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Ces points de clivages obsessionnels qui mettent la résilience démocratique française à rude épreuve
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

En marche vers la guerre civile ?

Les clivages et l'intolérance au sein de la société française connaissent une forte intensité et un haut degré de violence.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Une guerre civile en France est-elle possible? Dans tous les cas, les clivages et l’intolérance atteignent en France aujourd’hui une intensité et une violence comme cela arrive rarement dans l’histoire d’un pays, et comme cela semble réservé aux moments les plus exceptionnels. Le droit à la critique ou à la divergence de pensée sont sévèrement rudoyés, et l’appel à une police de la pensée qui imposerait ses substrats se généralise. Plusieurs points de fixation clive dangereusement le débat public.

La guerre civile est annoncée en France par des oiseaux de mauvaise augure. A en juger par l’état réel du débat public, on peut penser qu’elle ne figure plus seulement par les hypothèses farfelues, mais que les esprits sont suffisamment échauffés et clivés pour s’affronter durement.

La question du néo-libéralisme clive de plus en plus

L’un des points de fixation et de clivage tient à ce que la vulgate appelle « le néo-libéralisme » accusé d’être la source de tous les maux. Ce néo-libéralisme désigne alternativement les méfaits du capitalisme de connivence qui fleurit un peu partout dans le monde et les mesures prises pour lutter contre ceux-ci. Il est mis à toutes les sauces, jusqu’au point de ne plus vouloir rien dire.

Par exemple, l’état de guerre civile qui existe désormais en Equateur est attribué au « néo-libéralisme », à l’identique des événements chiliens. Pourtant, en Equateur, les émeutes sont parties d’une hausse du prix de l’essence, jusque-là fortement subventionné par l’Etat… pour le plus grand bénéfice des plus riches dans le pays. Parallèlement, au Chili, les émeutes ont eu une augmentation du prix du ticket de métro comme élément déclencheur. L’augmentation du coût d’un service public paraît peu liée au libéralisme…

Dans le cas de l’Equateur, le gouvernement se réclame de la gauche. Au Chili, il est ouvertement conservateur. Dans les deux pays, la colère éclate parce que l’Etat augmente, d’une façon ou d’une autre, la cherté de la vie. Les mouvements sociaux partent donc d’une réaction l’impôt (on dira la même chose des événements en cours au Liban).

Dans la novlangue contemporaine, lutter contre l’impôt, c’est lutter contre le néolibéralisme.

Le rejet d’un prétendu néo-libéralisme macronien inquiète

La France n’est pas épargnée par cette lutte contre le « néo-libéralisme » qui occupe autant la gauche que la droite. Des deux côtés de l’échiquier, on trouve des hurluberlus pour voir du « néo-libéralisme » partout, y compris dans les décisions les plus étatistes, les plus hostiles au marché qui soient.

Par exemple, la réforme des retraites, qui vise tout de même à créer un monopole d’Etat pour la protection vieillesse de plus de 99% de salariés, est volontiers analysée comme un avatar du néo-libéralisme, ce qui est une pure absurdité. Une bonne vision de ces élucubrations est proposée dans le dernier livre de Romaric Godin, où il est affirmé que le capitalisme aurait une revanche à prendre en France.

Cette critique d’un prétendu libéralisme macronien est présente à gauche comme à droite, et plus précisément au sein de l’extrême gauche mélenchoniste comme au sein de l’extrême droite lepéniste. Elle vise de plus en plus à antagoniser brutalement toute réflexion sérieuse sur les perspectives politiques et économiques du pays.

Nous sommes désormais sommés de choisir entre un « libéralisme macronien », fondé sur la dépense publique et l’obésité de l’Etat, d’un côté, et un dangereux statu quo, baptisé selon les moments « souverainisme » ou « solidarité », tout aussi dépensier et étatiste que le macronisme, mais réputé « anti-libéral », de l’autre côté. Ces fausses oppositions, qui sont mortifères pour la liberté de penser, dérivent peu à peu en un combat sans merci dont la violence ne demande qu’à s’embraser.

Le recours massif au droit de retrait par les agents de la SNCF le week-end dernier l’a montré : empêtrer le pays dans les blocages sera probablement une arme privilégiée pour mener une lutte front contre front.

La querelle du voile islamique ouvre la porte à la violence des réseaux

Parallèlement à ce débat sur le néo-libéralisme, la querelle du voile islamique et de la laïcité n’est pas en reste.

D’un côté, une majorité de Français se prononce pour des mesures fortes, notamment l’interdiction du voile dans les sorties scolaires. Mais une minorité, composée de Musulmans eux-mêmes, se livre, notamment sur les réseaux sociaux, à des campagnes d’une violence inouïe sur les réseaux sociaux pour dénigrer tous les adversaires du voile.

Il est évident que ces campagnes virales qui visent à intimider tous ceux qui prônent une pratique ordonnée de l’Islam en France sont structurées par de puissants réseaux, probablement financés de manière occulte. Des héroïnes contemporaines comme Zineb El-Razhoui peuvent en témoigner.

Il suffit de lire la brutalité des propos tenus par les adeptes d’un Islam de stricte observance sur Twitter pour comprendre, sur cette question plus encore que sur celle du néo-libéralisme, que les clivages sont puissants, vifs, acérés. Si le débat devait basculer (et nous sommes convaincus que des réseaux occultes s’y emploient), les conséquences en seraient désastreuses, et probablement difficiles à mesurer aujourd’hui.

Un pays qui ne demande qu’à s’embraser?

De-ci, de-là, se dévoilent dans la vie publique, dans nos rues, dans nos quartiers, les sources de tension qui ne demandent qu’une étincelle pour s’embraser. Nul ne sait laquelle des étincelles que les innombrables frottements du débat public produisent mettra le feu à la poudrière France. Mais on sent bien, dans les grands centres urbains, que les sensibilités sont à fleur de peau et que la capacité à endurer les divergences d’opinion est en forte baisse ces temps-ci.

Emmanuel Macron devrait y prendre garde. La crise des Gilets Jaunes a montré comment ce jeune homme brillant et protégé par quelques grandes fortunes dans son ascension fulgurante pouvait être démuni lorsque la rue faisait irruption dans le débat public. Le déploiement d’une violence ahurissante pour rétablir l’ordre dans les rues, sans véritable réponse politique audible a laissé beaucoup de traces qui pourraient lui nuire.

Dans les milieux privilégiés, la capacité du bonhomme à imposer son autorité sans d’épais cordons de CRS ne fait plus illusion. Pour sa plus grande chance, la détestation de la vulgate des Gilets Jaunes dans les élites oblige à ne pas le lâcher, mais ce soutien n’est que transitoire. Dans les milieux populaires, beaucoup sont plein de rancoeurs et veulent prendre une revanche. Dans les minorités agissantes, son indécision sur la laïcité attise les ambitions.

Toutes ces catégories de population partagent un point commun : elles sont convaincues que la République est à bout de souffle sous son format actuel, et qu’une rupture est inévitable.

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