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Cette nouvelle ère politique que vient s’ouvrir avec la marche contre l’islamophobie
©La Croix /// Capture d'écran

Nouvelle ère

Une cinquantaine de personnalités, collectifs et associations avaient appelé à manifester, ce dimanche, contre l’islamophobie. Une marche qui a rassemblé quelques 13 500 personnes à Paris.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Comment s’est préparée cette Marche contre l’islamophobie ? Quel étaient son but, ses demandes et à quelles tensions a-t-elle conduit ?

Christophe Boutin : L’appel lancé le 1er novembre dans le quotidien Libération, et notamment relayé ensuite par Médiapart, par le collectif qui a souhaité cette « Marche contre l’islamophobie » présentait la situation faite aux musulmans de France comme presque insoutenable. Ces derniers feraient face en effet à une « stigmatisation grandissante » faite « d’invectives et de polémiques relayés par certains médias », les « groupes les plus racistes » occupant « désormais l’espace politique et médiatique français ». D’où la multiplication « de discriminations, de projets ou de lois liberticides, d’agressions physiques de femmes portant le foulard, d’attaques contre des mosquées ou des imams ». De cela, le collectif tirait la conclusion que « l’islamophobie en France est une réalité », et qu’il s’agit « d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi ». Leurs demandes étaient claires : arrêt des « discours racistes qui se déversent sur nos écrans à longueur de journée », des « discriminations qui visent des femmes portant le foulard », des « délations abusives » et des « dispositifs de surveillance de masse qui conduisent à une criminalisation pure et simple de la pratique religieuse ».

Cet appel avait été lancé à l’initiative de Madjid Messaoudene, élu de Seine-Saint-Denis, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et de l’Union Nationale des Etudiants de France (Unef), un parti et une association qui ont clairement délaissé la dialectique laïque classique de la gauche française pour le soutien aux initiatives communautaristes, et, bien sûr, par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Quant aux signataires, la liste ressemblait à un poème à la Prévert, avec, entre autres, Action Antifasciste, Émergence Femmes, Les Panthères des ministères, Cerveaux Non Disponibles, Collectif Irrécupérables, quelques imams, des associations locales de musulmans, le comique Yassine Belattar, l’écrivain Édouard Louis, l’insubmersible Isabelle Thomas, le Gilet jaune Jérôme Rodriguez, les parlementaires de la France Insoumise ou l’ancienne présidente du syndicat de la magistrature, Evelyne Sire-Marin.

Las, ce bel élan unitaire allait se gâter durant la semaine, à cause, selon Madjid Messaoudene, d’une « tentative de sabotage de la part de la fachosphère et de la gauche ». Yannick Jadot (EELV) signe ainsi, mais, dit-il, sans valider tout le texte ; François Ruffin signe lui, mais sans faire attention, entre deux gaufres et un paquet de frites, et annonce qu’il ne viendra pas ; le PS refuse que les lois laïques soient dites « liberticide », et se désolidarise en bloc ; Caroline de Haas demande le retrait de sa signature à cause d’autres signataires, dont l’iman Nader Abou Anas.

Cette marche a bien eu lien entre la Gare du nord et la Nation ce10 novembre. Comment s’est-elle déroulée ?

Selon le cabinet Occurrence, cette Marche contre l'islamophobie aurait rassemblé 13.500 personnes à Paris. Défilaient en tête notamment Madjid Messaoudene, le journaliste Taha Bouhafs et Yassine Bellatar. On aura noté, entre autres, la présence du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, d’Esther Benbassa (EELV), de Nathalie Arthaud (LO), de Ian Brossat (PCF), du mouvement Génération.s ou du NPA, de Clémentine Autain Jean-Luc Mélenchon ou Alexis Corbière (LFI), des candidats LFI aux municipales à Paris, Vikash Dhorasoo et Danièle Simonnet, mais aussi de militants écologistes radicaux ou « Antifas ».

La marche s’est déroulée dans le calme, avec comme seule perturbation une jeune femme levant une pancarte portant que « le blasphème est un droit républicain », puis dénudant son torse sur lequel était inscrit « Ne bradons pas la laïcité », avant d’être exfiltrée. Quant aux thématiques, des pancartes dénonçaient comme « islamophobes» » Éric Zemmour, Laurent Bouvet et Zineb El Rhazoui.

Il semble que durant la semaine certains aient eu du mal à accepter la dénonciation de « l’islamophobie ». Que peut-on dire de l’usage de ce terme ?

Derrière cette question de l’existence ou non d’une « islamophobie » se profilent bien des éléments. Commençons par rappeler qu’il y a en France, selon les sources officielles incontestables, nettement moins d’actes antimusulmans que d’actes antisémites ou, surtout, antichrétiens commis chaque année. Ajoutons ensuite que les Français peuvent à bon droit manifester une certaine réserve face à un islam dont se sont revendiqués les terroristes qui ont commis des attentats sur notre sol faisant depuis des années de très nombreuses victimes – sans compter le nombre impressionnant de « déséquilibrés » qui portent au quotidien des coups de couteau dans nos rues. Puisque certains veulent absolument parler de « phobie », c’est-à-dire de peur, n’oublions pas que cette dernière n’est pas seulement maladive, mais peut être le commencement de la sagesse quand elle s’appuie, non sur des fantasmes, mais sur des réalités, comme c’est ici le cas. Et nul doute que si des moines en robe safran massacraient allègrement dans nos rues on verrait rapidement poindre une « HareKrishnaphobie » qui fait actuellement défaut.

Qu’ensuite, au nom du mantra sacré martelé dans les médias selon lequel « c’est pas ça l’Islam », cette défiance bien naturelle soit présentée comme une maladie mentale par ceux qui, partageant cette religion, se montrent incapables de faire le ménage en son sein, est donc un peu fort de café. À plus forte raison quand le terme d’islamophobie, visant en fait rien moins qu’à interdire tout discours critique contre l’islam, et donc à rétablir peu ou prou un droit de blasphème, est le fer de lance du combat mené par des associations proches des Frères musulmans, dont la modération n’est pas la marque essentielle, ou soutenues par des États wahhabites que d’aucuns pourraient considérer comme un rien rétrogrades.

Pourquoi alors l’État semble-t-il si mal à l’aise pour clarifier les choses ? Ne peut-on pas légiférer, dans un sens ou dans l’autre ?

Le problème est effectivement l’inconsistance du discours étatique. Inconsistance, d’abord parce que la politique étrangère menée par notre pays le conduit à préserver des liens avec des États prônant cet islam radical mais qui contribuent aussi à soutenir notre économie. Certaines concessions sont simplement regrettables, comme la braderie à leur profit de biens immobiliers, mais d’autres plus inquiétantes, comme de permettre leur influence dans des lieux étrangers où nos soldats sont exposés et jusqu’au cœur de notre territoire.

Mais il y a inconsistance, ensuite et surtout, parce que les règles qui définissaient notre « vivre ensemble » étaient largement des règles coutumières, non écrites, allant de soi, et qu’il est très délicat de les remplacer par des règles écrites. On connaît la plaisanterie corse : « Peut-on se moquer des Corses ? Oui, mais il ne faut pas le faire ». Et pas parce que la loi le dit (on peut le faire), pas nécessairement non plus parce que, sinon, votre maison saute, mais parce que cela « ne se fait pas ». Cette pression sociale est très bien décrite par Alexis de Tocqueville lorsqu’il nous décrit des USA où l’opinion publique trace un « cercle invisible » autour de chacun. C’est un peu ce que déclarait Jean-Michel Blanquer au sujet du voile : on peut le porter, mais il vaut mieux s’en abstenir. Mais le problème est que ce système de pression sociale suppose une cohésion du groupe qui l’exerce, qui n’existe plus avec la communautarisation actuelle. Que répondre en effet à ceux qui nous disent maintenant : « On peut critiquer l’islam, mais il ne faut pas le faire » ?

Quant à la traduction en normes de ces règles non écrites, elle est bien délicate. La visibilité de l’appartenance religieuse, par exemple, n’est pas en elle-même un problème, que l’on porte une croix, une kippa, un qami ou une robe safran. Pas plus d’ailleurs que le fait de suivre les enseignements de sa religion, ce qui n’implique pas obligatoirement une « radicalisation ». Il n’est que d’écouter l’ineffable Christophe Castaner énoncer les « critères de radicalisation » des islamistes pour constater combien ceux-ci, qui ne font que recenser des pratiques religieuses, sont inopérants. Où placer la barre pour distinguer le pratiquant convaincu du terroriste potentiel ? L’État est bien incapable de proposer une solution claire, et la manifestation qui vient de se dérouler montre combien la confusion ainsi entretenue est perverse.

Si donc l’État a du mal à légiférer, n’est-ce parce que cette visibilité religieuse manifeste autre chose ? Qu’en déduisent les politiques et associatifs qui soutiennent cette Marche ?

Que nous dit cette manifestation ? La volonté de faire éclater le pacte qui avait été mis en place depuis deux siècles au sein d’une société dont l’homogénéité identitaire, jusqu’il y a trente ans, allait de soi, et ce pour imposer un communautarisme religieux certes, mais tout autant ethnique. Il est en effet impossible de ne pas faire le lien entre l’affirmation de la visibilité musulmane et la pression migratoire qui a conduit à faire entrer en masse sur le territoire des populations qui entendent maintenant y vivre selon leurs propres lois. L’absence de définition d’une identité spécifique à laquelle les nouveaux venus devaient s’intégrer a permis cela, car l’idéologie des « droits humains » et des « valeurs républicaines », loin d’être le ciment que d’aucuns promettaient, n’a contribué qu’à déconstruire nos sociétés.

Devant cet état de fait, et c’est l’ultime leçon de cette manifestation, une partie de la gauche et de l’extrême gauche a décidé de soutenir cette lutte. Pour des motifs très directement politiques parfois, pour rester au pouvoir dans des zones où le vote communautaire peut jouer un rôle électoral déterminant. Mais aussi, plus profondément sans doute, pour des motifs idéologiques, parce qu’entre « déconstruction », dolorisme paternaliste et haine de soi cette gauche veut voir là les nouveaux opprimés destinés à « régénérer » l’humanité.

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