l’Etat et un caractère indépendant qui n’est pas forcément compatible avec la conception présidentialiste du président Macron. Une équation complexe… 

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