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Saudi First : comment le nouveau nationalisme saoudien instrumentalisé par MBS pourrait bien lui revenir en boomerang
©HOW HWEE YOUNG / POOL / AFP

Arabie saoudite

Mohammed ben Salmane a développé un nationalisme très fort en Arabie saoudite. Les répercussions de ce nationalisme sont nombreuses sur les relations internationales, la religion et au coeur de la société saoudienne.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico.fr : Mohammed ben Salmane a instauré un nationalisme très fort en Arabie saoudite. Sur quels éléments s'est appuyée cette évolution du régime ?

Ardavan Amir-Aslani : Il est difficile de parler de nationalisme en ce qui concerne l'Arabie saoudite. Quelle identité nationale Mohammed Ben Salmane peut-il bien exalter ? Le peuple saoudien ne s'est jamais battu contre un envahisseur, n'a jamais eu à lutter pour sa liberté, n'a jamais fait de révolution ni inventé un projet commun progressiste.  

La culture et les coutumes de l'Arabie saoudite, son « identité nationale », si vraiment il faut en définir une, tournent autour de deux axes : la famille Saoud et le wahhabisme. C'est un pacte de soutien mutuel, très stratégique et politique, établi dès le XVIIIème siècle entre les Al-Saoud et la famille de Mohammed Ibn Abdelwahhab, le fondateur du wahhabisme, qui a permis de créer le premier Etat saoudien. Aux Saoud, la gestion des questions politiques et militaires, à Abdelwahhab et ses descendants – les Al-Sheikh – la gestion des questions sociales et religieuses. Les Al-Sheikh dirigent toujours aujourd'hui les Oulémas saoudiens, c'est-à-dire l'ensemble des chefs religieux.

Ces deux familles sont les deux seuls piliers qui ont construit le pays et sur lequel il repose tout entier encore aujourd'hui. L'Arabie saoudite est d'ailleurs le seul pays au monde qui porte le nom de la famille qui la gouverne !

Quant à l'Etat saoudien moderne, il a été fondé en 1932 par Ibn Saoud, l'aïeul du prince Mohammed Ben Salmane, après près de trente ans de luttes incessantes avec les tribus concurrentes et les Ottomans, avec l'aide très intéressée des Britanniques, qui les ont préféré aux Hachémites, pourtant gardiens tutélaires des Lieux saints de la Mecque et de Médine depuis le XIIème siècle. C'est l'épopée, bien connue, de Lawrence d'Arabie, qui d'ailleurs rêvait sincèrement de voir les Arabes libres, sous l'égide des Hachémites, la famille la plus légitime pour les guider. Trahi par les Anglais, les Hachémites se sont réfugiés en Jordanie, et ce sont les Saoud qui ont hérité du pouvoir en Arabie. 

Donc, dire que le régime évolue est un contre-sens, puisque ses éléments fondateurs, qui constituent son identité, n'ont pas évolué eux-mêmes. Tout au plus peut-on affirmer que Mohammed Ben Salmane ne fait que rappeler des fondamentaux.

Emmanuel Dupuy : Mohammed Ben Salmane (MBS) avant d’être désigné prince héritier en juin 2017, avait pris le titre de ministre de la Défense, dès janvier 2015, devenant ainsi le plus jeune titulaire du poste en Arabie Saoudite. La « geste » nationaliste des Al-Saoud s’est ainsi vue conforter dès les premières semaines de cette prise de fonction avec le déclenchement de l’opération « Tempête décisive » (26 mars – 21 avril 2015), immédiatement suivie par celle en cours « Restaurer l’espoir » et qui enclenchèrent la terrible guerre qui saigne et ravage le Yémen depuis.

Pourtant le nationalisme n’a pas attendu MBS pour s’exprimer dans la péninsule arabique. Les Al-Saoud ont souvent été porté, du reste, depuis l’unification de l’Arabie Saoudite - entre 1902 et 1932 - à brandir le drapeau du nationalisme. Ce nationalisme s’exprime ainsi dès le début du règne des Al-Saoud dans et autour du Royaume. Le Traité de Sèvres en 1920 - qui démantèle l’Empire ottoman - et celui de Hadda en 1925 - qui fixe les frontières entre la future Arabie Saoudite et la Transjordanie (incluant la Cisjordanie occupée et annexée entre 1948 et 1949 et une partie de l’actuelle Syrie) récemment crée - offre ainsi la première expression du pan-arabisme. Celui-ci fut l’instrument que la famille régnante n’hésita pas à brandir, alimenter et instrumentaliser, notamment par le truchement des organisations palestiniennes, à partir des années 1970, et plus récemment, les mouvements salafistes opérant en Syrie, en Egypte, en Libye, au Soudan.

Né de l’unification par les armes des différentes régions de la péninsule arabique, le nationalisme saoudien s’est progressivement mué après 1932 et le Pacte de Quincy en février 1945, en nationalisme économique, grâce aux 12 millions de barils de pétrole extraits par jour du sous- sol de la péninsule arabique.

Depuis, et en parallèle, les conflits récurrents avec le Yémen - via les guerres civiles de 1962, de 1994 ou encore celle de 2014 -, les frictions avec le Qatar (dont la dernière remonte à juin 2017) et le soutien aux guerres menées contre l’Irak de Saddam Hussein (à l’instar de celle résultant de l’invasion du Koweït en 1990 et 1991 ou celle qui débuta en mars 2003) sont venus confirmer l’ardente nécessité pour la dynastie des Al-Saoud de maintenir, coute que coute, l’idée d’un pays constamment obligé de se défendre et de promouvoir, pour ce faire, l’idée de devoir aller porter la guerre hors de ses frontières.

MBS aura pourtant fait évoluer ce nationalisme initialement vecteur d’unité nationale, en instrument de légitimisation de sa propre personne. Le but en est, dans l’attente d’accéder au trône, d’exercer et d’incarner un pouvoir « alternatif » quoique non concurrentiel à celui exercé par son père.

Il faut ainsi se rappeler que MBS est non seulement prince héritier et ministre de la Défense, mais qu’il exerce aussi la fonction de Président du Conseil des affaires économiques et du développement de l’Arabie Saoudite.

Cette position centrale au sein du Palais fait de MBS, l’homme clé aussi sur le plan social et sociétal. Néanmoins, il aura fallu l’affaire Kashoggi pour réduire à quasi néant, les timides évolutions réformistes engagées au sein du Royaume, avec l’appui et la bénédiction très médiatisée de MBS, à l’instar de l’autorisation des femmes à conduire, à se rendre dans des stades, ou encore la réouverture de cinémas, après 35 années de fermeture.

Effet « plastron », en effet, qui ne peut passer sous silence les 149 exécutions capitales en 2018, dont plusieurs à l’encontre de mineurs. Pour rappel, 65% de la population d’Arabie Saoudite à moins de 30 ans et aspire, elle aussi, comme celle de Téhéran, du reste, aux mêmes perspectives de développement économique et personnel. MBS a parfaitement compris cette nouvelle réalité, qui lui permet de s’appuyer sur une nouvelle génération de responsables, qui lui devront leurs carrières et leurs enrichissements financiers.

C’est, d’ailleurs, cette génération Y composé des « millennials » parmi les 30 millions de Saoudiens qui constitue la première « garde » du jeune prince héritier.

Quelles sont les répercussions de ce nationalisme sur les relations internationales ?

Ardavan-Amir Aslani : L'idée même de nationalisme entraîne nécessairement du ressentiment, de l'agressivité, et donc une politique belliciste. Ce n'est pas un hasard si, dans la seconde moitié du XIXème siècle, Nietzsche la considérait comme un poison qui tuait lentement l'Europe... Les Saoud, forts de leur influence en raison de leur manne pétrolière, ne se sont néanmoins jamais sentis suffisamment sûrs d'eux pour être totalement sereins. Sinon, pourquoi auraient-ils cherché une alliance stratégique avec les Etats-Unis – c'est le fameux pacte de Quincy « pétrole contre protection » - dès 1945 ? Ces dernières années, ce bellicisme s'est singulièrement traduit dans la région du Golfe Persique, sous l'égide de Mohammed Ben Salmane, en de multiples occasions : la guerre lancée contre le Yémen en 2015 – un fiasco militaire et une catastrophe humanitaire ; « l'enlèvement » - toujours nié par l'Arabie saoudite - du Premier ministre libanais Saad Hariri et le blocus organisé contre le Qatar, deux évènements survenus en novembre 2017.

Ces actions extérieurs ne sont que quelques exemples de ces « guerres par procuration » menées par l'Arabie saoudite contre l'Iran, son ennemi juré – car l'Iran soutient les Houthis au Yémen, le Hezbollah au Liban, le Qatar face à l'Arabie saoudite. C'est une guerre pour ainsi dire idéologique qui se joue entre les deux pays depuis des décennies pour gagner la domination politique et culturelle sur le Moyen-Orient, et plus largement sur le monde musulman. L'Iran, très attaché à sa culture millénaire et admiré pour cela, très influent au Moyen-Orient, est un concurrent dangereux pour les Saoud depuis le début de leur existence. D'où la nécessité, sans doute, d'affirmer ou de réaffirmer une prétendue identité nationale pour tenter de faire le poids. 

Emmanuel Dupuy : Voulue comme une légitimisation de sa volonté réformiste, incarnée par son projet « Vision 2030 », lancé en 2016, la volonté de MBS visant à redorer l’image de l’Arabie Saoudite semble, en effet, mal engagée.

L’affaire du meurtre de Jamal Kashoggi a certes accéléré la défiance personnelle à l’égard d’un MBS, dont toutes les indices semblent confirmer comme ayant été le seul commanditaire, mais l’image ternie de l’Arabie Saoudite, jugée responsable de la pire catastrophe humanitaire, en cours au Yémen s’explique aussi par les choix économiques hasardeux décidés par la famille régnante à Riyad.

L’Arabie Saoudite, depuis le début de la crise pétrolière, en 2008, a dû entamer un plan drastique dans ses propres services publics en baissant, par exemple, de 20 % les salaires des 3 millions de fonctionnaires.

Sur le plan financier, Riyad cherche surtout à éviter à tous prix que l’Iran ne mette sur le marché d’ici 2021, près de 5 millions de barils/ jours (ce qui correspond, du reste, à son niveau d’avant les sanctions en 2006). Ce serait là, une opération « salutaire » pour Riyad, qui a perdu 150 milliards de dollars de réserves de change et a vu baisser son PIB de 13,5 % en 2016 à cause de la surproduction d’or noir.

La transformation de la pétro-monarchie en une économie plus diversifiée, plus ouverte, plus moderne et surtout moins dépendante des énergies fossiles est pourtant une urgente nécessité, tant la rente pétrolière s’essouffle inexorablement, malgré les quelques 260 milliards de barils de réserve prouvées. Il convient aussi de mettre ceci en perspective également à l’aune de la volonté exprimée collectivement et poussée par la Russie, au sein de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) de réduire pour les neuf prochains mois, la production pétrolière et ce jusqu’en mars 2020. L’Arabie Saoudite semble ainsi perdre de son influence, à mesure que les 14 membres de l’OPEP ne représente plus que 30% de la production mondiale.

Riyad cherche surtout à renouer avec les Etats-Unis. Sous la présidence de Barack Obama, le Royaume avait menacé de retirer ses actifs  - estimés à près de 750 milliards de dollars – sur fond de polémique suite à la divulgation par la presse américaine de preuves compromettantes sur un éventuel lien entre Riyad et les auteurs des attentats du 11 septembre 2001, dont 15 sur 19 étaient saoudiens.

Depuis, l’élection de Donald Trump, la donne s’est complétement inversée. Le 45ème président avait ainsi « symboliquement » effectué, en mai 2017, son premier déplacement à Riyad, sur fond de lancement d’un front arabo-musulman contre l’Iran. MBS a ainsi passé plus de trois semaines aux Etats-Unis en mars 2018, ne gratifiant la Grande-Bretagne, l’Espgane et la France, que de quelques journées, et relativement peu de contrats dans la foulée. Il y a néanmoins un domaine qui fait exception : celui de l’industrie de l’armement. La France ne peut ainsi plus passer sous silence que la volonté de ré-armement de l’Arabie Saoudite - devenu en 2017, le premier importateur d’armement dans le monde, devant l’Inde - lui aura permis de vendre pour près de 11 milliards d’euros d’équipement depuis 2010, soit 1,2 milliards d’euros par an.

Du reste, le Royaume a besoin de trouver beaucoup de liquidités. Les sommes évoqués pour le projet pharaonique de MBS (300 milliards de dollars actifs actuellement, 700 milliards en 2020, 2000 milliards dollars en 2030…) impliquent néanmoins que les partenaires économiques y soient pleinement associés.

C’est là où le bât blesse, si j’ose dire, car la confiance semble un peu s’être érodée, à l’aune de la guerre civile en Syrie, qui aura pointé aussi ouvertement la responsabilité saoudienne dans le soutien à des organisations considérées comme terroristes.

La récente tension dans le Golfe persique, autour de la libre circulation des navires et des attaques contre plusieurs pétroliers à travers le détroit d’Ormuz vient également confirmer que l’Arabie Saoudite n’a pas totalement les coudées franches dans sa volonté frontale de s’opposer à l’Iran. Riyad cherche à juguler l’expansionnisme chiite, au Liban, en Irak, au Yémen, en Syrie et vise à réduire à néant la relation jugée « incestueuse » entre Doha, Téhéran et Ankara, sur fond de mise au ban du Qatar depuis juin 2017 du Conseil de Coopération du Golfe. Ce dernier n’a, d’ailleurs, de facto plus de raison d’être.

MBS et l’Arabie Saoudite vise ainsi à utiliser le « parapluie » américain, fort des 70 000 soldats américains présents dans la région, ainsi que le récent rapprochement avec Israël pour parvenir à cette volonté de containment de l’influence iranienne. L’arrivée d’un détachement de soldats américains directement sur le territoire saoudien vient néanmoins démontrer la fragilité de l’Arabie Saoudite en cas de conflit armé avec Téhéran, de part et d’autre, du Golfe Persique.

Enfin, l’image internationale de MBS et de l’Arabie Saoudite pâtit également des soutiens que Riyad a récemment prodigué - aux côtés des EAU, de l’Egypte dans la prolongation du Quartette s’étant opposé au Qatar - au Maréchal Khalifa Haftar dans son offensive désormais bloquée sur Tripoli, contre le gouvernement de Fayez el-Serraj, toujours « officiellement » soutenu par la Communauté internationale. Il en va de même, avec le soutien politique et financier au général Abdel Fattah al-Burhane au Soudan. On évoque la somme de 3 milliards de dollars d’investissements promis dans le secteur agricole et hôtelier et pétrolier par Riyad au Conseil militaire de transition, alors que les récentes répressions de début juin ont causé la mort de plus de 120 soudanais, lors de la dispersion sanglante du sit-in de manifestants devant le siège de l’état-major et des services de renseignements, à Khartoum. Il est vrai, qu’avec la relative réduction des troupes des Emirats Arabes Unis de la coalition militaire arabe menée par Riyad au Yémen, l’Arabie Saoudite a ardemment besoin des forces armées et mercenaires soudanais qu’elle utilise abondamment dans le conflit.

L'establishment religieux pâtit-il de ce nationalisme ?

Ardavan Amir-Aslani : Au contraire, il ne peut pas en pâtir puisque, comme je l'ai expliqué plus haut, l'establishment religieux est constitutif de l'identité nationale saoudienne. Le pays se définit essentiellement par son idéologie religieuse, le wahhabisme, et les Oulémas sont les garants du respect des principes de ce courant, qui est le plus rigoriste et archaïque de l'Islam. 

En outre, le fait que les Saoud soient les gardiens des Lieux saints de l'Islam leur confèrent, théoriquement, une autorité religieuse à part, qui renforce cette identité. Mais leur légitimité est néanmoins régulièrement contestée dans l'ensemble du monde musulman depuis la prise d'otages de la Mecque en 1979, organisée par des terroristes qui allaient notamment inspirer Oussama Ben Laden dans les années 1990. 

Emmanuel Dupuy : Il y a, en effet, de prime abord, une apparente contradiction entre cet ultra-nationalisme qui n’a pour but, comme évoqué précédemment, que de redorer -quoique difficilement le blason de MBS -, sur fond de réformisme politique, social et sociétal, et le conservatisme religieux fondé sur le wahhabisme qui constitue l’ossature du Royaume depuis sa fondation.

Pourtant, le wahhabisme, vecteur de l’islam hanbalite (une des quatre écoles de pensée religieuse de l’islam sunnite), s’inscrivait lui aussi dans un mouvement réformiste au milieu du 18ème siècle et dans une logique de remise en cause des pratiques religieuses de l’époque dans la péninsule arabique.

Depuis le pacte scellé entre les Al-Saoud et les descendants du théologien fondateur du wahhabisme, Mohammed ben Abdelwahhab, en 1744, au moment de la création du premier état dans la péninsule arabique, l’arrestation par MBS de plusieurs prédicateurs influents en septembre 2017 est venue, pourtant, remettre quelque peu en cause cette alliance « structurelle » entre pouvoir temporel et spirituel. 

Quelques semaines plus tôt, MBS était accusé par certains religieux d’être celui qui avait influencé la décision d’avril 2017 de limiter les pouvoirs de la police religieuse. Le jeune prince provoquait également le courroux de l’establishment wahhabite en déclarant qu’il souhaitait que l’Arabie Saoudite en revienne à un « islam modéré, ouvert au monde, ouvert à toutes les religions ». Tous ces signaux pourraient donner l’impression que MBS cherche à remettre en cause l’alliance renouvelé par son grand-père, Abdel Aziz ben Abderrahmane al-Saoud, au moment de la création de l’actuelle Arabie Saoudite, en 1932.

Or, en réalité, MBS et plusieurs personnalités religieuses partagent le même objectif, celui de lutter contre l’influence grandissante du mouvement al-Sahwa, réputé proche des Frères musulmans. Les arrestations des chefs religieux s’inscrivaient dans cette logique, d’où la référence par MBS à la tentative de prise de la grande mosquée menée en 1979 par des fondamentalistes islamistes.

C’est ainsi, sur fond de lutte contre la corruption, néanmoins, que des convergences entre milieux religieux et financiers existent. Alors que MBS embastillait, certes dans les chambres feutrées du Ritz-Carlton de Riyad, plusieurs prédicateurs influents du Royaume, tels que Salman al-Awdah ou Awad al-Qarni, le Comité des grands oulémas, plus haute instance religieuse du pays, rappelait que le combat contre la corruption était le premier des devoirs des croyants.

Ce « transformisme » des autorités religieuses wahhabite sert, en réalité, les ambitions du jeune prince. Les élites religieuses du Royaume sont elles aussi sous la pression générationnelle de jeunes oulémas, désireux d’accompagner la promesse de réforme générale promise par MBS.

Ce dernier peut ainsi s’appuyer sur ces derniers aux dépens de ceux qui conseillaient son père, ses oncles et son grand-père.

Le nationalisme saoudien se couple-t-il avec des évolutions sociales ?

Ardavan Amir-Aslani : C'est intrinsèquement impossible ! Par définition, le nationalisme fige une réalité dans le temps et l'espace. C'est son principe fondamental : s'attacher à préserver, à défendre, à revendiquer un modèle de société comme étant constitutif de son identité, et refuser que la réalité d'un pays soit vivante et en perpétuelle évolution. Ainsi, si on considère que le ferment du « nationalisme saoudien » est la préservation de son modèle, à savoir l'alliance entre le politique et le religieux et toutes les conséquences que cela implique pour la société saoudienne, alors on comprend mieux pourquoi l'Arabie saoudite se modernise si peu. 

La levée de l'interdiction de conduire pour les femmes est un leurre. Dans les faits, quelques permis seulement ont été accordés en un an. En revanche, les féministes qui réclamaient une mise en place plus rapide et effective de cette autorisation ont été arrêtées et sont toujours incarcérées. Tout comme le bloggeur Raïf Badawi, emprisonné depuis 2012 et condamné à 1000 coups de fouet et dix ans de prison pour « apostasie » - c'est-à-dire reniement de l'Islam – et insulte à la religion. 

La réforme des lois sur la tutelle – qui obligent les femmes à sortir systématiquement accompagnées par leur mahram, leur gardien, un membre masculin de leur famille – que le prince Ben Salmane a aussi promise, subira sans doute le même sort que la levée de l'interdiction de conduire. Ces mesures ne sont que des effets d'annonce, du story-telling pour redorer l'image de l'Arabie saoudite, gravement écornée depuis la guerre au Yémen et l'assassinat de Jamal Khashoggi, à l'échelle internationale. Mais dans les faits, rien ne change pour le peuple saoudien.  

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