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Retraites : le modèle suédois ne va pas si mal que ça, merci
©Reuters

La réforme venait du froid

Le système des retraites en Suède, bâti dans les années 1990, a prouvé sa robustesse et inspiré de nombreuses réformes, comme celles menées en France. Ce modèle est pourtant contesté par un nombre important de Suédois, selon des informations des Echos.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico.fr : Un article des Echos publié hier matin signale que le modèle de système des retraites suédois est de plus en plus contesté dans le pays scandinave. Pourtant, ce que dit cette contestation de la réforme actuelle en France n'est pas exactement ce que l'on croit. 

Quelles sont les principales caractéristiques du système des retraites suédois ? Pourquoi est-il contesté ? 

Eric Verhaeghe : La Suède a expérimenté, et fait même figure de pays pilote en quelque sorte, le système de retraites par points qu'Emmanuel Macron envisage de mettre en place en France. C'est une sorte de cas d'école ou de cas pratique qui sert de référence à la petite constellation des initiés en matière de retraite. Le principe suédois est exactement le même que celui qui inspire Emmanuel Macron, et qui fut théorisé en son temps par l'économiste français Antoine Bozio, proche de Thomas Piketty. Il est important de préciser ces points anecdotiques, car ils rappellent que la source d'inspiration de Macron, sur ce dossier, est beaucoup plus à gauche qu'à droite. 

Dans la pratique, la réforme suédoise a créé un compartiment de retraite universelle par points, avec un monopole public, qui a, comme le gouvernement français le préconise, mis plusieurs années à voir le jour puis à se déployer. Ce premier compartiment fonctionne par répartition. Mais la comparaison s'arrête un peu là, car le système suédois comporte de nombreuses différences majeures avec le projet macronien, qui est beaucoup plus étatiste, beaucoup plus socialisant que le projet suédois, ce qui n'est pas rien. En particulier, les Suédois ont limité les cotisations retraites pour ce premier étage à 16% des salaires, soit dix points de moins qu'en France. Cela fait quand même une sacrée différence. Deuxième originalité fondamentale : le système suédois s'est intégré à la norme occidentale, et comporte trois étages. Le premier étage est public, monopolistique, par capitalisation. Le deuxième étage est tout aussi obligatoire, mais fonctionne par capitalisation, et permet de constituer des fonds de pension. Le troisième étage fonctionne aussi par capitalisation et peut-être qualifié de surcomplémentaire. 

On mesure ici l'écart avec le projet de la majorité marcheuse, qui ne comporte qu'un étage, celui du régime de base. Ajoutons même son anomalie: le projet macronien a l'ambition d'absorber, de faire disparaître le système complémentaire de l'AGIRC-ARRCO bâti en 1947 par réaction à la mise en place du régime général. Il faut retenir ce point, qui est d'apparence technique, mais qui est essentiel dans la conception de la réforme. Officiellement, les marcheurs sont des européistes, mais ils se battent aujourd'hui contre une harmonisation européenne des retraites en créant un système à étage unique, alors que nos partenaires ont tous peu ou prou validé un système avec un régime de base "solidaire" par répartition, puis deux étages en capitalisation, dont un obligatoire. Le système suédois répond à cette trame. 

N'a-t-il pas l'avantage, contrairement à la manière dont la réforme est menée en France, d'annoncer la couleur et de poser tout de suite la question de l'équilibre comme une question prioritaire ? 

Vous avez raison d'attirer l'attention sur un point : le mécanisme de pilotage du système de base, qui exclut tout déficit. Au nom de ce principe, le système suédois prévoit une baisse des pensions automatique pour respecter l'enveloppe de 16% de cotisations. 

Ce mécanisme appelle de nombreux commentaires. D'abord pour dire qu'il remet en cause la notion de prestation garantie ou définie telle qu'on le comprend en France. Pour beaucoup de Français, la retraite est une promesse gravée dans le marbre. On cotise toute sa vie à un taux donné pour financer la retraite des autres, avec la promesse qu'on bénéficiera le moment venu du même traitement. Cette promesse, qui est en réalité une illusion, s'appelle la solidarité intergénérationnelle. Elle explique que de nombreux retraités se mettent dans une rage sans limite quand l'Etat leur demande un effort. 

En réalité, le gouvernement devrait, sur ce point, prendre le taureau par les cornes et rappeler aux retraités que cette promesse est un leurre. D'ailleurs, elle a souffert de nombreux coup de canif depuis une trentaine d'années. D'une part, ceux qui ont bénéficié de la retraite à 60 ans ont reçu un beau cadeau par rapport à leurs prédécesseurs. Ensuite, dans les années 90, il a fallu augmenter les cotisations pour éviter une Berezina dans les comptes publics. Cette augmentation a conduit à diminuer mécaniquement le rendement des cotisations, puisque, dans le même temps, les retraites n'ont pas augmenté. 

Ce disant, il ne faut pas faire d'angélisme. Le mécanisme d'ajustement automatique prévu en Suède existe surtout sur le papier, mais il est difficile à mettre en œuvre. L'année où les Suédois l'ont appliqué, la grogne a soufflé, et les gouvernements successifs ont compris que cet outil était un explosif puissant qui devait être manié avec précaution. Dans tous les cas, le système des retraites, quel que soit le pays, s'accommode mal d'un pilotage automatique. 

Est-il possible de s'inspirer d'un système de ce genre au regard de la réalité sociale française ? Quelles sont les limites ?

On comprend bien la tentation de la technostructure française de mettre en place une machine de ce genre, en imaginant qu'un algorithme va équilibrer les comptes sans arbitrage politique. Pour y parvenir en France, il faut vaincre une croyance populaire naïve, celle qui consiste à faire croire qu'on peut garantir à un cotisant, à un moment de sa vie, qu'il touchera vingt ans plus tard une rente sans possibilité de diminution, et ce pendant une durée moyenne de près de vingt-cinq ans. On voit bien que, même en consacrant la part record de 14% du PIB à la délivrance de cette promesse, il faut tôt ou tard adopter des mécanismes de diminution des pensions. C'est ce que font les gouvernements depuis Marisol Touraine en pratiquant une désindexation partielle sous une forme ou une autre, des retraites. Ce n'est ni plus ni moins qu'une façon de diminuer les rentes versées. 

Il faut ici se garder de tout French bashing. Redisons-le, en Suède, le mécanisme d'ajustement a été adopté après de longues discussions, après la réforme elle-même, et il n'est pas mis en œuvre de façon aveugle ni rigide. On peut penser que la France ne fera pas mieux, mais elle n'est pas la seule. Dans le cas de la France, le gouvernement "aggrave" son cas en quelque sorte. Le régime obligatoire par répartition sera financé par une cotisation de 28% et non de 16%, et il ne sera pas accompagné de deux étages complémentaires. Toute baisse des pensions sera donc ressentie de façon beaucoup plus dure et rendra dans la pratique tout ajustement impossible. 

Pour éviter un naufrage social ou financier dans les dix ans à venir, un préalable à la réforme française consiste donc à expliquer clairement aux Français que le rendement du point qui détermine le montant de la retraite versée chaque mois a valeur d'indication et non d'engagement. Ce n'est pas une rente garantie ou définie, c'est une prévision qui reste dépendante des circonstances économiques générales. Et sur ce point, je ne suis pas sûr que Macron pourrait maintenir son projet de réforme déjà très impopulaire s'il l'expliquait clairement. 

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