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Etat omnipotent, gabegie budgétaire, complexité administrative, idéologie : les fléaux qui expliquent la manie des impôts en France
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Virginie Pradel publie "Impôts-mania" (éditions de l’Observatoire). Virginie Pradel dévoile les secrets de notre système fiscal et propose des solutions pour sortir de cette désastreuse "exception française". Extrait 1/2.

Virginie Pradel

Virginie Pradel

Virginie Pradel est fiscaliste. Elle a fondé en 2018 l'Institut de recherche fiscale et économique Vauban, dont l'objectif est de vulgariser la fiscalité afin de la rendre plus accessible aux Français. Elle publie régulièrement des tribunes dans la presse. Impôts-mania est son premier ouvrage.

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La première cause de l’impôts-mania est l’émergence et le consolidement en France d’un État absolu. Notre État intervient aujourd’hui partout, y compris là où il n’est ni légitime ni compétent. Ces interventions pléthoriques se font bien entendu à notre détriment dès lors que nous devons les financer via des prélèvements toujours plus exorbitants. Comment expliquer cette survivance d’un État absolu deux siècles après l’effondrement de la monarchie absolue en 1789 ? Tout d’abord par notre aversion irrationnelle pour le « privé » et notre attachement indéfectible au « public », quand bien même ses résultats seraient catastrophiques. Ensuite, par la confusion persistant entre services publics et services gratuits : pour beaucoup d’entre nous, l’éducation, les soins, les retraites, le chômage pris en charge par l’État n’auraient aucun prix. Or, ils en ont bel et bien un ! Et force est de constater qu’il est de plus en plus élevé en comparaison de la qualité des services octroyés. À titre d’exemple, le coût annuel d’une année au collège était d’environ 8 700 euros par élève en 2017, dont près de 8 000 euros financés par l’État et les collectivités territoriales – donc par nous. 

La deuxième cause de l’impôts-mania, liée à la première, est la gabegie institutionnalisée, à savoir la manie française de dépenser toujours plus et toujours plus mal. Notre pays a connu une flambée incontrôlée de dépenses publiques inutiles au cours des dernières années ; celle de nos prélèvements n’en est que la contrepartie inévitable. En effet, malgré une croyance très répandue en France, il n’est pas possible d’augmenter les dépenses sans augmenter les prélèvements. Si cette équation budgétaire est simplissime et tombe sous le sens, elle échappe étrangement à la plupart de nos gouvernants… et à bon nombre d’électeurs, qui continuent de croire aux « miracles fiscaux », à savoir aux suppressions ou baisses de prélèvements, sans baisses de la dépense publique. Rappelons-le : ce n’est pas possible ! De nouveaux prélèvements arriveront nécessairement tôt ou tard pour combler le trou budgétaire ou éponger notre dette devenue obèse. 

La complexité et l’opacité grandissantes de notre système fiscal sont la troisième cause du phénomène d’impôts-mania. En France, tout est malheureusement orchestré pour qu’une majorité ne puisse rien comprendre et, par suite, rien contester. Notre bric-à-brac fiscal est devenu totalement inaccessible au citoyen lambda ; il est l’apanage de hauts-fonctionnaires de Bercy et d’une petite élite de fiscalistes, qui luttent eux-mêmes pour ne pas se laisser submerger par le flot de nouveautés et de complexité. L’opacité a plusieurs effets pervers, dont celui de rendre invisibles les prélèvements que nous payons, soit parce qu’ils sont ingénieusement dissimulés, soit parce qu’ils sont automatiquement prélevés, si bien que nous cessons de nous en préoccuper et finissons par (presque) les oublier… Autre effet pervers de l’opacité : la résignation (légitime !) d’une grande partie d’entre nous. Nous vivons l’excès de fiscalité comme une fatalité et ne prêtons même plus attention aux promesses de baisse régulièrement formulées.

Dernière cause de l’impôts-mania : les idéologies, illusions et marottes fiscales. On le sait : la fiscalité française se nourrit plus d’irrationnel que de rationnel, de dogmatisme que de pragmatisme. Notre folle fabrique des prélèvements est alimentée, non seulement par l’idéologie égalitariste, mais aussi par ces illusions et marottes que sont la « solidarité nationale » et la « justice fiscale ».

Il faut taxer les « riches » et les « très riches » – et tant pis s’ils s’exilent… Taxe à 75 %, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, taxes sur les grosses cylindrées, taxes sur les yachts, etc. Nos gouvernants nous infligent une « fiscalité-spectacle » dont la finalité est moins la réalisation d’objectifs budgétaires que l’affirmation ostentatoire d’options idéologiques. Un seul mot d’ordre : faire sensation, quel que soit le degré de pertinence et de nuisance des annonces.

Les conséquences de l’impôts-mania

La première conséquence de ce système fou est l’inflation incontrôlée des prélèvements. Nous ne comptons plus ni les nouveaux prélèvements, ni les prélèvements en hausse, ni les prélèvements « mutants ». Et tant mieux, car plus personne en France ne semble capable de les compter, y compris le Conseil des prélèvements obligatoires, pourtant en charge de les étudier. Cette inflation en entraîne une autre : celle du « blabla » fiscal (à distinguer du vrai « débat fiscal », qui nous a été confisqué). Impôts-mania oblige, il a pris une ampleur disproportionnée en France, au point de devenir quasi permanent. L’impôt et les autres prélèvements sont dans le débat du 1er janvier au 31 décembre et il est devenu exceptionnel qu’une semaine passe sans que ne survienne une nouvelle annonce fiscale. La cacophonie gouvernementale n’est pas pour rien dans ce triste constat. Les déclarations s’enchaînent… et se contredisent malheureusement souvent. Ce qui est annoncé le matin est ainsi généralement démenti l’après-midi même, avant de parfois être confirmé dans la soirée, et finalement abandonné le lendemain, puis, tout compte fait, remplacé par une nouvelle idée le surlendemain ! Les exemples ne manquent pas à cet égard : ISF, taxe d’habitation, taxe carbone, impôt sur le revenu, droits sur les successions… Certes, nos gouvernants nous diront qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Cela étant, cette cacophonie ne simplifie pas la vie des contribuables et de leurs fiscalistes. Pire, elle discrédite largement nos gouvernants pris dans le cercle vicieux des promesses fiscales irréalisables et de leurs démentis pitoyables. 

La deuxième conséquence est, de fait, budgétaire. L’impôts-mania se traduit par une hausse notable du montant global des prélèvements au cours des trois derniers quinquennats. Nous payons à présent plus de 1 000 milliards d’euros d’impôts, de taxes et de cotisations chaque année – étant précisé que ce montant exclut un certain nombre de prélèvements. Compte tenu de cette hausse faramineuse, la France est devenue en 2017 championne de l’Union européenne des prélèvements, ces derniers dépassant les 48 % du PIB (contre seulement 40 % en moyenne dans l’UE). Cela signifie que l’État prélève quasiment la moitié de la richesse nationale annuelle, alors que cette proportion n’était que d’un tiers dans les années 1970 et d’environ un sixième en 1945. Que représente concrètement pour nous le montant exorbitant de ces prélèvements ? Comme nous le verrons, plus de la moitié d’une année de travail ! Il n’est donc guère surprenant que nous soyons plus de 9 sur 10 (98 %) à considérer que nous payons des prélèvements « élevés », voire « excessifs ». 

Conséquence de cet excès de prélèvements : beaucoup de Français ne s’en sortent plus financièrement. Les hausses successives sont devenues insoutenables. Certains ne peuvent plus vivre dignement du fruit de leur travail dans la mesure où ce dernier est surtaxé. À cela s’ajoute l’excès de prélèvements sur la consommation dissimulés (taxe carbone, TVA, etc.) qui les appauvrit encore davantage et suscite chez eux un sentiment de déclassement. Ce sont les classes populaires qui sont les plus insatisfaites du système actuel. Comment l’expliquer ? Tout simplement car nos gouvernants successifs leur ont retiré leur fierté en les surtaxant d’un côté et en les contraignant de l’autre à solliciter des aides sociales pour survivre – en oubliant au passage qu’ils n’aspirent qu’à  travailler et à bénéficier de services publics, sans pour autant devenir des « assistés » de la République. 

L’impôts-mania française n’a cependant pas que des conséquences budgétaires et financières, aussi dramatiques soient-elles. Elle a aussi des conséquences politiques et sociologiques profondes dès lors qu’elle érode progressivement notre consentement à l’impôt. Elle casse en effet la confiance qui est la condition sine qua non du consentement, étant précisé que ce dernier recouvre une dimension à la fois verticale et horizontale. Nous acceptons ainsi de payer sans contestation seulement si nous considérons que l’État est efficace et digne de confiance (consentement vertical) et si nous avons la conviction que les autres contribuables, ménages comme entreprises, s’acquittent également de leurs prélèvements (consentement horizontal). Normal ! Aucun d’entre nous ne veut être la « poire » du système, selon l’expression popularisée dans les années 1920 par l’industriel et ministre Louis  Loucheur.

Du « ras-le-bol fiscal » à la révolte

L’impôts-mania a fini par provoquer un sentiment collectif de « ras-le-bol fiscal », qui s’est ensuite matérialisé par une succession de contestations et de révoltes fiscales au cours des dernières années, que ce soit sur le plan local ou national. Pour mémoire, il y a d’abord eu, sous François Hollande, la révolte contenue des Pigeons, les patrons opposés à la taxation un peu trop gourmande des plus-values mobilières, puis la révolte bien plus mouvementée des Bonnets rouges bretons contre l’écotaxe. Emmanuel Macron a, de son côté, dû faire face à la révolte nationale des Gilets jaunes, née initialement de la contestation de la taxe carbone et qui s’est rapidement étendue à celle du système fiscal dans sa globalité. 

Ces révoltés se sont tous insurgés contre l’excès de fiscalité, qui ampute leur liberté, leur propriété et aussi leur dignité. Et, de toute évidence, cela est loin d’être terminé. Certes, le phénomène n’est pas nouveau, notre pays a connu des milliers de révoltes sous l’Ancien Régime, dont la Révolution française ! Elles se sont ensuite poursuivies au XIXe et surtout au XXe siècle, avec notamment le papetier Pierre Poujade et le cafetier Gérard Nicoud, qui ont incarné successivement la révolte des petits commerçants, dans les années 1950, et des petits artisans, dans les années 1970, contre le renforcement des pouvoirs de l’administration fiscale dont ils ont dénoncé les excès et l’acharnement. Cela étant, on ne peut que s’étonner qu’elles perdurent au xxie siècle avec autant de constance et de violence dans ce qui se présente comme un État-providence. C’est peut-être le signe que, contrairement à ce que l’on ne cesse de nous répéter, ce dernier n’est pas le système social le plus adapté au regard des excès et de la précarité qu’il est paradoxalement susceptible d’entraîner.

Les responsables de l’impôts-mania

Si nos gouvernants actuels ne brillent pas par leur gestion de la « question fiscale » depuis le début du quinquennat (c’est le moins que l’on puisse dire), ils ne sont cependant ni les initiateurs ni les seuls responsables du phénomène d’impôts-mania. Ce dernier est assurément ancien et collectif. Tous nos gouvernements, de gauche comme de droite, ont participé à la multiplication, à la hausse et à l’instabilité de nos prélèvements au cours des dernières années. Il est donc surprenant de voir d’anciens gouvernants de droite (Éric Woerth, Gilles Carrez) comme de gauche (François Hollande, Ségolène Royal), ayant eux-mêmes fortement augmenté les prélèvements en leur temps, s’indigner du matraquage fiscal mené à présent. À vrai dire, ce qui distingue nos gouvernants actuels des précédents est moins leur incompétence flagrante que leur mauvaise foi sidérante ! Alors que François Hollande a été élu sur des promesses de hausses de prélèvements (promesses tenues !), Emmanuel Macron l’a été sur des promesses de baisses que des millions de Français n’ont pas perçues. Et pour cause ! Elles ont été dans un premier temps ultra ciblées sur des classes privilégiées et financées par une flambée des taxes sur la consommation (taxe carbone, droits sur les tabacs, etc.) pour la majorité – ce qui n’a clairement pas été assumé et a abouti au résultat que l’on connaît : des semaines d’insurrections à travers toute la France.

Objectifs : comprendre et réagir

Au-delà des clivages idéologiques, il est urgent de sortir de l’« obscurantisme fiscal » dans lequel nous sommes plongés depuis trop d’années. Nous sommes une écrasante majorité à ne plus comprendre aujourd’hui ce que nous payons ni pourquoi. La compréhension de notre système fiscal ne peut plus être réservée à une microélite à son propre service. Nous aspirons tous à le comprendre dès lors que nous sommes tous, sans exception, amenés à payer des prélèvements de plus en plus exorbitants. Qu’on se le dise : la recherche de la transparence et de la simplicité fiscales est désormais un impératif pour la survie de notre démocratie en péril. 

Il est aussi urgent de sortir de « l’apathie fiscale » qui nous frappe collectivement depuis trop longtemps. Jusqu’à quand allons-nous accepter de subir passivement la flambée des prélèvements ? Nous avons été injustement mis à l’écart du véritable débat fiscal, au profit de parlementaires sous la coupe de l’administration et de nos gouvernants. Cela est d’autant plus contestable que cela revient sur une belle promesse de notre Révolution française. Il y a deux siècles, ceux ayant mis fin à l’oppression fiscale de l’Ancien Régime prévoyaient, à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Il en résulte que le consentement à l’impôt ne se réduit pas nécessairement à son expression parlementaire, à plus forte raison lorsque cette dernière se révèle défaillante, comme en France. Aussi devons-nous, à l’instar des États-Unis et de la Suisse, introduire, sinon des référendums fiscaux, du moins des consultations fiscales citoyennes. Au reste, il conviendrait de mettre en place des outils permettant aux citoyens de surveiller plus étroitement les prélèvements votés par leurs gouvernants (locaux et nationaux) et l’usage qui en est fait. Il est aberrant d’avoir, en 2019, à mener une véritable enquête fiscale pour comprendre, d’une part, ce qui est prélevé et, d’autre part, l’usage qui en est fait. 

Extrait du livre de Virginie Pradel, "Impôts-mania", publié aux éditions de l’Observatoire

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