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Téhéran mi-figue mi-raisin vis-à-vis des initiatives d'Emmanuel Macron
©Crédit LUDOVIC MARIN / AFP

IRAN

Le G7 à Biarritz a été marqué par la venue surprise du ministre des Affaires étrangères iranien. S'il a beaucoup fait parler de lui dans les pays occidentaux, le geste d'Emmanuel Macron d'inviter et de discuter avec Mohammad Javad Zarif n'a pas été apprécié à l'unanimité par Téhéran.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Comment le comportement d'Emmanuel Macron vis-à-vis de l'Iran est-il perçu à Téhéran, en particulier depuis le G7 où le président français s'est penché explicitement sur le problème du nucléaire iranien ?

Thierry Coville : Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir un peu en arrière. Depuis l'accord sur le nucléaire iranien en 2015, le personnel politique iranien, pour reprendre l'expression de Saeed Hadjarian, un des penseurs du mouvement réformateur en Iran, se divise entre ceux qui soutiennent l'accord, les bardjam (nom persan pour l'accord) et ceux qui y sont opposés, les non bardjam. En fait, cette ligne de fracture divise notamment ceux qui sont prêts à avoir des relations "constructives" avec l'occident, si c'est dans l'intérêt de l'Iran et ceux qui, fondamentalement, considèrent l'occident, et notamment les Etats-Unis, comme un ennemi irréductible de l'Iran. Depuis la sortie américaine de l'accord, la mouvance "constructive" est complètement délégitimée du fait de la crise économique profonde qui touche le pays du fait des sanctions américaines. Par contre, les "non bardjam" voient leur discours validé par les faits. En clair, ils répètent tous les jours que l'accord sur le nucléaire était un piège tendu par les américains pour affaiblir l'Iran. Ce qui est intéressant dans ces tensions internes est le rapport des "constructifs" avec l'Europe. Initialement, cette mouvance a cru que l'Europe, allait agir pour contrer les sanctions américaines. Puis, face à l'inaction européenne, le discours de ces modérés est devenu plus politique. En clair l'Europe ne faisait rien pour aider l'Iran à contrer les sanctions américaines mais elle restait un partenaire qui défendait l'accord sur le nucléaire et avec lequel on pouvait échanger sur tous les sujets (et notamment sur un certain nombre de dossiers régionaux).

Dans un tel contexte, l'action d'Emmanuel Macron est évidemment vue comme positive par les modérés. Cette mouvance considère que le président français peut jouer un rôle efficace pour diminuer les tensions avec les Etats-Unis. En clair, grâce à l'action du président français, l'Iran pourrait notamment obtenir une levée (totale ou partielle) des sanctions, ce qui permettrait d'apporter un peu de répit à la population. D'autre part, Emmanuel Macron est vu comme un allié politique qui peut contribuer à une diminution des tensions avec les Etats-Unis. Cependant, ces modérés considèrent que : 1) ces négociations ne pourront avoir lieu que si les sanctions américaines sont annulées et 2) ces négociations ne devraient concerner que des modifications à la marge de l'accord de 2015. Mohamad Djavad Zarif, le ministre des affaires étrangères, a proposé il y a quelques semaines que le parlement iranien vote immédiatement le protocole additionnel du TNP (qui prévoit des visites d'inspection éclairs des inspecteurs de l'AIEA des équipements nucléaires de l'Iran) alors que l'accord de 2015 ne prévoit cette ratification du protocole additionnel qu'en 2023.  La médiation française est d'autant plus vue comme une opportunité dans un contexte où les modérés ont compris que les Européens ne pouvaient (ou ne voulaient) rien faire pour développer leurs relations économiques avec l'Iran sans l'accord des Etats-Unis. Ces "modérés" ne croient plus du tout notamment dans l'efficacité du mécanisme de troc, Instex, mis en place par les Européens pour commercer avec l'Iran sans passer par les banques et sans utiliser le dollar. À l'opposé, les radicaux, sont évidemment vent debout contre l'action du président français. Ce groupe considère qu'Emmanuel Macron est en train de faire le travail de Trump en poussant l'Iran à négocier directement avec le président américain. Les "durs" estiment que l'Iran n'obtiendra aucun avantage économique et qu'au contraire, ces négociations conduiront l'Iran à perdre sur tous les tableaux.

Quelles peuvent être les conséquences de la médiation française sur le rapport de forces politiques à l'intérieur de Iran ?

Il est difficile de répondre à cette question. A mon avis, tout va dépendre de la capacité des autorités américaines à définir une stratégie qui peut pousser les dirigeants iraniens à négocier. En gros, cette stratégie devrait être basée sur une levée des sanctions puis une négociation autour de l'accord de 2015. Dans ce cas, si des négociations ont lieu entre les Etats-Unis et l'Iran, et avec toutes les réserves d'usage, on pourrait constater un regain de popularité de Rohani, surtout si les sanctions sont levées et si la situation économique s'améliore. De plus, Rohani pourrait apparaître comme le leader iranien qui a permis un début de normalisation des relations avec les Etats-Unis (cette normalisation s'annonçant par ailleurs comme un processus long fait de petits pas ...). Si des négociations avec les Etats-Unis n'ont pas lieu et que les sanctions persistent, on peut craindre que la légitimité des modérés s'affaiblisse encore plus, notamment parmi les habitants des grandes villes. On peut alors s'attendre à des victoires des radicaux lors des prochaines élections législatives en 2020 et présidentielles en 2021 du fait d'une très faible mobilisation des électeurs.

Par ailleurs, ce rôle de médiateur de la France peut également contribuer à renforcer la crédibilité de la France en Iran. L'implication du président français a une résonance importante dans un pays où la France a toujours été vu comme un pays indépendant des Etats-Unis et n'a jamais été dans une position, comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou la Russie, de pays voulant "coloniser" l'Iran (l'Iran n'a jamais été officiellement une colonie). On peut souhaiter que cette implication de la France donne un nouvel élan à la politique française en Iran, en regardant notamment ce pays dans sa réalité de puissance régionale centrale et stabilisatrice et en arrêtant de voir ce pays comme la source de tous les problèmes dans la région.

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