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Emmanuel Macron, l’homme qui voulait parler immigration à l’oreille des Français et réformes courageuses à celle des élites mondialisées
©LUDOVIC MARIN / AFP

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Emmanuel Macron est à la une de la version internationale du prestigieux magazine Time.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Time Magazine fait, pour la deuxième fois depuis l’élection d’Emmanuel Macron, sa couverture avec le Président français. Le long article consacré au locataire de l’Elysée pourrait s’intituler « Le Survivant ». Les journalistes américains ont l’air soulagé de constater que le brillant sujet qui avait pratiqué une razzia sur le système politique français au printemps 2017 a surmonté le mouvement des Gilets Jaunes. En fait, lu attentivement, l’entretien en forme de portrait en dit beaucoup sur la forme d’apesanteur dans laquelle se trouvent trouvent actuellement les partisans du monde d’avant, les défenseurs encore nombreux et tenant des leviers essentiels du pouvoir de la « mondialisation heureuse ». 

La diplomatie macronienne: action, activisme, agitation? 

Au fond, les auteurs de l’article veulent faire savoir qu’ils se réjouissent qu’il existe encore un dirigeant de la mouvance néo-libérale capable, au moins en apparence, de tenir tête à Donald Trump. Le Royaume-Uni est hors jeu et il est peu probable qu’un Premier ministre travailliste ou libéral-démocrate ait beaucoup de temps libre à consacrer à la scène mondiale. La Chancelière allemande, à qui Barack Obama avait voulu, en janvier 2017, transmettre le flambeau du « monde libre », est épuisée politiquement. Il ne reste donc qu’Emmanuel Macron. Et une part non négligeable du reportage est consacrée à l’activisme du Président sur la scène internationale. On est en droit évidemment de juger qu’il y a beaucoup de gesticulation et peu de résultats de la part d’Emmanuel Macron en matière internationale. Mais s’agit-il de parler du fond ? En d’autres temps, on aurait imaginer des journalistes américains s’intéressant à la question de savoir ce qu’il en était de la forêt amazonienne en Guyane française, au moment où l’hôte du G7 pointait du doigt le président brésilien comme l’un des grands méchants de la scène internationale. Mais l’époque où les journalistes mainstream mettaient en difficulté leurs interlocuteurs est bien finie. Il n’y a plus de conservateurs modérés s’opposant à des sociaux-démocrates pour proposer des alternatives raisonnables. Il n’y a plus qu’un extrême-centre, à la base électorale aussi fragile que ses moyens de se maintenir au pouvoir restent puissants. Et nous devrons donc nous contenter de voir énumérer ces décors où le président français se met en scène comme l’anti-Trump: l’Iran, la politique mondiale de lutte contre le réchauffement climatique etc...

Les Gilets Jaunes n’ont-ils servi qu’à révéler Emmanuel Macron  à lui-même? 

Passons à la deuxième composante du reportage: les épreuves surmontées du président réformateur. Au fond, les journalistes américains restent dans un schéma d’analyse prudent et classique sur notre pays. La France bloquée, dont le taux de chômage est élevée et la fonction publique prolifère s’est dotée, selon un paradoxe dont le pays a le secret, d’un président réformateur. Comme beaucoup de réformateurs du pays, il a voulu y aller franchement et il a eu droit en retour, à une grande secousse, la crise des Gilets Jaunes. Vous chercherez en vain dans l’article une approche sociologique des Gilets Jaunes. Rien qu’une description superficielle du surgissement du mouvement, de sa violence, de sa continuation à basse intensité. Mais l’essentiel n’est pas là: le sujet, c’est le président français, la surprise qu’a représenté pour lui cette révolte d’une intensité inattendue, la manière - discrètement évoquée - dont il a été déstabilisé, puis celle dont il a repris la main, grâce au Grand Débat national. Au fond, rien ne semble plus intéresser les auteurs du reportage que les états d’âme de leur sujet et le côté épreuve initiatique pour un réformateur français un peu tendre lors de son élection qu’a représenté la crise des Gilets Jaunes. Peu importe la souffrance sociale, oubliées les violences policières, l’important c’est le message du locataire de l’Elysée: j’ai changé, je suis plus à l’écoute etc...

Un publireportage qui tourne court

Plus on avance dans la lecture, plus on se demande ce qui relève de l’enquête journalistique et ce qui devrait être classé dans la catégorie « publireportage ». Plaçons-nous du point de vue de l’interviewé: ce reportage vient à point nommé. Dans la segmentation d’une stratégie de communication politique, nous avons eu voici quelques jours le discours macronien quasi-populiste sur l’immigration et puis voici venir un reportage lisse, destiné à établir la réputation internationale du même homme politique. En attendant la prochaine séquence, moins policée. 

Apparemment, l’opération est réussie. Elle est cependant à double tranchant. Au fond, l’article ne présente aucun succès réel du président français. Un point de baisse du chômage comme résultat de la refonte du Code du travail, y a-t-il de quoi hisser le chef de l’Etat sur le pavois? Le caractère peu vraisemblable d’une révision des critères de déficit de Maastricht. Aucune influence réelle sur Donald Trump. Et puis il y a tous ces sujets qui ne sont jamais abordés: le Brexit; la puissance chinoise; la question de l’immigration incontrôlée. Au détour d’une anecdote, un glissement, qui trahit l’ambiguïté profonde d’Emmanuel Macron: nous le voyons dans une usine, échangeant avec ceux qui ont retrouvé un emploi grâce aux aides de l’Etat mais les journalistes nous expliquent que l’ouvrier interlocuteur du Président est un travailleur étranger. Or toute la crise des Gilets Jaunes n’est-elle pas l’expression d’une révolte quasi-désespérée des « Somewheres », pour parler comme David Goodhart, des « sédentaires » perdants de la mondialisation, qui n’en peuvent plus d’être désavantagés par les « Anywheres », les « nomades » à succès de la mondialisation et leur « armée de réserve », comme aurait dit Marx, à savoir les migrants? Répondant à une question sur la formule « président des riches », Emmanuel Macron dit que ce genre de sobriquet est la rançon du pouvoir. 

Dommage que la journaliste ne rappelle pas qu’un certain François Hollande, commentant le sobriquet, s’est écrié: « Président des riches? Non ! Président des superriches !  ». François Hollande à qui son successeur ressemble de plus en plus. L’un était parti de la dénonciation de la finance, l’autre apparaissait comme le bras opérationnel de cette dernière pour « réformer » la France. Au bout du compte, Emmanuel Macron à mi-mandat semble s’être hollandisé, réagissant au coup par coup, surpris par les forces qu’il déchaîne et sans réponse stratégique. 

Plus on avance dans l’article, plus on a l’impression qu’il est écrit pour le cercle au fond très étroit des élites néo-libérales qui se demandent à quelles conditions le système mis en place depuis deux générations peut survivre et à quelle vitesse il est nécessaire de la faire évoluer. Il n’est pas sûr qu’ils sortent rassurés du portrait actualisé du président français. Sur quoi débouche en effet le reportage? Sur la perspective d’un ancien président écrivain, qui travaillera - dès 2022, l’article ne l’exclut pas - à raconter sa version de l’histoire. A dresser son auto-portrait. Mais aura-t-il plus à raconter, au bout du compte, que François Hollande? 

C’est le paradoxe de la mise en scène de Time Magazine: au bout du compte, elle débouche sur le vide politique. 

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