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La femme la plus puissante d’Europe a-t-elle annoncé une petite révolution devant les parlementaires européens ?
©JOHN THYS / AFP

BCE

Ou continue-t-elle la politique de son prédécesseur ? Christine Lagarde s'est exprimée mercredi devant le Parlement européen afin de prouver aux députés qu'elle a l'expertise nécessaire pour être à la tête de la BCE.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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François-Xavier Oliveau

François-Xavier Oliveau

François-Xavier Oliveau accompagne les entreprises dans leur transition écologique, à la fois en capital et sur le plan opérationnel. Il vient de publier La crise de l'abondance aux Editions de l'Observatoire. Il y interroge l'invraisemblable paradoxe d'une société plus riche que jamais mais traversée de crises majeures. Après avoir décrit le mécanisme d'innovation et de baisse permanente des prix qui nous donne accès à l'abondance, il propose des solutions concrètes pour maîtriser cette abondance. Son premier essai, Microcapitalisme (PUF, 2017, collection Génération Libre) a obtenu le prix du jury du comité Turgot. Il a enfin publié en avril 2019 une étude avec l'Institut Sapiens sur les impacts entre technologie, prix et monnaie, Pour la Création d'un dividende monétaire.

François-Xavier Oliveau accompagne les entreprises dans leur transition écologique, à la fois en capital et sur le plan opérationnel. Il vient de publier La crise de l'abondance aux Editions de l'Observatoire. Il y interroge l'invraisemblable paradoxe d'une société plus riche que jamais mais traversée de crises majeures. Après avoir décrit le mécanisme d'innovation et de baisse permanente des prix qui nous donne accès à l'abondance, il propose des solutions concrètes pour maîtriser cette abondance. Son premier essai, Microcapitalisme (PUF, 2017, collection Génération Libre) a obtenu le prix du jury du comité Turgot. Il a enfin publié en avril 2019 une étude avec l'Institut Sapiens sur les impacts entre technologie, prix et monnaie, Pour la Création d'un dividende monétaire.

Les opinions exprimées dans ses articles n'engagent que lui.

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Atlantico.fr : Qu'a annoncé la future présidente de la BCE ? En quoi ces décisions modifient-elles profondément la politique monétaire européenne ?

François-Xavier Oliveau : Le discours de Christine Lagarde était très intéressant, pas tant pour le fond de sa politique, sans surprise, que pour la description de sa vision du poste. Sur le fond, sa position est en ligne avec celle de son prédécesseur, et conforme à ce qui était attendu : la politique de la BCE sera « très accommodante pour une longue durée ». Christine Lagarde a soigneusement évité d’interférer avec les prochaines décisions de la BCE, a rendu de répétés hommages à la politique de l’institution sous son prédécesseur et s’est présentée avec humilité devant Parlement européen tout en défendant sa compétence pour le poste, en particulier son expérience de la gestion de crise. Aucune surprise et aucune faute de carre, comme on pouvait s’y attendre de cette diplomate chevronnée.

La lecture entre les lignes de son discours est en revanche très instructive. Son instance sur la compréhension des mécanismes de l’inflation, l’innovation, l’agilité et l’ouverture d’esprit suggère qu’elle devrait démarrer son mandat par une revue assez exhaustive des outils de politiques monétaires, dont elle veut évaluer le rapport coût / bénéfices. On peut s’attendre à une revue particulièrement ouverte. Son insistance sur la coordination des politiques monétaires et fiscales résonne par exemple avec une note publiée par BlackRock il y a trois semaines, intitulée « From unconventional monetary policy to unprecedented policy coordination. » Trois anciens banquiers centraux y prônent une injection directe de monnaie dans l’économie, assez proche du concept de « monnaie hélicoptère. » Elle s’est aussi montrée intéressée par la proposition de Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, de créer une monnaie de réserve numérique servant d’alternative au dollar. Le discours de Christine Lagarde suggère que de telles options, autrefois qualifiées d’extrêmes, devraient vraisemblablement être examinées sous la nouvelle présidence. Son ouverture à une interprétation large du mandat de la BCE, au verdissement du système financier ou encore à la société civile vont dans le même sens d’un mandat flexible et créatif.

Rémi Bourgeot : Christine Lagarde a essentiellement indiqué au cours des dernières semaines quelle ancrerait son approche dans la continuité de Mario Draghi. On s’attend donc à une BCE qui réagira sans surprise au ralentissement de la conjoncture européenne par un accroissement de ses mesures de relance monétaire, qu’il s’agisse de la baisse supplémentaire du taux de dépôt en territoire négatif ou d’un nouveau programme d’achats d’actifs. 

A son arrivée à la fin 2011, Mario Draghi, fort de son expertise monétaire et d’un véritable sens politique, avait su rompre avec le triste héritage de son prédécesseur, Jean-Claude Trichet, pour éviter la sortie de la zone euro des membres qui connaissaient une envolée de leurs taux de marché. Mais dans un contexte de ralentissement marqué après une reprise en réalité très limitée, le type d’approche de Draghi, indispensable a l’époque, est aujourd’hui confrontée à une impasse.

Christine Lagarde indique surtout qu’elle va respecter son mandat de nature politique, qui consiste à poursuivre sur la voie de la relance monétaire en absence de capacité des gouvernements à s’entendre sur un rééquilibrage de la zone euro. La reforme de l’union monétaire ayant échoué, on aurait pu imaginer que les gouvernements qui militaient pour cette réforme s’attellent désormais au sujet du rééquilibrage, en demandant à l’Allemagne de s’engager dans une approche plus coopérative. C’est pour l’instant le statu quo qui l’emporte. D’où la nécessité politique de s’en tenir à cette politique monétaire expansionniste pour tenter d’éviter un enfoncement de la zone euro dans la crise qu’ouvre notamment le ralentissement allemand, dont le modèle ultra exportateur bute sur la crise commerciale mondiale. 

La politique monétaire extrêmement souple qui est annoncée est-elle une bonne nouvelle pour l'économie européenne ? En quoi les annonces sont-elles d'une importance capitale ?

François-Xavier Oliveau : La politique monétaire accommodante est surtout nécessaire dans une situation d’inflation et de taux bas dont le caractère structurel est de plus en plus évident. Les taux d’intérêt baissent sans discontinuer depuis le milieu des années 80, quelle que soit la conjoncture économique. Wim Duisenberg a pris la direction de la BCE avec un taux directeur principal à 3% ; il était à 2% quand Jean-Claude Trichet est entré en fonction, et à 1% lors de l’arrivée de Mario Draghi. Il est aujourd’hui à 0%, avec un taux de dépôt négatif à -0,4% qui devrait baisser d’au moins 0,1% jeudi prochain. Ces taux négatifs mettent les banques commerciales dans une situation infernale, largement soulignée par Christine Lagarde. Ce sera l’un des points critiques à gérer dès le début de son mandat.

Le maintien des politiques actuelles était donc attendu et n’est pas une surprise. Mais le risque principal est qu’elles ne suffisent pas. Les taux sont négatifs alors que l’économie est encore loin de la récession, sans parler d’une éventuelle dépression. Nous sommes clairement au bout de la logique de création monétaire par la dette qui prévaut depuis la fin des accords de Bretton Woods. En suggérant qu’elle ne ferme aucune porte, le discours de Christine Lagarde est une bonne nouvelle. Tout en insistant sur le rôle crucial des politiques budgétaires pour lutter contre une éventuelle récession, son insistance sur l’engagement et l’agilité (« commitment and agility ») s’inscrit en réalité largement dans la ligne du « whatever it takes » de Mario Draghi, avec une ouverture accentuée à de nouveaux outils.

Rémi Bourgeot : Les mesures qu’avaient prises Mario Draghi étaient indispensables en pleine crise de la zone euro pour éviter un éclatement désordonnée de l’union monétaire et une restructuration massive des dettes d’un certain nombre de pays. C’était l’objet de sa politique de dissuasion rhétorique à l’attention des marchés en 2012 puis des mesures effective d’achat de dette à partir de 2015, pour relancer la dynamique du crédit privé. 

Au-delà de la gestion de ce risque existentiel, les mesures permanentes de relance monétaires sont largement inefficaces si l’on s’intéresse aux conséquences profondes de ces mesures sur l’économie. Mais à défaut d’initiative de la part des gouvernements pour s’entendre sur un rééquilibrage réel de leurs économies, les mesures de relance de la BCE sont vues comme la seule voie possible.

Le débat s’éloigne désormais de conceptions ésotériques qui avaient trouvé un écho particulier à partir de la crise mondiale, selon lesquelles les banques centrales pouvaient piloter la croissance en plus de l’inflation pour peu qu’elles s’en donnent les moyens, illimités. Les banques centrales ont un effet sur la croissance et sur l’inflation mais elle ne contrôlent réellement ni l’une ni l’autre, d’autant plus au terme d’années de relance sans soutien des politiques économiques des gouvernements dans le cas européen. Par ailleurs, les programmes de relance monétaire créent évidemment des bulles, comme la bulle immobilière qui ravage aujourd’hui la compétitivité d’un certain nombre de pays européens comme la France, tout en conduisant à des conséquences sociales redoutables. La notion d’héroïsme monétaire, issue de la crise, cette sorte de monétarisme à prétention progressiste, a vécu. On observe aujourd’hui cette situation désastreuse sur le long terme où la BCE est condamnée par l’inertie des gouvernements à creuser des bulles et autres déséquilibres financiers particulièrement nocifs pour les peuples européens. 

Comment Christine Lagarde peut-elle se rallier la confiance allemande sur ce sujet ?

François-Xavier Oliveau : La question de l’Allemagne est cruciale en effet. La position de la future présidente est délicate. D’un côté, elle annonce un maintien de politiques accommodantes impopulaires en Allemagne et à la Bundesbank. De l’autre, elle incite les gouvernements à une politique de relance et d’investissement dans les infrastructures ; une demande qui concerne avant tout l’Allemagne, en excédent budgétaire et commercial. Le soutien allemand est à la fois crucial et délicat à obtenir.

La revue du « policy framework » qu’elle souhaite mener peut lui offrir une porte de sortie intéressante. Les dispositifs d’injection directe de monnaie à destination des ménages sont en réalité beaucoup moins néfastes pour l’économie que la création monétaire en dette, comme le rappelait l’économiste Murray Rothbard : « Bien que l’expansion du crédit par une banque semble bien plus sobre et respectable que la création brutale d’argent frais, elle a en réalité des conséquences beaucoup plus graves pour le système économique, conséquences que la plupart des gens jugeraient particulièrement indésirable.[1] » En revanche, ces outils posent des problèmes comptables qui peuvent être un obstacle à leur acceptation par les banquiers centraux. La revue de la boîte à outils de la BCE devra être habilement menée pour identifier, concevoir et promouvoir des outils moins néfastes que l’assouplissement quantitatif, et se rallier ainsi les positions allemandes.

[1] Man, Economy and the State, 1962

Rémi Bourgeot : L’approche de Christine Lagarde résulte du statu quo franco-allemand en particulier qui a conduit à l’acceptation par Paris de la nomination à la présidence de la commission européenne de la ministre de la défense allemande, fidèle de la chancelière. En échange l’Allemagne accepte la poursuite de l’approche monétaire de Draghi. Berlin avait clairement indiqué que si la présidence de la commission ne lui revenait pas, elle demanderait alors la présidence de la BCE pour le président de la Bundesbank Jens Weidmann. Les divergences de vue sur les moyens monétaires avaient dramatiquement retardé la réponse de la BCE à partir de 2008 et on avait même vu Jean-Claude Trichet paniquer face aux critiques allemandes et remonter les taux en pleine de crise de l’Euro. Ce retard dans la réponse monétaire a eu des effets désastreux.

Néanmoins, cette enfoncement dans la crise ou l’atonie dans tous les cas et le recours extrêmement prolongé aux programmes de relance monétaire ne peut qu’inquiéter, bien au-delà des rangs des conservateurs allemands. Mme Lagarde a du s’exprimer brièvement sur la question des conséquences de la relance monétaire sur le marché immobilier notamment en indiquant la possibilité de mesures dites macroprudentielles. Il faut cependant mesurer l’ampleur de la bulle déjà creusée, si bien que les gouvernements craignent le mouvement inverse en cas de mesures pour la freiner et ne souhaitent souvent pas prendre partie. Enfin il faut mesurer que le périmètre de la BCE reste limité dans la gestion des conséquences de ses mesures, notamment au travers de ces mesures dites macroprudentielles dont l’application ne lui revient pas réellement, à divers égards. Le parfum d’activisme et de renouveau à la BCE ne saurait ainsi masquer une situation redoutable, d’un point de vue aussi bien économique, politique que social.

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