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La coquille Saint-Jacques : un véritable couteau suisse de l’océan
©MARCEL MOCHET / AFP

Bonnes feuilles

Laurent Chauvaud publie "La coquille Saint-Jacques, sentinelle de l'océan", aux éditions des Equateurs. Grâce à la recherche scientifique, la coquille Saint-Jacques est une machine à remonter le temps, une archive environnementale, une sentinelle des évolutions du milieu marin et du réchauffement climatique, un modèle mathématique. Extrait 1/2.

Laurent Chauvaud

Laurent Chauvaud

Laurent Chauvaud est directeur de recherche au CNRS, biogéochimiste, écologue, plongeur scientifique.

 

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La coquille Saint-Jacques est un mollusque. Les mollusques sont des animaux étranges, extraordinairement familiers, que notre culture associe, selon le niveau d’approximation, voire de fantaisie, aux escargots, aux coquillages, aux fruits de mer et, osons le ridicule, aux crustacés. Les erreurs sont multiples, et pourtant ils nous sont connus. Pour preuve, les moules, les limaces, les huîtres, les pieuvres et les cagouilles en font partie. L’étymologie latine est simple et peu glorieuse : mollusque signifie « mou ». 

Dans le cas de la coquille Saint-Jacques, comme chez la plupart des mollusques les plus connus, la coquille dure peut être vue de deux manières : soit c’est la partie la plus intéressante et la plus précieuse, soit c’est la principale barrière entre vous et votre repas. Si vous êtes enclin à convenir que la coquille est intéressante, vous voyez les mollusques un peu comme un taxonomiste ou un scientifique. Si vous maintenez le point de vue de la barrière, vous sympathisez avec un large éventail de prédateurs marins, tels que les crabes, poulpes, étoiles de mer, morses, canards, en plus des milliers de convives humains. Dans tous les cas, vous avez un point de vue valable. Mais, collectionneur, gastronome ou écologiste, êtes-vous certain de connaître tous les visages de ce groupe ? 

Outre les bivalves – les moules et les huîtres – et les escargots, il faut inclure dans la famille des mollusques le poulpe, le calmar, les bulles, les lièvres de mer, dont les coquilles, souvent fortement réduites, sont complètement internes. Mais les Caudofovéates, les Crystallophrissons aux belles écailles calcaires sur un corps aux allures de ver, et les Solénogastres, vermiformes portant des aiguilles, sont de la même famille. Ainsi, il faut accepter que les mollusques, parmi lesquels la coquille Saint-Jacques, se caractérisent originellement par leurs tissus mous et non par leurs coquilles.

L’un des points communs à tout ce petit monde est bien son aptitude à réduire les coûts, à s’économiser, à dévier ses fonctions triviales, à optimiser et à recycler. La coquille Saint-Jacques fait ça comme une reine !

Chacun de ses organes a plusieurs fonctions, parfois cachées. Ainsi, un organe peut remplir deux, trois, voire six rôles, parfois simultanément. 

Le manteau 

Prenons le manteau, la projection membraneuse qui enveloppe le corps des mollusques. Le manteau entoure et protège les organes de l’animal, laissant ainsi la place à un espace interne ouvert appelé cavité palléale.

Cette cavité palléale est remplie d’eau et a de très nombreux rôles et fonctions. Premièrement, elle est le siège de la respiration, des échanges gazeux (dioxyde de carbone et oxygène) entre la branchie et cette eau qui la baigne. Deuxièmement, elle sert de chambre où la coquille fait entrer de l’eau de mer pour la filtrer et où elle mange les petites particules alimentaires qui y sont en suspension. Troisièmement, elle analyse la qualité de l’eau grâce à ses organes sensoriels. Quatrièmement, elle sert de lieux d’aisances où l’animal vide ses déjections (fèces) et baves (pseudo-fèces). Cinquièmement, elle constitue un lieu sûr pour pondre et protéger ses œufs, mais aussi pour éjaculer son sperme. Sixièmement, le manteau fabrique la coquille. Il permet la croissance en longueur (hauteur) et en épaisseur de la coquille. Des cristaux de calcite et des briques de carbonate de calcium fusionnent dans le manteau pour fabriquer ce squelette externe que l’on appelle « coquille ». La coquille est si solide que, une fois adulte, elle peut résister à l’attaque d’un tourteau ou d’un poulpe. Si elle a moins d’un an, le bec d’une daurade lui sera fatal. 

Mais, avant de poursuivre sur les rôles très variés du manteau de la coquille, il faut comprendre comment la coquille Saint-Jacques croît. Pour grandir, le manteau sort légèrement de la coquille comme une langue sort de la bouche, entre les dents. Cela lui permet de fabriquer un peu de coquille sur le pourtour de la valve. On appelle cela une croissance par accrétion, c’est-à-dire par juxtaposition. À l’intérieur, l’animal consolide aussi sa coquille en épaisseur, à la base de l’édifice en quelque sorte. Ainsi, la coquille grandit et s’épaissit quasiment en même temps, mais pas avec la même partie du manteau. Du point de vue du mareyeur, ce « manteau-rempart » – presque une armure – est essentiel, car il permet de vendre des coquilles Saint-Jacques de belle apparence malgré la violence de la technique de pêche. Le contraste entre une enveloppe dure, solide et protectrice, et un intérieur mou est au cœur de la conception de la coquille Saint-Jacques. En rade de Brest, le contraste extérieur/intérieur (dur/mou) des coquilles Saint-Jacques s’accorde avec la conception biologique (et psychologique) selon laquelle les individus se fabriquent des défenses (dures) tout autour des organes vulnérables (souples) et de la psyché. 

Reprenons le fil des rôles multiples et improbables du manteau de la coquille. Septièmement, le manteau étant le tissu le plus proche du monde extérieur, il est le mieux placé pour que s’y développent les organes sensoriels. En l’occurrence, des yeux bleus et des tentacules. Pour voir, toucher et goûter. Huitièmement, la coquille Saint-Jacques, comme la pieuvre ou la seiche, peut, grâce à son manteau, pomper de l’eau doucement et l’éjecter brutalement. Grâce à cela, elle sait nager ! Un agencement complexe de muscles à peine visibles lui permet de bouger à la façon d’un parapentiste modifiant la forme de sa voile avec des ficelles. La coquille peut ainsi rétracter son manteau, relâcher à droite, contracter à gauche. Elle peut pivoter, souffler, prendre de l’altitude, se tordre et se cabrer à sa guise. Et même, échapper à sa prédatrice suprême : l’étoile de mer et son odeur de mort !

Extrait du livre de Laurent Chauvaud, "La coquille Saint-Jacques, sentinelle de l'océan", publié aux éditions des Equateurs. 

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