Les tabous ont la vie dure : l’entreprise française reste un lieu où on ne parle ni salaire, ni politique, ni religion et très peu de sa vie privée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les tabous ont la vie dure : l’entreprise française reste un lieu où on ne parle ni salaire, ni politique, ni religion et très peu de sa vie privée
©Reuters

Atlantico Business

Alors qu’en général, on passe plus de temps dans l’entreprise que dans sa famille, le lieu de travail est encore un lieu où on s’interdit de parler salaire, politique ou religion.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Les salariés restent discrets et secrets, la politique est étouffée et la religion interdite. L’entreprise française est encore un lieu de tabous solidement enracinés. Alors que la plupart des Français passent plus de temps sur leur lieu de travail que dans leur famille, on connaît en général tous les petits travers, qualités et défauts de ses collègues de travail ou voisins de bureau. On connaît très vite leurs petites habitudes, leur heure d’arrivée, leurs soucis de famille ou même leurs histoires amoureuses. Autrefois, on se retrouvait à la photocopieuse, aujourd’hui, c’est au restaurant d’entreprise, à la cafétéria, dans l’ascenseur qu’on papote. Ceux qui fument se retrouvent à la pause cigarette et échangent confidences, vrais ou faux secrets.

Bref, on connaît beaucoup de choses sur les uns et les unes, mais il reste des domaines complètement tabous. 

Le groupe Hellowork (région job, paris Job), qui est un acteur digital majeur sur le marché du recrutement, de l’emploi et de la formation en France, a enquêté sur le contenu des conversations d’entreprises pour connaitre le niveau et la qualité de l’information qui circulent. 

Laissons de côté les systèmes d’information institutionnelle gérés par la Direction générale, les DRH, les syndicats ou les organisations sociales. L’enquête s’est limitée au contenu des informations entre salariés. De quoi parlent-ils, directement ou par le biais des réseaux sociaux, Facebook ou WhatsApp?

Réponse: ils parlent de tout et de rien... mais il y a des choses dont ils ne parlent presque jamais. 

1er point - Ils ne parlent pas de ce qu’ils gagnent. 83% des salariés estiment que « parler salaire » avec leurs collègues est tabou. Et quand ils en parlent, c’est que ça va mal, très mal. Il est même trop tard.

2e point - 78% ignorent le salaire de leur manager. En dehors des plus hauts salaires qui font l’objet d’une publication au rapport annuel d’activité et encore de ce qui est publié, ce sont des grandes masses, le salaire de dix cadres dirigeants les mieux rémunérés ; ça n’est jamais nominatif. Sauf fuite dans la presse et dans ce cas, on frise la rumeur qui touche au scandale. 

3ème point - 61% des personnes interrogées n’aiment pas parler de politique au bureau. Ça les gêne. Ils pensent que ça peut leur porter préjudice. On sait pour qui nos vrais amis votent en général, on devine pour qui votent nos voisins ou les chefs... On le sait au moment des grandes échéances électorales (présidentielle) mais on n’en parle pratiquement jamais de la vie politique de tous les jours. Alors qu’en famille, on sait que les discussions sont plus ouvertes.

4ème point - 58% évitent d’aborder le sujet des religions. Plus de la moitié des salariés s’interdisent toute allusion à des faits religieux, toute communication ou tout commentaire public à l’intérieur de l’entreprise  

5ème point - 46% des salariés évitent de parler de leur vie privée avec leurs collègues de travail.  

Ces résultats sont intéressants. Il n’est pas surprenant que les salariés ne veuillent pas parler de leur vie privée. Elle leur appartient. Ce qui est plus sujet à réflexion, c’est qu’ils ne souhaitent pas parler politique ou religion sur leur lieu de travail qui est considéré à juste titre comme un sanctuaire de laïcité ou de neutralité, en dehors de l’adhésion aux valeurs de l’entreprise qui sont de plus en plus importantes. L’entreprise n’est pas seulement le lieu de production de richesse, d’emploi et de pouvoir d’achat, mais c’est le lieu qui porte et défend des valeurs universelles comme la protection de son environnement et la qualité sociale. C’est une exigence assumée des consommateurs, des actionnaires et des salariés. Les entreprises bien gérées doivent en tenir compte si elles veulent fidéliser leurs clients, leurs salariés et leurs actionnaires. 

Au-delà de ces grandes valeurs qui définissent le sens que l'on donne au travail, la politique politicienne ne rentre pas dans l’entreprise. 

Les affaires de religion, qui sont très souvent au bord du débat politique ou sociale, sont également taboues. 

Ces domaines touchent au fonctionnement de la démocratie. La démocratie a besoin de transparence, mais elle a aussi le devoir de protéger le droit au secret des démocrates. La transparence totale a souvent accouché dans l’histoire de régimes autoritaires et liberticides. Donc, il ne faut pas s’étonner de cette réserve des salariés à se garder des sujets de conversation pour leur cercle privé ou intime. Cette réserve est légitime. 

Le manque de transparence sur les salaires est plus discutable

Si 78% des salariés ignorent le salaire de leur manager direct, plus de la moitié (51%) aimeraient bien le connaître. Ce résultat est évidemment un marqueur de malaise ou même de méfiance à l'égard de sa hiérarchie, donc de disfonctionnement. Si la moitié veulent savoir ce que gagne leur chef, c’est en fait parce qu’ils estiment n'être pas assez payés eux-mêmes ou alors ils pensent que l'autre ne mérite pas ce qu’il gagne. On retombe là sur les rapports compliqués que les Français entretiennent avec l‘argent. Le problème, là encore, n’est pas de faire la transparence la plus totale sur les questions de rémunération. Il y a dans ce domaine aussi un droit au secret qui se justifie d’ailleurs pour des raisons d’efficacité dans la concurrence, le vrai problème est la mauvaise acceptation de la rémunération de l'autre et le soupçon permanent de son illégitimité. 

On a évidemment du mal à accepter le salaire d’un chef si le chef n’assume pas ses responsabilités et n’est pas exemplaire dans l’exécution de sa mission. On a du mal à accepter la rémunération d’un homme politique parce qu’il s’agit d’argent public et que beaucoup d’hommes politiques dans le passé n’ont pas eu un comportement, disons très rigoureux. On comprend mal la rémunération du chef d’entreprise parce qu’il prend des risques, alors que la prise de risque justement est une composante du succès de l’entreprise. 

Mais curieusement, on sera plus indulgent par rapport au cachet que touche une star du rock ou au montant espéré par Neymar du PSG pour son trans-fert. En fait, les seuls salaires dont on parle sans gêne, ni réserve dans l’entreprise sont ceux des dieux du stade. A Rome dans l’Antiquité, c’était déjà le cas.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !