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Retraites : mais que se passera(it)-t-il sans réforme ?
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Passera, passera pas ?

Beaucoup s'interrogent sur ce qui adviendra si la réforme des retraites telle que le gouvernement l'a progressivement dévoilée entre finalement en vigueur. Que se passerait-il néanmoins si la réforme ne passait pas ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Dans un premier temps, si toute la réforme finit être abandonnée, quelles seraient selon vous les conséquences économiques et sociales à terme ? 

Philippe Crevel : Réforme systémique ou pas, le problème d'équilibre resterait entier s'il n'y a pas de réforme paramétrique. On est engagé dans un processus important de vieillissement de la population. Aujourd'hui, il y a 16 millions de retraités ; il y en aura 25 millions d'ici 2060. Il y a un problème majeur de financement qui se poser quel que soit le mode de calcul des pensions. Ce n'est pas le mode de calcul qui résout l'équation. 

Si la réforme ne passe donc pas, il faudra trouver entre 9 et 17 milliards d'ici 2025 pour compenser le déficit, et même plus après. On peut donc prévoir que les curseurs paramétriques classiques seront à nouveau modifiés à courte ou moyenne échéance. La complexité liée à 42 régimes, 100 régimes complémentaires serait conservée, donc le pilotage resterait très complexe. Ceux qui prétendent donc ne rien changer se trompent fortement, parce qu'il faudra faire de toute façon des ajustements parce que le contexte économique et démographique l'impose. Il faudra jouer sur le report de l'âge légal à la retraite, sur les cotisations, avec le risque que cela tue l'emploi et diminuer le niveau de vie des actifs, et enfin sur le niveau des pensions, tel qu'on l'a fait depuis 1993. L'idée donc que, la réforme acceptée, on retourne à une forme de statu quo, est une grande illusion. 

Si l'on décide que la part de la richesse nationale à allouer aux retraites reste de 14%, il faudra partager la même somme, mais avec 10 millions de personnes en plus. Soit on décide de reporter l'âge de façon à freiner l'augmentation du nombre de retraités, et alors on fera le choix de nos partenaires.

Jacques Bichot : Pour l’instant, aucune disposition importante n’ayant encore été prise et appliquée sous forme de transformation des règles et des services (formation du personnel, affectations, modifications de logiciels, etc.), il serait possible de refermer la parenthèse Delevoye et de continuer à calculer, liquider et servir les pensions comme si rien ne s’était produit. Coup d’épée dans l’eau, quelques vaguelettes, et puis plus rien. 

C’est un peu comme si un unijambiste renonçait à la prothèse perfectionnée que son médecin avait étudiée pour remplacer sa vieille jambe de bois : il ne s’arrêterait pas de marcher, avec un peu plus de difficulté chaque jour, mais sans être définitivement cloué sur un fauteuil roulant. Au lieu de se trouver dans une situation nettement meilleure, grâce à la fusion des différents régimes, les systèmes de retraite continueraient à fonctionner comme aujourd’hui. Les simplifications prévues n’auraient pas lieu et les économies de gestion espérées ne se produiraient pas. Le système par points est beaucoup plus pratique que celui par annuités pour adapter les dépenses aux recettes ; l’équilibre des comptes pâtirait donc de l’absence de réforme.

En outre, il faudrait tirer un trait sur les assouplissements envisagés, comme pouvoir liquider seulement une partie de sa pension et continuer à travailler à temps partiel, puis revenir à temps plein si une bonne occasion se présente, etc. C’est un peu comme si quelqu’un, au lieu de changer sa vieille voiture contre une neuve, était contraint de la conserver : la vieille guimbarde continuerait à le véhiculer, mais avec un démarrage parfois difficile, l’air conditionné en panne, et un freinage pas terrible. Il faudrait simplement, comme on dit, « faire avec ».  

S’il advient que le gouvernement s’en tient à une réforme paramétrique, en abandonnant la suppression des régimes spéciaux et le passage à un système par point, quelles conséquences, de la même manière, seraient à prévoir ?

Philippe Crevel : Aujourd'hui, il y a des transferts financiers importants entre les régimes spéciaux qui continueraient si la réforme systémique était mis en oeuvre. Donc les gains ne seraient pas immédiats (et donc ce qu'on y perdrait respectivement) mais à long terme. Si on abandonne le régime par point, on abandonne l'avantage d'un système plus facile à piloter : on ne pourrait plus jouer sur la valeur du point à l'achat et au rachat pour modifier les paramètres. Donc on aurait toujours autant de défiance quant aux modifications paramétriques. Le gouvernement ne veut pas le dire en tant que tel, mais il s'agit aussi de faire accepter des efforts. 

Ce qu'on abandonnerait aussi, c'est un système plus intéressant pour les nouvelles formes de travail, comme les indépendants du digital, les micro-entrepreneurs. De plus en plus de personnes sont appelés à rentrer dans ce type de fonctionnement.

La réforme systémique en tant que tel n'a pas d'effet économique direct, si ce n'est le fait de montrer que la France est capable de se réformer. Les effets seront sur la durée. Le gain de court terme de la réforme, c'est l'image de la France capable de se réformer. Les gains à long terme, ce sont les coûts de gestion qui diminueront. On devrait revenir dans la moyenne européenne si on fait la réforme systémique : aujourd'hui, on est à 2 à 3 fois le niveau du coût de gestion des retraites moyen en Europe. 

Jacques Bichot : Je n’aime guère l’expression « réforme paramétrique ». Modifier la valeur de certains paramètres, c’est un acte de gestion courante, comme modifier la température à laquelle le chauffage se met en marche. Supposez que vous ayez des fins de mois plus difficiles pour une raison X ou Y, si bien que vous renoncez à une ou deux sorties au restaurant ou au théâtre : ce n’est pas une réforme, c’est une mesure d’économie comme on est parfois, ou même souvent, amené à en faire. C’est ça le « paramétrique », tandis que la réforme structurelle s’apparente au remplacement de la chaudière, de la tuyauterie et du système de régulation, pour avoir un chauffage plus moderne.

La suppression des régimes spéciaux se traduirait par une diminution notable du montant global des pensions dans le système dit « par répartition ». Concrètement, l’Etat dépense actuellement près de 7 milliards d’euros chaque année pour permettre aux régimes de la SNCF et de la RATP d’être très généreux. Ce sont ces subventions publiques qui diminueraient, et avec elles le déficit de l’Etat. La première conséquence du statu quo sera donc l’abandon d’une piste de redressement des finances publiques. 

La seconde conséquence, pour les assurés sociaux ordinaires, sera le maintien d’une complication et d’une rigidité dont quasiment tout le monde se plaint. Prenons par exemple la possibilité de prendre sa retraite de manière progressive : aujourd’hui, il faut remplir des conditions très strictes, c’est la bureaucratie dans toute son horreur. Avec un système par points, il serait possible de remplacer cette réglementation ridiculement contraignante par une grande liberté. D’abord, l’assuré social n’ayant plus affaire qu’à une caisse au lieu de deux ou trois, les démarches seraient plus simples. Ensuite, celui qui aurait liquidé 50 % de sa pension et continué à travailler à mi-temps, pourrait passer à 30 % seulement, puis revenir à 50 %, ou passer à 70 %, selon que cela arrangerait son employeur et lui-même. 

Les petites entreprises ont besoin de souplesse en matière de personnel, car tout dépend des commandes qu’elles obtiennent. Cette souplesse, les retraités partiels pourraient leur en fournir une partie appréciable. Il serait également possible qu’un retraité « complet » reprenne du travail pour quelque temps, à temps partiel ou même à temps plein. Parfois, après quelques mois de retraite, on commence à s’embêter, et on n’a pas tout-à-fait assez d’argent : la souplesse du système par point permet d’arranger bien des choses. Y renoncer, ce serait choisir la rigidité et la complication au détriment du libre choix et de la simplicité.  

Et dans le cas, plutôt improbable, où seule la réforme systémique serait finalement engagée, que faudrait-il attendre ? 

Jacques Bichot : Une réforme systémique n’empêche en aucune manière ce que l’on appelle, à tort, des réformes paramétriques. Bien entendu, les responsables du système dûment réformé procéderont à des ajustements, comme le font les régimes par points actuels, l’ARRCO-AGIRC et des régimes de professions libérales. Quand le Conseil d’Administration de l’ARRCO décide de modifier la valeur d’acquisition du point, ou sa valeur de service, suivant généralement la préconisation de ses actuaires – des « matheux » possédant à fond les techniques probabilistes – il ne fait pas une réforme, mais un ajustement, exactement comme un conducteur qui lève le pied de l’accélérateur pour négocier un tournant, ou qui « appuie sur le champignon » parce qu’il aborde une montée. Parler de « réforme paramétrique » n’a aucun sens, c’est une expression dont se servent certains hommes politiques qui veulent faire croire qu’ils sont des réformateurs, alors qu’ils font tout bonnement, et souvent moins bien, ce qui relève de la responsabilité des gestionnaires. L’expression « réforme paramétrique » n’est que de la poudre aux yeux servant aux politiciens à se mettre en avant en usurpant les responsabilités des gestionnaires.

Ces mesures (et non « réformes ») paramétriques consistent à modifier la valeur de certains paramètres : durée de cotisation assurant le « taux plein », valeur des coefficients de décote et de surcote dépendant de l’âge et/ou de la durée de cotisation, taux de revalorisation des pensions, valeurs (de service, et d’achat) du point dans les régimes par points, âge pivot dans ces mêmes régimes. En se réservant ces prises de décision techniques, le gouvernement ou le Parlement se mêlent de ce qui ne les regarde pas ; ils politisent des décisions de simple gestion, ce qui est très mauvais pour les retraites, pour les travailleurs et retraités, et finalement pour le pays. 

La propension des politiques à se substituer aux gestionnaires est dramatique ; la loi devrait interdire cet empiétement sur le domaine des gestionnaires. Le jour où nous aurons des hommes politiques assez humbles et intelligents pour voter une loi leur interdisant de se mêler de ce qui n’est pas de leur compétence, un grand pas en avant aura été fait. Hélas, comme on dit, ce n’est probablement pas demain la veille de ce jour.

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