Futurs scrutins
Ce nouvel espace politique qu’ouvrent Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen (mais pas pour eux…)
Jean-Luc Mélenchon a indiqué que le soutien envers le mouvement de grève de Marine Le Pen était un "grand progrès vers l'humanisme". Le mouvement social contre la réforme des retraites pourrait-il accélérer un rapprochement de populistes de gauche et de droite ?
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico.fr : Alors qu'il était interrogé sur la présence de manifestants venant de différents mouvements politiques, Jean-Luc Mélenchon a affirmé hier que le soutien aux grèves de Marine Le Pen représentait un "grand progrès vers l'humanisme" de la dirigeante du RN.
Quelle chance y a-t-il que ce mouvement social accélère un rapprochement de ce qu'on a pu qualifier de populistes de gauche (LFI) et de droite (RN) ? Est-ce que c'est la logique du bloc (social) contre bloc (social), comme l'a décrite le sondeur Jérôme Sainte-Marie, qui pourrait émerger ?
Edouard Husson : Je ne m’étends pas sur la politique politicienne de Mélenchon, qui essaie de faire oublier qu’il y a quelques jours il prenait parti pour une manifestation islamiste. Je n’aurai pas non plus la cruauté de souligner la morgue de ce jacobin qui se croit autorisé à distribuer les bons et les mauvais points: c’est la traditionnelle arrogance de la gauche, qui se croit supérieure, par la force de son idéologie. Marine Le Pen a beau cultiver la détestation ostensible de la bourgeoisie, elle ne peut rien changer au fait qu’elle réagit comme une femme de droite, atteinte de haine de soi et naïve au point de se rendre vulnérable à la gauche, se mettre à sa merci. Entre les deux tours de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a appelé, de manière alambiquée, à voter Macron. Et à présent il laisse un pourboire à Madame Le Pen....
Mais la réalité s’imposera: ce que Jérôme Sainte-Marie ne voit pas, c’est qu’on est élu soit à droite soit à gauche. Macron a été élu à gauche, après que le candidat le plus crédible de la droite, François Fillon, avait été massacré par son propre parti. On peut, soit depuis la droite, soit depuis la gauche, rassembler un électorat des deux bords. Mais cela ne marche que si le candidat sait où il habite ! Marine Le Pen ne gagnera jamais sans le ralliement d’une partie des élites à sa candidature. Dériver vers Mélenchon, comme elle le fait, c’est s’allier à un candidat qui n’a aucun soutien dans l’establishment.
A quelle offre politique, à droite comme à gauche, est-ce que ce type de rassemblement pourrait laisser un espace, compte tenu des attentes de ces deux électorats ?
Marine Le Pen, en dérivant ainsi vers la gauche, laisse un espace crucial, pourtant, du point de vue de la stratégie électorale. La mécanique politique est implacable: Marine Le Pen ne peut pas être élue à la gauche de Macron. Les positions de Mélenchon, indulgentes vis-à-vis de l’islamisme, favorables au progressisme sociétal, rendent impossible une alliance. On dira que le programme économique de Marine Le Pen et celui de Jean-Luc Mélenchon sont plus proches que leurs positions respectives dans d’autres secteurs. Mais cela veut dire, évidemment, que Madame le Pen est dans l’impossibilité d’accrocher le patronat, ou du moins une partie de ce dernier. C’est-à-dire qu’il est impossible à Marine Le Pen d’être élue: on ne s’installe pas au pouvoir contre le leadership économique du pays ni contre sa haute fonction publique. Le fait de faire alliance avec Mélenchon, même si c’est un révolutionnaire « en peau de lapin », est désastreux pour l’image de Madame Le Pen, si elle voulait vraiment ne pas répéter les erreurs de sa campagne de 2017.
Comment ces offres pourraient-elles briser la logique du bloc contre bloc, qui s'est imposée sociologiquement avant d'exister politiquement ?
La gauche est toujours dans une logique du « bloc contre bloc ». C’est ce que ne veulent pas comprendre Buisson, qu’on a connu plus lucide, ou Jérôme Sainte-Marie, qui ne fait que constater la sociologie du macronisme. Tantôt la gauche est individualiste, comme le macronisme, et elle écrase le peuple, comme le firent les jacobins en 1793-95, écrasant le reste de la France resté monarchiste; tantôt elle devient collectiviste et s’empresse de promouvoir une nouvelle élite contre l’ancienne, dans une poussée à la fois néo-individualiste et régressive puisque la gauche n’a jamais su faire qu’une chose dans l’histoire de notre pays: tuer les corps intermédiaires. Mélenchon et Macron sont deux jacobins, beaucoup plus proches l’un de l’autre que les apparences ! Aussi centralisateurs l’un que l’autres, aussi convaincus l’un et l’autre que le passé français ne recèle quasiment que de mauvaises choses. Aussi fascinés par le miroir que l’islamisme tend au progressisme. L’islamisme est un mélange d'individualisme et de régression collectiviste, aussi bien que l’écologisme ou le gauchisme, le maoïsme ou le néolibéralisme. Quand vous regardez bien, la force de Macron, c’est de rassembler individualistes, islamo-gauchistes, écologistes et apprentis transhumanistes autour de sa politique. Macron est un homme de gauche ! Et qu’on ne vienne pas m’opposer le ralliement du «parti de l’ordre » ! Tous les mouvements de gauche, après avoir causé le désordre, finissent par déboucher sur un « parti de l’ordre »; tous les communismes ont fini en immobilismes. Et, avec la même constance, la droite, dans notre histoire, se trouve toujours devant un dilemme: épouser la cause de la défense des libertés ou disparaître.
La meilleure façon de briser le « bloc contre bloc », c’est de recréer un grand parti qui réunisse la « droite d’en haut » et la «droite d’en bas ». Vu comme elle est partie pour s’enfermer dans une impasse, ce sera vraisemblablement quelqu’un d’autre que Marine Le Pen qui l’effectuera.
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