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SOS sortie de crise : la France en plein triangle des Bermudes
©La Dépêche // Capture d'écran

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Entre les objectifs politiques du gouvernement, la réalité économique et la contrainte sociale, 2020 va débuter en pleine situation inextricable

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’année 2020 démarre vraiment très mal. Le gouvernement espérait que les mouvements sociaux s’échoueraient sur les récifs de Noël ou du Nouvel an. Il s’est trompé. La grève ne s’est pas arrêtée, la grogne et la rogne reprennent de plus bel. Une majorité de Français gênés par les grèves n’en soutient pas moins le mouvement. Du coup, la situation socio-politique est tellement inextricable que bien malin celui qui pourrait y voir les leviers d’un règlement politique. 

Le terrain syndical d’abord est coupé en deux, mais chaque camp est miné.

Le clan réformiste mené par la CFDT et l’UNSA soutient le projet de réforme dans sa dimension structurelle (on dit maintenant systémique). La retraite par points qui servirait de méthode de calcul à un régime universel, c’est à dire applicable à tous, sont considérés comme un facteur de progrès social. Mais ces syndicats réformistes s’opposent à ce qu’on prenne des mesures de rééquilibrage financier comme la fixation d’un âge pivot à partir duquel on pourrait prendre sa retraite à taux plein. Soit 64 ans, avant, on serait sous malus. Après, on gagnerait un bonus. 

Le paradoxe dans cette affaire, c’est que les syndicats réformistes ne sont pas opposés à l’obligation pour les régimes de trouver des recettes capables de couvrir les dépenses, à condition qu’on ne touche pas à la durée. Alors c’est compliqué parce que si on touche aux cotisations, on touche à la compétitivité de l’économie. Si on rabote les pensions, on touche au pouvoir d’achat des retraités.

Les syndicats plus radicaux ne veulent rien changer. Ils ne veulent ni de réforme systémique, ni d’âge pivot. C’est simple à comprendre. Maintenant comme ils savent que ça n’est pas gérable, ils renvoient la balle dans le camp du gouvernement, alors que dans le même temps, ils reprochent à l’Etat son emprise de plus en plus forte. Ils sont favorables à un système plus solide et plus égalitaire mais refusent de dégager les moyens financiers (sauf à passer par des arbitrages budgétaires). Ils refusent aussi de toucher aux régimes spéciaux, ceux qui sont visés au premier chef dans le projet de réforme.

Pour compliquer le tout, les syndicats radicaux sont aussi très incertains. La CGT veut rester fidèle à la culture du compromis, et serait prête à discuter ce qu‘elle a toujours fait. En revanche la CGT Cheminots s’inscrit dans une logique de conflit jusque boutiste d‘où le bras de fer avec le gouvernement. 

Comme ces jusque-boutistes ont la main sur les trains et sur le métro, quelques uns suffisent à bloquer tout le système des transports publics. Et la majorité de la CGT est bien obligée de les soutenir. Jusqu’où et jusqu'à quand? C’est tout le problème du gouvernement.

Avec un terrain syndical aussi parcellisé, on voit mal comment le gouvernement réussira à déminer le champ de bataille.

Du côté politique, ensuite, la situation est encore plus bousculée. La gauche serait prête à défendre un projet qui sort de sa famille de pensée. Le projet est véritablement social ; il élimine un certains nombres de particularités dans les systèmes de retraite qui apparaissent comme des privilèges à ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, et améliore le sort du plus grand nombre. Parallèlement, il sécurise l’équilibre financier. Cela étant, la gauche soutient le mouvement de grève alors que beaucoup de ses sympathisants sont épuisés par les difficultés qu’entrainent les grèves.

Toute la gauche n’est pas au diapason avec la même ferveur. Les socio-démocrates, proches de la CFDT, sont d’accord pour défendre le projet de réforme et suspendre la grève qui n’a plus de sens. Mais la gauche extrême de la France insoumise ou du parti communiste sont derrière les mouvements de contestation sans d’ailleurs avoir de projet alternatif. 

Curieusement, les mouvements écologistes sont très discrets parce que embarrassés. Ils travaillent les municipales et ces questions de retraites sont pour eux très secondaires. La plupart des écolos considèrent que là plupart des difficultés seraient solubles dans une réforme globale du système économique mondial. En clair, suspendons le fonctionnement du capitalisme et l'action de la croissance, et nous règlerons à la fois le réchauffement climatique et la question des retraites. Autant dire que les écolos n’ont aucune idée ou projet pragmatique pour régler les problèmes de fond de la société. 

Du côté de la droite ça n’est pas plus clair, les macronistes qui ne sont pas tous de droite, s’arrangent vaguement pour soutenir le projet de réforme dont ils sentent bien qu‘il est fondamental pour le quinquennat et donc pour leur propre avenir. Les députes Macronistes sont de doux rêveurs sympathiques mais dès que leur avenir personnel est en cause, ils ont tendance à renouer avec le bon vieux cynisme électoral. En dehors des députes macronistes donc, la droite et le centre sont très partagés. Tous ont compris que le projet de réforme porté par Edouard Philippe était de gauche. Tous auraient sans doute voulu défendre un projet plus libéral, c’est à dire un projet qui reconnaissent que le régime par répartition aurait toujours des fragilités liées à la démographie, et qu’il faudra bien un jour ou l’autre entrer dans le monde de la capitalisation. 

Mais comme la majorité de ces députés de droite et du centre ne sont pas des modèles de courage intellectuel, ils manieront des idées de capitalisation avec la plus extrême des prudences. 

Bref, les fonds de pensions sont absents du débat. Alors que tout le monde sait qu’ils sont très présents dans la vie quotidienne des Français qui veulent (et qui peuvent sécuriser leur avenir). C’est vrai des droites patronales et libérales qui ont fait le succès des régimes Madelin, mais c’est vrai aussi des milieux de la fonction publique un peu éclairés qui ont su et savent encore profiter de la Prefon. Bref la classe politique n’en parle pas, mais les outils de la capitalisation sont très présents dans les choix individuels de retraites.

Cette affaire de retraite montre à quel point l’opinion publique française est torturée entre ses besoins profonds (assurer sa retraite) et ses convictions morales et politiques (sauver le service public qui tombe en faillite).  Entre le sentiment qu’on éprouve sur la situation et la réalité de cette situation. 

Il n’existe dans la classe politique aucun courant majoritaire capable d’accoucher d’une réforme durable et sécurisée.

Dans ces conditions, on ne voit pas comment le gouvernement va pouvoir s’en sortir sauf à acheter tous ceux qui s’opposent à la modernisation qu’elle s’inscrive à gauche ou à droite. Les mouvements sociaux qui sont animés par une infime minorité des salariés mais soutenus par une partie de l’opinion plus large qui nourrit une colère sourde pour de multiples raisons, vont donc planter le projet de réforme.

Ce plantage va couter cher au budget, environ 17 milliards d’euros soit l’équivalent de ce qu’a coûté le retour au calme des gilets jaunes. Il ne va pas résorber le problème des retraites sur le système public.
Mais le plantage va forcer les portes qui bloquent les fonds d’assurance et de pensions. 

Les Français sont de formidables épargnants et cette épargne (l’assurance-vie) sert actuellement à financer les déficit publics. Lesquels sont creusés en partie par le modèle social dont les retraites. L’usine à gaz du système économique français fabrique le gaz qui revient pour le faire tourner. 

Il doit y avoir des systèmes moins couteux et plus simples. Les Français qui sont intelligents vont quand même un jour comprendre qu’il serait plus efficace que leur épargne sert à financer leur retraite via des fonds de capitalisation, plutôt que par le biais d’un déficit budgétaire. 

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