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L’Autriche démasque un espion à la solde des Russes qui trahissait son pays depuis 30 ans
©Le chancelier autrichien Sebastian Kurz et le ministre autrichien de la Défense

Top Secret

Un Officier Traitant du GRU (service de renseignement militaire russe) recherché à l’international pour avoir recruté une taupe autrichienne et l’avoir traité pendant plus de trente ans.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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L’Autriche a publié le 23 juillet un mandat d’arrêt européen et international à l’encontre d’un officier russe de renseignement. Il est reproché à ce dernier d’avoir approché en 1987 un militaire autrichien puis de l’avoir recruté en 1992. Il l'aurait ensuite manipulé  jusqu’à son arrestation survenue en novembre 2018. Un service de renseignement européen aurait aidé à débusquer la taupe. Cet agent autrichien dont l’identité reste confidentielle (seulement connu comme "Martin M") attend d’être jugé pour faits de trahison. Âgé de plus de 70 ans, cet officier certainement à la retraite depuis longtemps, avait atteint le grade de colonel.

La police de Salzbourg a désigné le membre présumé du GRU (Glavnoye razvedyvatel'noye upravleniye)(1), le service de renseignement militaire russe, comme étant Igor Egorovich Zaytsev aujourd’hui âgé de 65 ans. Selon Vienne, le colonel autrichien (la taupe) "a pratiqué l'espionnage au profit du service de renseignement militaire russe, fournissant à son officier traitant (NdA, OT) des informations détaillées sur l'ensemble du spectre militaire des forces armées autrichiennes, en particulier sur les systèmes d'armement et les missions des forces terrestres et aériennes". En outre, la source autrichienne a bénéficié de "formations régulières" par son OT avec lequel elle communiquait "par des moyens satellites". L’agent autrichien aurait agi pour de l’argent recevant "plusieurs centaines de milliers d'euros" sur plus de trente ans. Le chiffre de 300 000 euros a été avancé.

Des leçons peuvent être tirées de ce cas école.

L’officier autrichien a été détecté, environné, approché puis recruté par le GRU alors que l’URSS existait encore.

La manipulation s’est poursuivie après l’effondrement de l’URSS et du Pacte de Varsovie, ce qui prouve une chose connue : les services de renseignement russes ont continué à fonctionner (on se demande d’ailleurs bien pourquoi ils auraient cessé leurs activités).

C’est le même Officier Traitant qui a suivi sa source durant toute sa durée de vie "professionnelle" (plus de trente ans, un record). C’est un cas assez rare dans le monde du renseignement, les sources étant transmises à de nouveaux OT au gré des mutations de ces derniers (ou des sources). D’ailleurs, un service ne reconnaît qu’une source est vraiment devenue un "agent de renseignement" comme elles sont désignées dans le jargon spécialisé, que si elle est "transmissible". Mais comme dans toute science humaine, il y a des exceptions qui confirment la règle. Dans ce cas, la source devait être très attachée psychologiquement à son OT et son importance au sein de la défense autrichienne (pas forcément hiérarchique mais c’est l’accès aux informations confidentielles qui semblait intéresser les Soviétiques puis les Russes) a fait que le GRU a préféré ne pas prendre le risque de la voir filer pour incompatibilité relationnelle avec un nouvel OT (là, ce n’est pas une exception).

Pour le moment, il semble que la motivation de la taupe était financière mais tout professionnel sait que ce n’est pas suffisant, ce qui explique peut-être qu’elle n’ait jamais changé de traitant (voir plus avant).

Bien que certainement à la retraite depuis longtemps, elle a continué à être suivie par le GRU et pourtant, les informations auxquelles elle pouvait avoir accès étaient vraisemblablement de moindre importance. Peut-être s’agit-il d’une "récompense pour services rendus" - une sorte de retraite en quelque sorte -. Ce qui est inquiétant, c’est qu’elle a pu désigner des cibles parmi ses connaissances. Il n’est pas exclu que ces dernières aient été approchées lors d'opérations de pénétration de structures intéressantes. L’anonymat du suspect s’explique peut-être par les enquêtes vraisemblablement en cours pour déterminer s’il n’a pas "fait de petits".

En effet, une deuxième personne appartenant au Bureau pour la protection de la Constitution et la lutte contre le terrorisme (BVT) aurait été arrêtée peu après la taupe autrichienne. L'enquête serait toujours en cours à son sujet et des persuisisitons auraient suivi.

Cela dit, l'Autriche (comme la Finlande, l'Irlande, la Suède et Malte) n'appartenant pas à l'OTAN, les renseignements que pouvait rapporter la taupe étaient essentiellement nationaux ce qui, malgré la position géographique centrale en Europe de l'Autriche, diminue leur valeur globale pour Moscou.

Ce cas est au coeur du métier des services de renseignement : le recrutement de sources humaines qui fournissent des informations classifiées sur la durée. Les medias mettent en avant les opérations homo (les assassinats) qui sont plus spectaculaires - donc plus vendeuses - mais ces dernière sont en réalité des échecs. Il aurait été tellement plus utile de "retourner" les cibles pour en faire des agents de renseignement. Dans le cas évoqué, c’est un très grand succès professionnel pour l’Officier Traitant soviétique puis russe. Problème pour lui, il n’a pas intérêt à faire du tourisme en Occident et  pourtant il doit avoir le temps car il doit, lui aussi, être à la retraite.

Quant à l'Autriche, elle ne bénéficierait plus de la totale confiance des services de renseignement étrangers en raison de son orientation politique. Cela se traduit par une coopération internationale en baisse dans le domaine des échanges d'informations. Vienne va pouvoir retrouver son rôle historique de carrefour stratégique pour le "grand jeu" mené par tous les espions de la planète. C'est sur l'aéroport de Vienne-Schwechat que le 8 juillet 2010, un échange de dix Officiers de renseignement russes arrêtés USA contre quatre taupes russes (dont Sergueï Skripal victime d'une tentative d'empoisonnement à Salisbury le 4 mars 2018) avait eu lieu.  

1. La Direction générale des renseignements de l'Etat-Major des Forces Armées de la Fédération de Russie, sigle actuel "GU". Mais l'ancien "GRU" plus connu devrait être ré-adopté. 

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