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La nouvelle révolution anglaise
©Charles McQuillan / POOL / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 9 septembre 2019, 

Mon cher ami, 

La révolte des élites

Avons-nous vu récemment une plus évidente illustration de ce que Christopher Lasch appela, voici trente ans, la « révolte des élites »? Le Parlement britannique vient de voter six fois contre le Premier ministre du peuple. Les parlementaires britanniques qui ont fait cela expriment clairement qu’ils ne veulent pas exercer la responsabilité qu’ils devraient normalement assumer, celle de défendre les intérêts du peuple. A quoi reconnaît-on un dirigeant ou un député conservateur? A ce qu’il est profondément conscient du devoir qu’il a de ne négliger aucun citoyen, même le plus petit, le plus pauvre, le plus faible. La vingtaine de députés qui ont voté contre le Premier ministre ont clairement signifié qu’ils ne voulaient plus être des conservateurs. L’un d’eux est même passé chez les libéraux-démocrates (qu’on ferait mieux d’appeler les « individualistes absolus », ce serait plus exact). Les autres se sont eux-mêmes exclus du parti, Boris n’a fait qu’entériner leur choix. 

Les élites se révoltent contre un peuple dont elles ne veulent plus, qui est en trop dans leur monde à elles. Bien entendu, ce peuple devrait être pressuré d’impôts, pour que ces élites puissent mener grand train de vie et payer elles-mêmes le moins d’impôts possibles mais garder un pays fonctionnant à peu près. Mais nos privilégiés ne croient plus depuis longtemps que toutes les voix soient égales en démocratie. Elles ne croient plus à la démocratie. Nous avons assisté depuis une semaine aux scènes parmi les plus déshonorantes de l’histoire de notre pays: la manière, par exemple, dont Philipp Hammond a ouvertement reconnu être de connivence avec Bruxelles; les crises d’hystérie de John Bercow; la trahison ouverte de son peuple par le leader travailliste; tout cela restera dans les annales de notre pays comme une sinistre farce. Il est encore trop tôt pour dire si tout se finira en tragicomédie. 

La question est de savoir qui, des conservateurs ou du Brexit Party, va récupérer l’électorat populaire travailliste

La haine, l’hystérie dont est victime Boris au Parlement fait comprendre, de manière condensée, comment Theresa May s’est éteinte à petit feu, en deux ans et demi. Les Remainers du parlement sont retors, cyniques, sans scrupule aucun. C’est bien parce que j’avais senti cela, vous vous en souvenez, que j’avais conseillé de voter tout de même l’accord négocié par Theresa May. J’étais peut-être trop prudent; mais je croyais plutôt à une course de fond dans les négociations sur le Brexit. J’imaginais que Theresa May ou un autre Premier ministre serait capable de négocier un bon accord commercial. Je comprends parfaitement que mes amis conservateurs les plus authentiques aient néanmoins jugé le backstop un obstacle insurmontable. A présent, il faut défendre la position britannique de la manière la plus ferme possible. Boris Johnson ne doit pas faiblir. Les sondages donnent le parti conservateur à nouveau en tête, et de loin, dans l’opinion. Surtout, mon parti doit savoir que l’échec de Boris Johnson signerait sa mort. Nous irions vers une domination sans partage du Brexit Party à droite. Le Labour, lui, ne se rend pas compte, qu’il a signé son arrêt de mort politique. Dans tous les cas, ce sont les Libéraux-démocrates qui vont ramasser la mise à gauche. Ce qui se joue en moment, c’est la question de savoir qui, du Brexit Party ou des conservateurs, va récupérer l’électorat populaire du parti travailliste. 

Mon cher ami, la révolte des élites pourrait bien, comme à d’autres reprises dans l’histoire, déboucher sur une révolution et une véritable guerre civile. Les Remainers fanatiques que nous avons vu se déchaîner au Parlement ont donné l’impression qu’ils pratiquaient la politique du pire. Et ils jouent très clairement la carte de l’opposition frontale au pouvoir exécutif. Cela rappelle notre première révolution anglaise ! On est loin du compromis entre les Anywheres et les Somewheres que David Goodhart appelait de ses voeux dans son ouvrage The Road to Somewhere. Nos élites révoltées contre leur peuple, leur pays, qui refusent d’assumer le devoir que leur confie leur situation, sont à l’opposé de ce compromis, à l’opposé de la paix civile, bien le plus précieux d’une société. 

Boris a maintenant cinq semaines pour exposer l’imposture: il doit montrer que le peuple le soutient. Il doit faire ressortir le sombre aveuglement de l’Union Européenne, qui prétend que « l’Europe c’est la paix » mais qui, en Irlande ou au Royaume-Uni, ne fait rien pour empêcher l’escalade vers une nouvelle fracture sociale, une nouvelle guerre civile même. Heureusement, notre vieux peuple a des ressources. Il a surtout un goût irrépressible de la liberté. C’est cela qui l’emportera ! 

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli 

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