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Cet esprit de Noël (et d'apaisement) qui manque cruellement à la France
©Thomas SAMSON / AFP

Joyeuses Fêtes

Alors que la grève contre la réforme des retraites se poursuit en ce mercredi 25 décembre, la magie des Fêtes de fin d'année semble s'être évaporée. Où est passé "l’esprit de Noël" ? La nostalgie d’un moment de paix civile, de retrouvailles en famille, de réjouissances pour les enfants, de solidarité avec les plus pauvres pourrait être salutaire pour le pays et les citoyens.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Où est passé l’esprit de Noël? 

La cause est entendue. Les sociologues nous le répètent à satiété: la France n’est plus un pays chrétien; la pratique religieuse régulière se réduit à quelques pour-cents. Certes, le christianisme avait reculé depuis le XVIIIè siècle; mais l’effondrement ultime s’est produit en une génération. Une page est tournée dans l’histoire de notre pays. 

En fait, ce constat n’est qu’une face de la médaille. Retournez-la et vous verrez que nous n’avons pas fini de traiter les conséquences d’un tel bouleversement. Le constat froid du démographe ou du statisticien est une chose; l’état d’esprit du pays en est une autre. On ne peut pas se contenter, quand il s’agit du besoin de sens que l’individu et la société donnent à leur existence, de constater qu’un vide s’est créé. Nos dirigeants successifs accompagnent le déclin religieux du pays, sans se rendre compte qu’un pays qui perd ses repères traditionnels devient beaucoup plus difficile à gouverner. La situation dans laquelle se trouve le pays à Noël 2019 en est une illustration flagrante. 

Où est passé « l’esprit de Noël »? Pas besoin d’être chrétien pour avoir la nostalgie d’un moment de paix civile, de retrouvailles en famille, de réjouissances plus particulières pour les enfants, de solidarité avec les plus pauvres. Noël, c’est le moment des cadeaux. Tout le monde ne peut pas en offrir mais rien ne devrait détourner la société d’un moment de gratuité, d’entraide, d’esprit désintéressé. 

L’occasion manquée de Noël 2018: quand nous avons laissé partir l’esprit de fraternité des Gilets Jaunes.

L’année dernière, sur les ronds points, à Noël, les Gilets Jaunes ont exprimé fortement la nostalgie de fraternité qui habite notre société. Noël 2018 a été le sommet et le début du déclin du mouvement. Quelques jours plus tard, le président de la République, qui avait surmonté la panique que ce mouvement spontané avait déclenché en lui au début décembre 2018, a prononcé quelques mots, fatals, sur la « foule haineuse ». Une fois 2019 entamée, la police et la gendarmerie ont repris leur travail de répression d’un mouvement qui a résisté un temps puis s’est étiolé, laissant dans l’opinion un goût amer. Etonnez-vous, après cela, de la confusion qui règne dans les esprits en la Noël 2019. 

Il est très frappant de voir comment le gouvernement et les syndicats ont été incapables de maîtriser l’affrontement qu’ils ont déclenché pour la réforme des retraites. Le gouvernement aurait pu mettre son point d’honneur à boucler une négociation pour Noël. Les syndicats auraient pu mettre l’opinion définitivement de leur côté en suspendant leur mouvement le temps des fêtes. Rien de tel ne s’est passé. Certains diront que les syndicats ne maîtrisent pas leur base, qui veut continuer la grève. Mais la grève passe-t-elle forcément par la prise en otage du pays? L’esprit de Noël n’aurait-il pas pu être, même cyniquement, un atout à mettre de son côté en attendant la reprise et le dénouement du bras de fer début 2020? 

Certes, il y a des forces profondes à l’oeuvre dans la société. Il y a un an, les Gilets Jaunes avaient proposé à la société de retrouver l’esprit de Noël, même sécularisé. Il n’y avait pas eu que le gouvernement pour ne pas saisir la balle au bond: à quelques exceptions près, vous souvenez-vous de chrétiens, membres du clergé ou laïcs, se rendant sur les ronds points? Vous souvenez-vous d’intellectuels, là encore à quelques exceptions près, prenant le parti du peuple, attirant l’attention sur la baisse du niveau de vie et la dépossession politique et financière de millions de nos concitoyens? Vous souvenez-vous d’une opposition politique prenant raisonnablement la défense des Gilets Jaunes dans un esprit de paix et de fraternité ? 

Décembre 2019: point bas dans l’histoire de notre pays

Un an plus tard, en 2019, on aurait pu croire que les luttes sociales classiques étaient de retour: manifestations et grèves encadrées par les syndicats; dialogue entre les partenaires sociaux etc...Mais la trêve de Noël faisait partie de ces conflits classiques. Même le conflit le plus dur de l’après-guerre, en novembre-décembre 1947, s’était dénoué avant Noël. Il y avait eu des morts et le pays s’était cru au bord d’une insurrection communiste et pourtant l’esprit de Noël s’était imposé à la fin. Soixante-dix ans plus tard, les fronts sont beaucoup moins clairs, le pays est beaucoup plus éclaté, morcelé. Surtout, le sens des choses est largement perdu. Pourquoi sommes-nous Français? Le contrat social a-t-il encore un sens? 

Décembre 2019 restera comme un point bas dans l’histoire de notre pays. On se rappellera des gauchistes troublant la crèche des enfants à Toulouse. On se souviendra d’un président n’ayant pas d’autre « truc » à sortir de son chapeau que de renoncer à sa retraite de président - attirant l’attention sur le fait qu’il en toucherait d’autres. On mentionnera ce chauffeur Uber expliquant cyniquement à une journaliste qu’il est par ailleurs conducteur à la RATP et se réjouit d’une grève qui lui permet de gagner plus d’argent comme chauffeur de VTC. On s’étonnera d’une SNCF où direction et grèvistes manquent autant d’imagination pour permettre à l’autre côté de ne pas perdre la face tout en prenant le parti des voyageurs. 

La tradition, c’est le droit de vote de nos ancêtres

On comparera la France à son voisin britannique. Boris Johnson, Premier ministre confirmé, vient de prononcer une allocution de « Joyeux Noël » adressée à ses compatriotes. La Grande-Bretagne est-elle moins sécularisée que la France? Non mais la société y sait, instinctivement, que, même en ayant tourné le dos au christianisme, il faut garder quelque chose de l’esprit de Noël. On n’a pas peur, à la différence de la France, de dire « Joyeux Noël » - c’est tout de même mieux que le timoré « joyeuses fêtes de fin d’année » auquel s’astreignent des Français qui s’autocensurent sans savoir très bien qui pourrait les punir, à vrai dire, de parler de Noël comme cinquante générations d’ancêtres. Johnson est un grand communiquant, certes, mais notons alors qu’il a jugé bon de parler de l’esprit de réconciliation, de paix, de la joie des enfants; et qu’il a évoqué tous les chrétiens fêtant Noël à travers le monde, y compris les chrétiens persécutés. 

Etonnez-vous après cela que le Premier Ministre britannique soit à la tête d’une majorité massive, munie d’un mandat clair, dans un pays fier de sa souveraineté. Parmi les électeurs de Johnson, il y en a qui « croient au Ciel » et sans doute beaucoup plus encore qui « n’y croient pas », pour parler comme Eluard. Mais tous sont d’accord sur un point: une démocratie ne peut pas se couper de son passé sans se défaire, dans risquer de disparaître. Comme disait le grand Chesterton: la tradition, c’est le droit de vote de nos ancêtres ! 

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