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Les musulmans persécutés en France ? La réalité par les chiffres
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Persécutions ?

Vikash Dhorasoo a publié un message sur Twitter sur la "persécution envers les musulmans" de France après le débat sur le port du voile lors des sorties scolaires. 90 personnalités, dont Omar Sy, ont également signé une tribune afin de dénoncer ceux qui stigmatisent les musulmans.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Atlantico.fr : Vikash Dhorasoo s'est exprimé sur Twitter dans le cadre du débat sur le port du voile lors d'accompagnements scolaires. Il affirme qu' "il faut dénoncer la persécution envers les musulmans en France ! ". Cette déclaration fait écho à la pétition signée par beaucoup de personnalités médiatiques hier contre la haine des musulmans. Dans les faits, les musulmans sont-ils victimes de persécutions plus importante que les juifs ou les chrétiens ? 

Gilles Clavreul : Dans les moments où les passions semblent l’emporter et où le buzz appelle le buzz, la sagesse commande de couper court à la surenchère, et ne surtout pas désigner tel ou tel à la vindicte. Ce sont des idées dont on peut débattre, et que le cas échéant il faut critiquer, non des personnes, sauf mauvaise foi manifeste. Je pars du postulat que la plupart des citoyens, et même la majorité des intervenants dans le débat public, sont au contraire de bonne foi et expriment des inquiétudes ou des indignations sincères ; ce qui n’oblige pas à être la dupe du jeu des entrepreneurs identitaires, qui soufflent sur les braises. Dans un climat tendu, c’est ce qu’a fait ce jeune élu du Rassemblement national, en prenant prétexte de la présence d’une femme voilée dans le public, lors de l’assemblée du conseil régional de Bourgogne-France-Comté, pour faire un esclandre. Rien ne va dans cette intervention, ni la forme, qui est humiliante, ni le fond, qui convoque des principes « laïques et républicains » qui n’ont jamais interdit le port de signes religieux parmi le public qui assiste aux assemblées élues, principes qu’au demeurant la formation auquel ce monsieur appartient a toujours combattus et méprisés. Son comportement, qui n’est pas digne d’un élu de la République, a soulevé une légitime réprobation.

Condamner cette provocation, refuser le dévoiement de la laïcité, ne pas confondre le combat des idées avec le dénigrement des personnes, voilà qui devrait nous unir. Pour autant, c’est vrai, la pétition parue sur une pleine page du Monde pose question : à la fois par ce qu’elle dit, en pointant un index accusateur non pas seulement, et en fait non pas tellement, vers le Rassemblement National, mais plutôt vers la droite et la gauche républicaines, en particulier vers Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale, lorsqu’il dit que le voile des mères accompagnatrices est autorisé mais qu’il n’est pas « souhaitable ». Refuser l’amalgame entre islam et islamistes, c’est nécessaire ; mais si c’est pour tomber dans un autre amalgame, entre républicains et extrême-droite cette fois, ce n’est pas mieux. Mais cette pétition interroge aussi par ce dont elle ne parle pas, c’est-à-dire un contexte marqué par le dernier attentat islamiste à la préfecture de police, et par la progression régulière d’un islam radical qui, pour n’être pas toujours violent, porte des valeurs qui sont le contraire des principes de la République, et qui fonctionnent en partie sur des ressorts communs à ceux de l’extrême-droite : la dialectique « eux et nous », l’obsession pour l’identité, etc. Mal poser les sujets ou retenir des critères contestables pour lutter contre la radicalisation, évidemment ce n’est ni à encourager, ni à défendre : l’exécutif, qui a décidément du mal à tenir une ligne claire sur ces questions compliquées, s’attire des reproches justifiés lorsque le ministre de l’intérieur fait un portrait-robot caricatural du « radicalisé » (il n’y a qu’à le comparer aux profils des jihadistes ayant sévi ces dernières années pour s’apercevoir qu’une barbe longue n’est pas prédictif d’un passage à l’acte…). Mais cela n’invalide pas la lutte contre la radicalisation dans son ensemble : le risque terroriste n’est pas une fabrication de l’extrême-droite, la progression du séparatisme sur fond de prosélytisme islamiste non plus ! Là-dessus, la pétition du Monde reste silencieuse, comme si cela n’existait pas.

En résumé, il y a une lutte symbolique pour s’accaparer le monopole de la lutte contre la « vraie » haine : du côté de l’extrême-droite et de la droite extrême, on concède du bout des lèvres, « certes, oui bon d’accord, il y a bien quelques débordements de fachos, mais pour l’essentiel le vrai problème est l’islamisme ». Mais du côté de la gauche progressiste, on devrait être un peu moins naïfs envers ceux qui disent : « bon, il peut y avoir des petites bouffées antisémites, quelques paroles malheureuses contre les « blancs », mais le vrai problème c’est le racisme systémique ». Ces deux discours se ressemblent terriblement, et pour cause : ils sont construits selon une logique identique, essentialiste et manichéenne.

Comment ont évolué les actes anti-musulmans depuis quelques années ? 

Ils sont structurellement peu nombreux, de l’ordre de 100 à 200 faits par an. Il y a eu une flambée au premier semestre 2015, à la suite des attentats : 178 actes pour le seul mois de janvier, soit plus qu’au cours d’une année « normale ». En 2018, le nombre d’actes anti-musulmans est retombé à 100, c’est-à-dire deux par semaine pour toute la France. Certes il y a de la sous-déclaration, mais cela touche toutes les catégories d’actes racistes. Certes, il faudrait ajouter certains actes dirigés contre des personnes maghrébines qui visent autant la religion que l’origine. Mais la violence physique ou verbale n’est pas ce dont les musulmans souffrent le plus : ils sont d’abord victimes de la relégation sociale, des préjugés, de discriminations. Le phénomène touche inégalement le territoire national, mais dans certaines régions où je me rends souvent, dans les Hauts-de-France, en Occitanie ou en PACA, par exemple, cette mise à l’écart est visible dans le partage de l’espace, et audible dans les discours. C’est pour cela que lutter contre le racisme sans une politique énergique de lutte contre les discriminations, de résorption des ségrégations spatiales et de lutte contre les inégalités d’accès à l’emploi et au savoir, je n’y crois pas beaucoup. On le voit d’ailleurs : que fait-on pour casser les ghettos ? Pas grand-chose, il faut bien le dire. Je suis pour une parole républicaine forte ; mais une parole républicaine forte sans action déterminée pour résorber les inégalités, cela ne vaut pas grand-chose…

Vikash Dhorasoo compare le silence face à cette persécution comme le silence des intellectuels de l'Allemagne nazie. La comparaison peut surprendre... Comment l'histoire est invoquée par ceux qui souhaitent mettre de l'huile sur le feu ?

Ce parallèle avec la période nazie est très douteux. Je ne sais pas si Vikash Dhorasoo se rend vraiment compte qu’il reprend une rhétorique imaginée par les islamistes – ce qui ne manque pas de sel quand on sait les liens entre Hitler et le grand mufti de Jérusalem, ou encore les emprunts multiples des idéologues des Frères musulmans, comme Saïd Qutb, à l’antisémitisme nazi. Mais même en mettant cet aspect de côté, le parallèle ne tient pas une seconde : dans les années 1930, un régime totalitaire, appuyé sur une idéologie raciste, a théorisé  la hiérarchie des races et mis en pratique la persécution, puis l’extermination systématique d’un peuple. C’est ce que Johann Chapoutot appelle « La loi du sang ». Quel rapport avec les démocraties d’aujourd’hui, et la nôtre en particulier ? L’antisémitisme était bien sûr présent dans la société française à cette époque là, mais il n’a jamais été une doctrine d’Etat jusqu’à ce que la République cesse d’être. Et si la République s’est écroulée, quitte à faire des parallèles historiques, rappelons que c’est aussi en partie parce que tout une partie de la gauche ne voyait pas de différence majeure entre Blum le social-traitre, vendu au capitalisme apatride, et Hitler le nationaliste soutenu par le patronat allemand.

D'où vient selon vous cet aveuglement sur les faits ? Est-on face à une forme de naïveté ou face à quelque chose de plus inquiétant ? 

Ce que je redoute est que ces mouvements de balancier identitaires, dont les oscillations sont de plus en plus grandes, ne soient pas la cause, mais plutôt l’effet d’un effondrement moral bien plus grave.

L’effondrement moral, ce n’est jamais un phénomène univoque : il se produit quand on perd le sens des réalités et le sens des proportions, que l’on confond les périodes historiques, même lorsqu’on est ou qu’on se croit animé des meilleures intentions du monde. Que les gens modestes ressentent des peurs et des colères, c’est normal et je n’aime ni qu’on méprise cela, ni qu’on choisisse entre les « bonnes » colères et les mauvaises, ni surtout qu’on se montre compréhensifs voire complaisants envers des formes de violence qui s’ennoblissent de « rébellion ». Ravager un centre commercial, c’est condamner des travailleurs immigrés à partir aux aurores de chez eux pour venir ramasser et réparer les dégâts. Quand, en plus, cela donne lieu à des tags pour appeler à brûler les flics ou pour glorifier l’attentat de la préfecture de police, c’est indécent. Les pétitionnaires du Monde parlaient de silence face à la violence ? Là, on peut dire que le silence de beaucoup de défenseurs auto-proclamés de la justice sur ces exactions est éloquent…

La seule chose un peu réconfortante, c’est que les Français se tiennent dans leur grande majorité assez loin de tout ce cirque – car c’est aussi, d’abord, un cirque médiatico-militant. En effet, les enquêtes le démontrent, même s’ils redoutent le communautarisme, ils rejettent globalement le racisme et la stigmatisation. Ce qui est plus inquiétant, c’est de voir des élites se mêler des affaires identitaires, non pour les déplier, mais au contraire pour catalyser et amplifier la grogne. De part et d’autre de la tenaille identitaire, on acquiesce à la partition ethnique comme une évidence : à l’extrême-droite, c’est un fait entendu, puisqu’elle n’existe que pour et à travers cette guerre des identités. Mais à gauche, c’est nouveau et c’est grave. C’est d’autant plus grave lorsque ce n’est plus l’expression d’une colère, mais une prétention savante, qui entend « déconstruire » une réalité présentée comme un destin, celle de « races sociales » (sic) qui verraient depuis un temps immémorial la domination du colonialisme « blanc » sur les peuples « racisés ». Fondée sur une histoire tronquée et falsifiée, cette doctrine pavée de bonnes intentions mène tout droit à la guerre des civilisations. De fabrication universitaire autant que militante, elle est aujourd’hui présente, vulgarisée et adoucie, dans les médias. L’indigénisme se dédiabolise et devient mainstream, tout comme Zemmour, de son côté, a normalisé l’éloge de Pétain. Ces deux discours, ces deux démarches se ressemblent : non seulement par leur radicalité, mais aussi parce qu’elles sont le fait de gens qui, pour l’immense majorité d’entre eux, dénoncent des situations qu’ils ne connaissent pas ou ne connaissent plus, et qui, n’ayant rien à craindre personnellement d’une guerre des identités, auraient beaucoup moins de raisons d’apparaître si les choses allaient mieux dans le pays. La guerre identitaire, ce n’est pas seulement un fait politique, c’est aussi un business et un statut social.

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