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Ces discours de vérité qu’on déclame aux Français à chaque crise comme si les gouvernements d’avant n’avaient jamais usé de la même arme
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Politique

Alors que les discours politiques ne cessent de se multiplier, ils ne semblent plus audibles auprès des Français.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Mercredi Edouard Philippe tenait son discours de « vérité » sur la réforme des retraites. Le Premier Ministre comme les medias ont associé réforme des retraites et vérité, pourquoi ?

Bertrand Vergely : Dire la vérité consiste à dire ce qui est et, de ce fait, à être réaliste. Toutefois il y a manière et manière de dire ce qui est. On peut prendre des gants et ne pas asséner brutalement ce qui est. On peut aussi ne pas pendre de gants et dire les choses avec une brutalité franche, directe et sans détours. On n’est plus alors dans la vérité au sens courant. On est dans la vérité vraie. Cette vérité vraie surgit dans des moments dramatiques de l’existence quand, ne pouvant plus indéfiniment prendre des gants et reculer, on est bien obligé d’appeler les choses par leur nom. C’est par exemple le cas quand on doit annoncer à quelqu’un qu’il a un cancer et qu’il va mourir. C’est le cas quand, dans un couple, une femme annonce à son mari quelle va le quitter. C’est encore le cas quand, dans une entreprise, un patron annonce à l’un de ses collaborateurs qu’il a décidé de le licencier. Avec la question des retraites, c’est manifestement le cas. Depuis longtemps la question de leur réforme a été soulevée. Elle l’a été par Michel Rocard, quand il était Premier Ministre. Celui-ci avait alors prévenu : il va falloir réformer les retraites, sinon il ne sera plus possible de les payer. Cette question est réapparue de façon franche, directe et brutale avec Alain Juppé en 1995. La France avait alors connu une grève très dure, si dure que Jacques Chirac, alors Président de la République, avait décidé de suspendre cette réforme en prononçant cette phrase demeurée depuis dans les mémoires : « Je veux que les Français puissent prendre le train à Noël ». En 2006 Michel Godet, dans un livre qui avait alors marqué Le choc de 2006, avait apporté un diagnostic scientifique en prévenant : il va falloir se préparer à réformer les retraites. On n’y coupera pas. Diagnostic repris par Jacques
Marseille. Aujourd’hui, la France est au pied du mur, tellement au pied du mur que le discours à propos des retraites ne peut être que celui de la vérité franche, directe, brutale et
sans détours. Faisons le bilan : cela fait 30 ans que la question des retraites est soulevée. Depuis 30¨ans, les gouvernements qui se sont succédé ont tellement peur de la réaction des syndicats qu’ils ont reculé cette réforme. Aujourd’hui, il n’est plus possible de reculer et c’est ce qu’est venu dire le Premier Ministre Edouard Philippe en employant pour cela le ton de la vérité violente et tragique su le mode du coup de poing en plein plexus.


Depuis une trentaine d’années le mot vérité est asséné par tous les gouvernements. Quel est le poids d’un tel terme ?

Bertrand Vergely : Depuis 30 ans, les gouvernements parlent-ils de vérité ? On a plutôt l’impression qu’ils cherchent à tout prix à éviter d’avoir recours à celle-ci, la vérité ayant lieu quand on a des choses peu agréables à annoncer aux Français. Cette difficulté est manifeste dans bon nombre de discussions. L’idéologie l’emporte toujours sur la vérité, un mensonge qui arrange valant lieux qu’une vérité qui dérange. Quand François Fillon a expliqué que la France état en faillite, il a été prié très vite de se taire et l’on n’a plus jamais entendu parler de cette annonce qui s’avère pourtant vraie quand on considère le montant de la dette de la France. Chaque année, pour que l’État puisse finir l’année, celui-ci est obligé d’emprunter, si bien que nous vivons à crédit. Quand le gouvernement avance un chiffre à propos de la réalité économique ou sociale, immédiatement ce chiffe est contesté, de sorte qu’il devient impossible de savoir ce qui est vrai. La vérité est pourtant un élément vital de la démocratie. Dans les dictatures, pour éviter toute contestation, les régimes au pouvoir mentent. Dans les démocraties, pour éviter toute dictature, on dit la vérité. Le poids de celle-ci est donc considérable. Toutefois, dès que la vérité menace un certain nombre d’intérêts de pouvoir ou d’intérêts idéologiques, celle-ci est écartée.

Malgré les discours de vérité qui se répètent rien ne change et les vérités se succèdent, l’une chassant l’autre. Ce mot a-t-il encore un sens ? A-t-il encore un impact ? Intéresse-t-il les Français ?

Bertrand Vergely :
 La vérité a toujours un impact énorme. On sen rend compte quand un certain nombre d’affaires éclatent au grand jour. Les Français sont outrés d’apprendre qu’ils ont été trompés et qu’on leur a mentis. Le dernier film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus est à ce titre révélateur. Ce film qui traite de la vérité et du mensonge passionne les Français puisqu’il remporte un certain succès malgré la vérité à propos des moeurs de Roman Polanski qui a éclaté à l’occasion de la sortie du film. On est d’ailleurs tenté de penser que les Français aiment plutôt trop la vérité. Quand un certain nombre d’affaires demeurent non élucidées comme par exemple le suicide étrange de l’ancien Premier Ministre de François Mitterrand Pierre Bérégovoy, les Français s’en souviennent longtemps après et la vérité qui a été occultée à cette occasion ne passe pas et continue de ne pas passer. Si bien qu’il existe une certaine méfiance des Français à l’égard du politique que Anne Roumanoff, la comique, a bien perçu dans un sketch intitulé : « On ne nous dit pas tout ». Les Français ont l’impression qu’on ne leur dit pas tout. Attitude au demeurant étrange. Quand on leur dit une vérité qui les dérange, ils n’aient pas l’entendre, mais
quand on ne la leur dit pas ils n’aiment pas non plu qu’on leur cache quelque chose. En fait, ils rêvent. Ils voudraient qu’on leur dise tout et que tout ce que l’on dit les arrange. Ce qui n’est pas possible. À cet égard, les Français ne sont pas dans le réalisme de la vérité. Ils sont dans le romantisme de la vérité. Ils rêvent de la vérité choc qui révèle la face cachée de la vie politique sans bousculer cependant leurs habitudes. Ils ne veulent pas la vérité. Ils veulent le confort dans la vérité. Résultat : ils provoquent le contraire de ce qu’ils souhaitent. À force de vouloir respecter le rêve des Français d’une vérité confortable, les gouvernements ont tellement peur de les froisser qu’ils reculent le moment de dire la vérité jusqu’au moment où, reculer n’étant plus possible, ils disent la vérité sans ménagement, comme Edouard Philippe récemment. La politique en France a tendance à relever du psychodrame permanent. La vérité épouse la politique en étant un psychodrame permanent. Quand on la dit, immédiatement l’opinion pousse des cris. Quand on ne la dit pas, cette même opinion finit par se méfier, douter et pratiquer un rejet nihiliste de la politique.

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