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La justice française face au redoutable piège des tensions communautaires
©Flickr

Deux poids, deux mesures ?

Plusieurs dossiers à forte résonance médiatique tendent à montrer que les propos sur les dangers de l’islamisme sont plus facilement condamnés que ceux qui attribuent à l’Etat ou à la société française un caractère raciste systémique. Entre liberté d’expression et protection de la République, quel équilibre (re)trouver ?

Brice Couturier

Brice Couturier

Brice Couturier est journaliste. Il a été rédacteur en chef du Monde des débats et collabore au Point. Il est l'une des voix de France Culture, où il présente chaque jour "Le tour du monde des idées". Il est notamment l'auteur du très remarqué Macron, un président philosophe (Éditions de l'Observatoire, 2017).

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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On a appris ce mardi, 22 octobre 2019, que le préfet de la Drôme Hugues Moutouh avait décidé de lancer une procédure en justice contre Hakim Madi, un citoyen engagé en politique, qui s'est présenté plusieurs fois à des élections et qui a accusé l'Etat français d'aller vers l'apartheid et de mener une politique de chasse aux musulmans. 

Atlantico.fr : La radicalité de ce genre de propos doit-elle autoriser l'Etat à ce type de poursuites ? Pourquoi ? 

Brice Couturier : C'est un grave mensonge d'accuser l'Etat français actuel de racisme. C'est une grave diffamation envers l'Etat qui au contraire lutte contre le racisme avec toutes les armes légales dont il peut disposer. Les universitaires, les médias qui proclament qu'il y a un racisme d'Etat, il faut que cela cesse. Ce n'est pas la première fois que l'expression "racisme d'Etat" est utilisée. Il y a un nombre croissant d'institutions qui font des colloques, des réunions, etc., qui mettent en cause ce racisme de l'Etat français. Aujourd'hui, dire une chose pareille, c'est absolument scandaleux. On retrouve cette idée dans tous les mouvements qui tournent autour de l'indigénisme, du décolonialisme, qui profitent de cela. Je ne nie pas qu'il y ait du racisme dans la société française, évidemment. Mais l'Etat français n'est pas un Etat raciste. 

Jusqu'à présent, on a eu affaire à un Etat faible. Sous les Présidents précédents, l'Etat s'est laissé conspuer et calomnier sans réagir. Là, on a un préfet qui surement n'agit pas sans l'aval de son ministère et de son ministre, qui attaque en justice l'individu qui s'exprime comme cela. Je suis pour ma part libéral, mais comme mon maître Raymond Aron, je suis favorable à un Etat fort dans le domaine régalien. Aujourd'hui, une des principales aspirations de la population, c'est précisément d'avoir un Etat qui montre sa force, qui ne passe pas son temps à se cacher. Je suis donc favorable à ce type de plaintes. 

Frédéric Mas : Je ne pense pas que la procédure entre dans le cadre de la diffamation, et à titre personnel, je pense que la liberté d'expression doit être absolue. Il est très dangereux de commencer à pénaliser des gens pour ce genre de propos, y compris les plus radicaux. C'est donner à l'Etat, encore une fois, une nouvelle prérogative et un nouveau moyen d'encadrer la liberté d'expression qui l'est déjà assez en France. C'est déjà la partie malade de notre système judiciaire. L'encadrement de la parole est quelque chose qui s'est notamment accélérée sous le mandat de François Hollande et d'Emmanuel Macron, avec la loi Avia. Donner un instrument supplémentaire de censure de l'expression libre du citoyen, y compris pour des propos aussi radicaux et extrêmes, me paraît à la fois attentatoire à la liberté d'expression et de l'ordre du mauvais calcul : cela rend en effet invisible un certain nombre de propos radicaux, alors qu'on a tout intérêt au contraire à les avoir devant les yeux. 

Ne faut-il pas voir dans ce type de propos un risque de cliver encore plus la société française ? Est-ce que cela ne risque pas de propager des polarisations entre des groupes qui finiraient par s'enfermer dans leur bulle, avec des réactions identitaires qui peuvent être vives ?  

Brice Couturier : Vous avez raison, ces propos, et de manière générale, le fait d'accuser l'Etat de racisme, c'est une façon d'entraîner une partie de la population contre l'Etat républicain, et c'est donc absolument crapuleux. L'Etat ne doit pas interdire de s'exprimer et de notamment de critiquer l'Etat. Mais cette expression là dépasse la critique. C'est un appel à la guerre civile, un appel qui est transmis par des groupes qui ont pignon sur rue, qui tiennent des colloques, qui ont des cours, et qui transmettent cette idée. Il y a des choses qu'on ne peut pas se permettre, et il est bon, lorsque ces expressions se rencontrent, que l'Etat se défende. Cette expression vient des Etats-Unis, des cultural studies américaines qui n'arrêtent pas de dire que l'Etat américain est raciste. Mais l'Etat français n'est pas raciste et donc c'est une calomnie. 

Frédéric Mas : Il y a en fait un autre problème pratique de mon point de vue. Si on interdit les discours radicaux, ils vont entrer dans la clandestinité, et cela sera encore pire pour les identifier pour les pouvoirs publics. Ce n'est pas parce que l'on décrète demain que les discours des islamistes radicaux doivent être interdits qu'ils disparaîtront. C'est totalement superficiel comme traitement du problème. L'Etat, en réglementant la liberté d'expression, se prive des indicateurs pour mesurer le degré de radicalisation de certaines franges de la société. 

Le degré d'efficacité de cette mesure est extrêmement limitée aujourd'hui, justement à cause des réseaux sociaux et de la multiplication des canaux qui permettent justement de passer en-dessous des réseaux officiels du débat public. Au contraire, c'est une perte de temps que de vouloir pénaliser ce genre de choses parce que finalement, cela va mobiliser des fonctionnaires, un préfet, tout un ensemble de personnes pour pénaliser ces discours, mais en pratique, s'il y a radicalisation du discours, il continuera de perdurer sous forme de marché clandestin de la liberté d'expression.

Dans un monde idéal, la liberté d'expression devrait être totale. Mais l'est-elle pour une partie de la droite ? Dans ce cadre, n'est-ce pas une mesure d'une certaine façon équitable ? 

Brice Couturier : Si Eric Zemmour diffame un jour quelqu'un, s'il accuse quelqu'un ou une institution de prôner la guerre civile, je pense que les tribunaux l'attaqueront à la demande de la personne. Quand c'est l'Etat qui est diffamé, l'Etat doit se défendre comme n'importe qui. On est dans le cadre d'une diffamation. Dire que l'Etat français, aujourd'hui est un Etat qui pratique le racisme d'Etat, c'est une grave diffamation. Voilà mon point. Cela n'a rien à voir selon moi avec la liberté d'expression : la diffamation, il y a des lois contre cela. L'Etat a des moyens pour se défendre. Parmi ses fonctions régaliennes, il y a la lutte contre le racisme, ce que l'Etat fait fort bien et pour une fois l'Etat ne va pas se laisser ridiculiser sur cette question.

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