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Boris Johnson perd sa majorité absolue mais vraisemblablement pas la guerre
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Honni soit qui mal y compte

Boris Johnson a perdu sa majorité au Parlement britannique. Les députés de l'opposition et des élus conservateurs ont également remporté un vote en approuvant une motion pour reprendre le contrôle de l'agenda parlementaire. Edouard Husson décrypte cette situation.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le Premier ministre britannique a perdu une bataille et non la guerre

La superficialité de bien des commentateurs français est affligeante. A peine une majorité de députés avait-elle voté la maîtrise de l’ordre du jour par la Chambre des Communes, on a commencé à lire que le Premier ministre venait de subir une défaite retentissante. A partir de là, les journalistes et experts ne savent pas très bien ce qu’ils doivent écrire pour continuer: suite au prochain numéro. En fait, ce qui se passe avait été anticipé par Boris Johnson, sinon il n’aurait pas demandé à la Reine de mettre fin à l’actuelle session du parlement pour cinq semaines. Theresa May lui a légué un rapport de forces parlementaire catastrophique puisque le Premier ministre a toujours affaire au parlement issu des élections de 2017. Avant même le vote d’hier, nous en avons eu la preuve dans le fait qu’un député conservateur a ostensiblement traversé l’espace central de la Chambre des Communes pour passer des bancs conservateurs aux bancs libéraux-démocrates. Ensuite, il faut simplement contester que 21 députés conservateurs ont été déloyaux à leur parti alors qu’il n’y a eu que deux défections chez les travaillistes. 

Boris Johnson a intérêt à une élection générale rapide, Jeremy Corbyn non.  

En fait, la seule issue positive à la crise actuelle est une élection générale. Elle est inévitable mais on ne sait pas à quelle échéance elle aura lieu. Plus elle sera déclenchée rapidement, plus Boris Johnson a de chances de la gagner haut la main. Depuis qu’il est devenu Premier ministre, il a construit sa popularité dans les sondages sur une image d’homme d’action et sur l’espoir que le Brexit allait enfin avoir lieu ! Evidemment, si une majorité de parlementaires réussissait à l’enliser dans des arguties sans fin et qu’il apparaissait gouverner sans majorité absolue, cela casserait l’élan qu’il avait réussi à insuffler. D’où le choix fait par Jeremy Corbyn de ne pas déclencher un vote de confiance mais d’aller se battre sur la question du « no deal ». 

Le Premier ministre avait anticipé cela et bloqué par avance le jeu de Jeremy Corbyn en demandant à la Reine de mettre fin à la session du Parlement au début de la deuxième décade de septembre. Nous entrons alors dans les subtilités de cette constitution non écrite qui fait vivre la politique britannique: maintenant qu’ils sont largement majoritaires au Parlement (en tenant compte de l’exclusion du groupe parlementaire des Tory Remainers), les opposants à un No Deal vont tâcher de faire passer le plus vite possible un texte destiné à forcer le Premier Ministre à demander une prolongation à Bruxelles pour obtenir un accord. Est-il si sûr, pour autant qu’ils resteront unis jusqu’au bout? Dès hier, un groupe de travaillistes demandait que l’on représentât l’accord de Theresa May au vote du Parlement. Ensuite, la stratégie consistant à pousser à un vote le plus rapide possible est à double tranchant: elle obligera à des simplifications qui pourront faire ressortir des clivages dans la coalition hétéroclite des « No-No-Dealers ». Et puis la Chambre des Lords, même si elle est majoritairement pro-Remain, a son propre rythme et son propre ordre du jour. Enfin, il reste la possibilité que le Premier ministre recommande à la Reine de ne ne pas donner son consentement à une loi qui lui lierait les mains absolument dans la négociation: le précédent texte du même accabit imposé à Theresa May était une simple recommandation - et Boris Johnson pourrait dans ce cas ne pas en tenir compte. 

Combien de temps les parlementaires britanniques pro-UE pourront-il repousser un vote de confiance? 

C’est pourquoi il est très probable que Jeremy Corbyn se retrouvera plus rapidement qu’il ne le souhaite confronté à la question d’un vote de défiance. Et là, il est prisonnier de son jeu compliqué des dernières années, en particulier ses liens avec l’extrême-gauche et avec les antisémites de son parti. Peut-il devenir un Premier ministre de transition? S’il y avait consensus sur un autre nom que le sien, dans son propre parti, pour lequel les libéraux démocrates pourraient voter, Corbyn accepterait-il de se retirer? L’idée d’un gouvernement de remplacement n’est pas si facile à mettre en oeuvre même si, sur le papier, il existe une majorité pour cela. En admettant qu’il fût constitué, combien de temps ce gouvernement tiendrait-il? Comment négocierait-il avec Bruxelles? Et l’on voit venir le moment où il refuserait de soumettre à un second référendum le mauvais accord qu’il aurait obtenu de Bruxelles - sans doute bien pire que celui obtenu par Theresa May. Cela ne manquerait pas de sel. 

Tout cela Boris Johnson le sait et son pari est qu’il y aura plus rapidement que ce que souhaite Jeremy Corbyn de nouvelles élections. Il est même prêt à ce qu’elles soient tenues à la mi-octobre - le mardi 15 octobre, de manière à pouvoir disposer d’un nouveau gouvernement lors du Conseil européen de la fin de semaine qui suit. Les sondages donnent à penser que, dans ce cas, la victoire lui serait assurée. Nigel Farage, authentiquement patriote, serait prêt à trouver un accord favorisant les députés conservateurs dans des circonscriptions difficiles pourvu que Boris Johnson s’engage à ne pas se contenter de l’accord de Theresa May moins le backstop. Et le fait que Jeremy Corbyn ait désormais clairement pris position contre le Brexit lui coûtera cher: une partie de ses électeurs préfèreront l’original à la copie et voteront pour le parti le plus pro-Remain, les libéraux-démocrates; ou bien ils voteront soit conservateur soit Brexit Party. 

Combien de temps le Parlement pourra-t-il entraver l’exercice de la souveraineté du peuple? 

En fait, Boris Johnson a manoeuvré pour poser les termes d’un débat simple, qui se révélera payant si les élections ont lieu rapidement: le Parlement joue désormais contre le peuple. Il faut réaligner les planètes. Les sondages montrent que l’opinion britannique est très sensible à cet argument ainsi qu’à la nécessité d’en finir rapidement. Ne nous laissons pas impressionner outre mesure par la bulle de Westminster. Evidemment, il ne faut pas sous-estimer la capacité de nuisance de la « révolte des élites » (Ch. Lasch) à laquelle nous assistons. Ce qui se passe actuellement fait ressortir de manière éclatante la coupure profonde qui existe entre une majorité des classes supérieures, diplômées de l’enseignement supérieur, et le reste de la société. Ce n’est pas une question seulement britannique mais le débat sur le Brexit le place sous une lumière crue. A la différence de ce qui se passe en France, Boris Johnson a trouvé les bons ingrédients pour rassembler « les deux nations », ce qui est la mission que le parti conservateur s’assigne régulièrement au moins depuis Benjamin Disraëli. La grande question est de savoir si, comme à l’époque des Libéraux triomphants, au milieu du XIXè siècle, moment ou Thomas Macaulay forgea le mythe de la « souveraineté du Parlement », il est possible de retarder l’émergence de ce nouveau parti conservateur, au point même de briser la carrière de Boris Johnson. Jeremy Corbyn a montré ces dernières semaines qu’il était prêt à tout, y compris en reniant le vote pro-Brexit de son électorat populaire et en établissant des liens avec la City, pour parvenir au 10 Downing Street. Il est devenu l’idiot utile de l’Union Européenne. Le peuple britannique n’est pas dupe et les sondages montrent un soutien croissant à Boris Johnson. Tout dépendra de la capacité de ce dernier à se sortir rapidement du marais qu’est devenu la Chambre des Communes. 

Ce qui se joue entre Westminster et le 10 Downing Street est d’une importance cruciale non seulement pour la Grande-Bretagne mais pour l’ensemble de l’Europe et de l’Occident. Serons-nous encore la culture de l’état de droit incarné dans la nation et s’exerçant par le suffrage universel? Ou bien sommes-nous condamnés à subir pour des années encore la révolte des élites, le morcellement politique, la décomposition sociale et l’inefficacité économique toujours plus évidente qu’elle engendre? 

Boris Johnson peut encore gagner. Et, pour que nos peuples reprennent rapidement la maîtrise de leur destin, il doit gagner ! 

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