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Quand les Etats européens trichent avec les règles de comptabilité pour faire croire à leur vertu énergétique
©LOIC VENANCE / AFP

Green-Washing

Un nombre de plus en plus importants d'États européens envisagent d'utiliser des techniques comptables douteuses pour remplir les objectifs d'économies d'énergie mis en place par la Commission Européenne. Une pratique qui conduit à s'interroger sur l'efficacité des directives énergétiques européennes.

Axel Vallée

Axel Vallée

Chercheur à l'institut Sapiens. Economiste formé à l'Université de Strasbourg, particulièrement intéressé aux questions européennes.

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Atlantico : Quelles sont les méthodes utilisées par ces pays (République Tchèque par exemple) pour remplir les exigences d'économie d'énergie de la directive sur l'efficacité énergétique ?

Axel Vallée : Tout d’abord, il faut rappeler que l’objectif de cette directive est de mesurer les efforts effectués par chaque pays membre dans la baisse de production de gaz à effet de serre, indicateur principal de la lutte contre le réchauffement climatique. L’Europe pose donc une question simple : montrer par quels moyens vont être atteints au niveau national les objectifs qui ont été fixés au niveau communautaire

C’est à ce moment que la difficulté apparaît, chaque pays dispose d’une méthode comptable différente, les politiques publiques menées dans ce domaine sont différentes, et il est difficile de quantifier les impacts de ces mesures.

L’élément principal réside dans la temporalité des mesures, celles qui ont été mises en place hier continueront à avoir un impact demain. C’est la stratégie de certains pays comme la République Tchèque par exemple. Une augmentation de la TVA sur le carburant il y a 5 ans continue d’avoir des effets positifs aujourd’hui sur la réduction de la production de gaz à effet de serre. Ces pays calculent la production de gaz à effet de serre qu’il y aurait si cette taxe n’avait pas été mise en place. Assurément la consommation énergétique aurait été aujourd’hui plus élevée.

Si on accepte cet argument c’est la porte ouverte à des mesures de bricolage budgétaire pour respecter les directives européennes. On comprend rapidement que ce type de stratégie remet en cause l’intérêt même de la directive.

Au-delà même de la stratégie consistant à contourner la directive européenne, on constate bien que la mesure de l’impact environnemental est une affaire délicate. Cette année en France et pour la première fois, Bercy décide de publier les mesures environnementales de son projet de budget pour l’année 2020 dans un « livret de la transition écologique ». On retrouve des mesures effectivement chiffrables et fer de lance d’une politique en faveur de l’environnement, comme l’instauration d’une taxe sur les billets d’avion. Mais dans le même temps, on retrouve le maintien de mesures à contre-sens de la politique environnementale, comme l’exonération de taxe sur le gazole utilisé dans le secteur routier ou dans le BTP.

En quoi est-ce lié au fait que les objectifs européens sont trop élevés ou que l'orientation générale est sujette à caution ?

Le problème ne vient pas tant de la difficulté à atteindre les objectifs européens fixés. Ces objectifs sont élevés, mais cela provient du fait que l’Europe est un des meilleurs élèves mondiaux sur la production de gaz à effet de serre. Pour un euro de PIB produit, c’est en Europe que la production énergétique dépensée pour l’obtenir est la plus faible. L’orientation générale elle-même est claire, le rôle de l’Europe dans les négociations internationales pour la lutte contre le réchauffement climatique n’est plus à défendre.

Le problème vient surtout de l’hétérogénéité des États-membres. En 30 ans, on estime que la production d’électricité aura généré en Allemagne environ 10 milliards de tonnes de CO2, là où la production française en aura généré 1,5 milliards. Quand la France fait le choix du nucléaire, l’Allemagne a fait le choix du charbon. Les différentes politiques nationales entrainent des difficultés à tracer un cadre communautaire clair et stable dans le temps.

Il faut tout de même souligner l’objectif global de tous les pays européens sur les énergies renouvelables, c’est dans ce secteur que les efforts sont coordonnés aujourd’hui, et le seront plus encore à l’avenir.

Ce cas semble également révélateur des problèmes de transparence de l'Union sur ces enjeux énergétiques. Est-ce qu'il n'y a pas une volonté de conserver une façade verte sans regarder l'efficacité dans le détail ?

La question de la politique énergétique ne touche pas uniquement au domaine de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Il ne faut pas oublier les considérations géopolitiques et économiques qui sont fortement liées à la question énergétique.

Une fois encore, la politique de l’Union est dépendante avant tout des politiques énergétiques nationales. Lorsque l’Allemagne souhaite mettre fin à sa production d’électricité au charbon, c’est vers le gaz qu’elle va devoir se tourner, les énergies renouvelables ne permettant pas à l’heure actuelle d’assurer la production nécessaire. La production au gaz dépendra donc nécessairement des grandes puissances qui en produisent, comme la Russie et de plus en plus les États-Unis qui développent le gaz de schiste dans cet objectif d’indépendance énergétique.

Prenons l’hypothèse d’une politique forte de l’Union Européenne qui souhaiterait voir disparaître les véhicules diesel pour les remplacer par des véhicules électriques. L’objectif énergétique et environnemental est tout à fait louable, mais les conséquences géopolitiques n’en sont pas moins importantes. La production de batterie se fait principalement aujourd’hui en Chine, de même que les panneaux photovoltaïques. Faut-il vraiment faire des choix environnementaux qui nous placeraient en situation de dépendance vis-à-vis de la Chine, responsable de 24% des émissions mondiales de CO2 ?

En conclusion, l’avenir de la politique énergétique européenne se situe avant tout dans la capacité de l’Europe à innover pour anticiper les besoins et les solutions de demain. Cela lui permettrait de se mettre à l’abri de la dépendance énergétique envers d’autres grandes puissances, et permettrait une véritable harmonisation à termes des mix énergétiques nationaux.

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