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Commission Von Der Leyen : une équipe décalée des rapports de force politiques européens
©Kay Nietfeld / dpa / AFP

Décalage ?

Ce mardi midi, la nouvelle présidente de la Commission européenne-Ursula von der Leyen- en a dévoilé la composition. Une Commission qui compte 13 femmes sur 27 places dont Sylvie Goulard au Marché intérieur.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Atlantico : Les nouveaux clivages politiques européens se retrouvent-ils dans la Commission ? Qui semble s'imposer ?

Thibault Muzergues : On ne retrouve pas ces clivages parce que la Commission est nommée par les Gouvernements et par les chefs de Gouvernement ; il n'y a pas eu d'élections directes. Ils sont tous pro-européens.

Il y a plusieurs personnalités qui s’imposent, outre la Présidente Ursula Von der Leyen bien sur : Sylvie Goulard, très clairement, va jouer un rôle de leader à l’intérieur de la Commission. De meme que Margrethe Vestager, qui elle aussi est issue de la famille ALDE-Renew Europe et compte en plus une longue expérience en tant que Commissaire européenne. Il va falloir voir comment ces deux personnalités vont travailler toutes les deux, car elles n'ont pas leur langue dans leur poche, et des visions bien arretées qui ne seront pas toujours complémentaires. Outre ces deux femmes fortes, le Letton Vladis Dombrovskis va probablement être aussi une personnalité incontournable: il a été premier ministre de son pays, c’est son deuxième mandat de Commissaire européen, il est respecté dans la “Brussels Bubble”, des éléments qui devraient le rendre incontournable durant les cinq prochaines années. Généralement, quand vous avez été Premier ministre d'un pays, vous connaissez déjà un petit peu Bruxelles, et donc vous avez plus de poids à l'intérieur de la Commission. Sans oublier Frans Timmermans, qui reste lui aussi un pilier de la Commission, et un leader pour les Sociaux-Démocrates

Quels sont les postes les plus importants ? Quels commissaires vont peser le plus sur la politique européenne dans les prochaines années ?

Cela dépend bien entendu des intérêts de chacun (pour certains pays, l’agriculture est le poste le plus convoité). Mais tous les postes à dimension économique, et notamment la concurrence, seront les postes les plus influents, du fait de l’importance de Bruxelles dans la régulation de nos économies. D’autres commissions seront beaucoup plus périphériques - c’est le cas de l’élargissement, qui n’est clairement pas une priorité pour les cinq prochaines années (d’où la nomination d’un proche de Viktor Orban à ce poste), ,mais aussi de la politique étrangère, dans la mesure où les Etats gardent jalousement leurs prérogative.

Quelle conception de l'Europe se dégage de cette Commission ?

Une des nouveautés de cette Commission, c'est qu'elle a été très féminisée - c'est un signal assez fort qui est envoyé aux libéraux et aux socio-démocrates. Mais surtout c'est une Commission qui est une fois de plus complètement pro-européenne (sans être pour autant fédéraliste), ce qui n'était pas acquis au moment de sa constitution. Les Commissaires sont nommés par les gouvernements avant confirmation par le Parlement, et le risque était bel et bien présent que la Pologne ou l’Italie envoient des “commissaires-bulldozer" à l'intérieur de la Commission pour bloquer tout développement. Or, les Polonais ont joué le jeu, et la crise gouvernementale en Italie a permis au PD de revenir au pouvoir et de nommer Gentiloni,  qui va travailler "collectif" dans la Commission.

Du point de vue français, une des grandes questions va être la relation entre Sylvie Goulard et les autorités à Paris. Emmanuel Macron pense-t-il pouvoir l'influencer par le fait qu'elle soit Française et qu'elle soit nommée par lui ? Sylvie Goulard a un caractère bien trempé; elle est également très indépendante et très sincèrement en l’Europe. Officiellement, les Commissaires sont sensés être au service de l’intérêt européen, pas de l’intérêt national - une chose que les gouvernements nationaux ont parfois du mal à accepter. Dans le cadre d’un gouvernement français beaucoup plus unilatéraliste que ne le laissent entendre les déclarations du Président, il y aura probablement matière à conflit, et il sera intéressant de voir qui de l’exécutif national ou de la Commissaire l’emportera lorsque ce sera le cas. Au delà, et  comme toujours à chaque nouvelle Commission, la situation française pose la question plus large de savoir quelle sera la relation entre une Commission nommée par les chefs de gouvernement, et le Conseil composé de ces memes chefs de gouvernement. La Commission aura-t-elle un poids suffisant pour s’imposer face au conseil? Certaines personnalités qui dépendent peu de leur capitale (c’est le cas de Frans Timmermans, de Valdis Dombrovskis, ou encore de Margrethe Vestager) feront pencher la balance vers Bruxelles, d’autre non. Ce sera le travail de Charles Michel et d'Ursula van der Leyen d’amener la autorité supra-étatique qu’est la Commission et le très intergouvernemental Conseil à travailler ensemble. Si le courant ne passe pas, le Parlement européen pourrait en profiter pour multiplier les initiatives.

Quel est le rôle de Sylvie Goulard dans la nouvelle Commission ?

Il y a deux défis pour elle : le premier va être de trouver sa place dans cette Commission - Goulard est une personnalité forte, ce qui est une bonne chose, mais cela peut également l’amener à rentrer en conflit avec ses collègues - la relation avec Vestager sera probablement une clé de son intégration, dans la mesure où ce sont les deux commissaires libérales qui ont le plus de chances de rentrer en conflit, du fait de leur caractère bien trempé et de leurs compétences qui vont se chevaucher (tandis que Vestager aura institutionnellement l’avantage).

Son deuxième défi sera sa relation avec Paris, et notamment avec Emmanuel Macron. On sait désormais que Jupiter n’apprécie guère l’ombre portée par d'éventuels satellites. Le satellite Europe de son dispositif européen saura-t-elle exister tout en restant en orbite, ou assistera-t-on à une relation plus conflictuelle? Le problème est en tous cas posée, et il faudra observer les premiers pas de la nouvelle Commissaire une fois sa nomination confirmée par le parlement.

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