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Cette accumulation de tâches qui poussent à bout nos agriculteurs
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Bonnes feuilles

Camille Beaurain publie avec Antoine Jeandey "Tu m’as laissée en vie" aux éditions du Cherche Midi. Cet ouvrage est un témoignage à visage découvert sur le suicide paysan. Camille, veuve à 24 ans, témoigne de la misère qui s'est emparée des campagnes au point d'en tuer ses fils. Extrait 1/2.

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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Camille Beaurain

Camille Beaurain

Camille Beaurain a publié avec Antoine Jeandey, "Tu m'as laissée en vie" aux éditions du Cherche Midi, le récit de son quotidien dans le milieu agricole et sur le suicide de son mari. "Conjointe collaboratrice" au sein de l'exploitation, Camille Beaurain garde aujourd'hui des enfants.

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La ferme : du travail toute l’année. Pour les animaux, et pour nos cultures, puisque nous étions dans un système de polyculture-élevage. 

Il faut donc mener de front deux missions essentielles : l’élevage de porcs, et les cultures – chacune réclamant des interventions variées, mais continues tout au long de l’année. En d’autres termes, il y a toujours quelque chose à faire ; quand ce n’est pas auprès des cochons, c’est dans les champs !

Pour résumer sur une année. 

En janvier et février, il faut préparer les terres pour les semis de printemps. Et donc sortir le matériel du hangar pour déchaumer et labourer. Le déchaumage consiste à travailler le sol en surface, donc avec peu de nuisance. Il s’agit d’enfouir les résidus de paille de la culture précédente pour qu’ils enrichissent le sol et le fertilisent. Le labour, quant à lui, est plus profond, donc a priori plus efficace, mais au passage il tue aussi l’activité naturelle du sol – celle issue des vers de terre –, qui peut se révéler très utile pour les cultures ensuite. Néanmoins, selon la nature des terres, il reste parfois indispensable, au risque sinon de ne pas s’en sortir. Enfin, Augustin utilisait également le lisier des cochons comme fertilisant. Et là, c’est encore une autre opération, l’épandage. Avec son matériel dédié. Qui requiert, quel qu’il soit, une attention particulière, une préparation, un entretien. On ne manie pas des engins de cette taille sans un minimum de connaissances et d’intérêt pour les machines. Être éleveur, ce n’est pas seulement s’occuper des animaux (ce qui, en soi, est déjà un métier à part entière), c’est aussi savoir cultiver, comprendre les mécaniques. Sans parler de la gestion, des stocks, des investissements, des approvisionnements… 

Toujours pour les cultures, en mars, il faut semer l’orge de printemps et les féveroles, et apporter les premiers traitements. Le moment de sortir, à nouveau, notre matériel. Nos plus gros engins étaient de la marque New Holland – qu’Augustin affectionnait particulièrement – et nous avions aussi deux tracteurs plus petits, des Ford, et un pulvérisateur John Deere. Et dans toutes les situations – au volant de son tracteur, dans les champs, auprès des cochons –, Augustin revêtait alors son « costume » d’agriculteur : une cotte de travail – une pour l’été et une autre (plus chaude) pour l’hiver, avec des bottes.

Aujourd’hui, je lis souvent, dans les journaux ou sur Internet, que des problèmes sont soulevés entre les agriculteurs et leurs voisins au moment des épandages des traitements. Le terme « phytosanitaire » effraie. Nous, nous n’avons jamais connu ça. Augustin faisait tout dans les règles, respectait les dosages, calculait les apports au plus juste, avait un local « aux normes » (fermé à clé à l’aide d’un cadenas) pour entreposer ses produits phytosanitaires, justement. Et surtout, nos terres restaient suffisamment éloignées des autres habitations pour ne pas risquer d’inquiéter qui que ce soit. Mais très honnêtement, je n’ai jamais compris cette tendance à montrer du doigt les agriculteurs pour leurs pratiques. Dans la grande majorité, ils se plient aux règles en vigueur, souvent contraignantes. Et Augustin n’échappait pas à cette vision honorable du métier : il respectait les consignes, et je ne l’ai jamais entendu s’en plaindre.

De son côté, l’élevage réclame obligatoirement un travail quotidien ; le nombre d’heures dépendant des périodes… et des imprévus. 

La nourriture à fournir aux truies et porcs évolue ainsi selon les cas. On ajoute de la féverole (carencée en acides aminés, pour un mélange plus riche en protéines) aux truies gestantes, dont ne bénéficient pas les allaitantes. La quantité de nourriture augmente aussi selon les phases d’engraissement. Puis, au moment des naissances, il faut surveiller les portées. Une truie qui aura mis bas avec peu de petits est susceptible d’adopter quelques porcelets d’une autre particulièrement prolifique. Mais évidemment, de telles opérations se dirigent, on ne laisse pas cela à l’improvisation ou au hasard. Les soins doivent leur être prodigués sous trois à huit jours. Il faut aussi leur couper la queue, pour éviter plus tard des risques de cannibalisme entre animaux. Et bien sûr, il y a l’hygiène. Nous devons alors vider les fosses quand elles sont pleines, tout en récupérant le lisier, épandu plus tard dans les champs et qui permettra d’économiser l’achat de phytosanitaires pour fertiliser les cultures. C’est un travail harassant. On manipule entre 80 et 100 seaux dans la journée – chacun pèse 5 à 10 kilos –, plus des sacs de 50 kilos d’aliment pour les truies et le post-sevrage. 

L’aliment, vous le savez, on le fabrique nous-mêmes avec notre blé, notre orge de printemps, notre escourgeon (ou orge d’hiver, si vous préférez), notre féverole, et nous y ajoutons du soja que nous achetons, ainsi que des minéraux. Et notre système d’alimentation n’est pas automatisé, alors il faut porter les sacs, déverser leurs contenus, en porter d’autres… 

Parallèlement, puisque nous avons un élevage « naisseur », il y a les mises bas. Elles interviennent… quand elles veulent, même la nuit ! 

Au-delà, il faut savoir que nous sommes notés par la coopérative pour la qualité des porcelets. Une bonne note, et c’est la plus-value, qui se retrouve dans le prix, ce qui est donc stimulant.

Vous l’avez compris, le principe de la polyculture- élevage correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui « l’économie circulaire » alors qu’il s’agit d’une pratique paysanne presque ancestrale : nos cultures nourrissent nos porcs dont le lisier fertilise en partie nos cultures – auquel on ajoute de l’engrais liquide. 

Sauf qu’en l’occurrence, ce qui est beaucoup moins moderne, c’est la charge de travail que cela représente. Cette omniprésence nécessaire sur l’exploitation.

Pour les cultures, on traite jusqu’à mai, au grand maximum juin. L’été, tout en poursuivant les soins aux animaux, l’attention est portée sur les moissons. À partir du 14 juillet environ, commence la récolte de l’escourgeon, puis le blé, quinze jours plus tard.

Extrait du live de Camille Beaurain et Antoine Jeandey, "Tu m’as laissée en vie", publié aux éditions du Cherche Midi 

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