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Safari des gérants du Super U : pourquoi leur cas est bien plus défendable qu’il n’y paraît d’un point de vue environnemental
©MARTIN BERNETTI / AFP

Contre-intuitif

Les gérants d'un Super U ont été vivement critiqués sur les réseaux sociaux pour leurs photos prises lors d'un safari. Ce couple qui gérait un magasin à l'Arbresle a été contraint de quitter leurs fonctions.

Nicolas  Tournay

Nicolas Tournay

Nicola Tournay est Belge, n’a pas le seum et s’excuse au nom de son pays d’avoir envoyé Charles Michel à la tête du Conseil européen. Il vit à Bruxelles où il travaille en free-lance dans la communication et le marketing.

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Justice a été rendue. Du moins, c’est ce qu’aimeraient nous faire croire les justiciers à la petite semaine qui ont symboliquement lynché Martine et Jacques A. sur les réseaux sociaux. Pris dans la tourmente après la publication de photos les montrant posant, arme au poing,devant des cadavres de lion, de crocodile ou d'hippopotame, M. et Mme A. ont « quitté » leurs fonctions de gérants du Super U d’Arbresle, à la grande joie de leurs détracteurs qui faisaient pression sur la marque de grande distribution.

L’instinct de meute à l’œuvre sur les réseaux sociaux

S’il ne fait aucun doute qu’une enseigne a le droit de se séparer d’associés pour protéger sa marque et ses « valeurs » proclamées, le procédé utilisé par les militants de la cause animale inquiète néanmoins. Dénoncer une activité que l’on juge immorale en misant sur le choc des images et l’effet multiplicateur des réseaux sociaux, passe encore. Balancer les noms, prénoms et visages des accusés, sans autre forme de procès, en menaçant de boycott leur employeur, c’est une toute autre paire de manche.

À en croire de nombreux commentaires glanés ci et là sur Facebook ou Twitter, ce n’était pas assez. Il aurait fallu balancer l’adresse du couple, les rendre inemployables à vie. On se sent presque obligé de rappeler que le couple n’a rien commis d’illégal. Je vous épargne les insultes et les menaces de mort. À supposer que les militants désapprouvent ces comportements, ce qu’ils n’ont signalé à aucun moment, ils trouvent en tout cas tout à fait normal de s’attaquer à la vie privée d’individus, en déchaînant les foules contre eux.

Chasser les espèces en voie de disparition… pour les préserver (si, si)

Martine et Jacques A. ne sont pas les seules victimes de cette inquisition médiatique : c’est la nuance qu’on tue. Les réseaux sociaux privilégient la contagion émotionnelle sur la réflexion personnelle. Chacun, après avoir gueulé en meute son indignation, retourne à ses occupations, avec l’impression du devoir accompli. Pourtant, nos enjeux moraux méritent mieux que cette surenchère de colère auto-satisfaite.

Une fois passé le dégoût compréhensible que peut nous inspirer la vue de cadavres d’animaux tués pour le sport, est-il possible de trouver quelque mérite dans la chasse aux trophées ? La réponse est bizarrement contre-intuitive. Selon l’association 30 Millions d’Amis, les amateurs de safari-chasse sont d’autant plus coupables qu’ils s’en prennent à des animaux en voie de disparition. Pourtant, plusieurs biologistes et écologistes en font précisément un argument en faveur de la chasse aux trophées.

C’est le cas notamment d’Amy Dickman, biologiste d’Oxford, végétarienne « amoureuse des animaux », qui gère un projet de préservation des carnivores en Tanzanie. :

"Les gens peuvent trouver très étrange qu’il y ait un aspect positif à la chasse aux espèces menacées –après tout, n’est-il pas certain que toute mortalité additionnelle accumulée sur une espèce en déclin doit être incontestablement une mauvaise chose?La réalité est plus compliquée. Bien sûr, si la chasse au trophée est la raison principale du déclin de la population de lions d'une région, son arrêt est tout à fait justifié et souhaitable.Cependant, dans la plupart des endroits, ce n'est pas le cas. Et si la chasse au trophée atténue ces autres menaces - en protégeant l'habitat, en empêchant le braconnage ou en servant de tampon entre les parcs et les populations humaines -, dans l'ensemble, les espèces menacées pourraient s’en trouver mieux loties".

Les lions de Tanzanie ne sont pas les seuls à bénéficier de ce paradoxe. Selon une étude publiée en 2005 dans le Journal of International Wildlife, la légalisation de la chasse au rhinocéros blanc en Afrique du Sud aurait incité les propriétaires privés à réintroduire l'espèce sur leurs terres.En conséquence de quoi, le pays a vu sa population de rhinocéros blancs augmenter de moins de 100 individus à plus de 11 000, même si un nombre limité d’entre eux ont été tués sous forme de trophées.

Les bêtes sauvages comme sources d’ennuis… ou de revenus

Nous autres Européens vivons dans un milieu largement urbanisé, en présence d’une nature inoffensive et domestiquée. Pour nous, les animaux sauvages sont une source d’émerveillement. Nous avons oublié qu’ils pouvaient aussi constituer une source d’ennuis, voire un danger. En Afrique, la situation est différente : les bêtes sauvages peuvent blesser, tuer, manger le bétail ou piétiner les récoltes. Par exemple, il n’est pas rare qu’un village lance une expédition punitive contre un lion.

N’oublions pas que jusqu’au XIXe siècle, le gouvernement français donnait une prime à quiconque tuait un loup. À l’époque, on ne parlait pas de biodiversité. On protégeait le gibier et le bétail, sans faire de sentiment. C’est ainsi qu’en Europe, nous avons quasiment éliminé les ours et les loups gris. C’est seulement depuis peu que nous les protégeons et que nous nous félicitons de leur réapparition.

Par la grâce du safari-chasse, les bêtes sauvages deviennent des sources de revenus, et plus seulement d’ennuis. Les gouvernements et les populations locales ont donc un intérêt sonnant et trébuchant à préserver les espèces en voie de disparition, ainsi que leur habitat naturel. Par exemple, de 2008 à 2011, la chasse aux trophées a généré environ 75 millions de dollars pour l’économie de la Tanzanie.

Bien sûr, ceux que la chasse dégoûte pourront toujours rétorquer que le photo-tourisme présente les mêmes avantages économiques et écologiques sans l’inconvénient de tuer pour le plaisir des espèces en voie de disparition. Malheureusement, comme le fait remarquer Amy Dickman, le photo-tourisme ne peut pas se substituer à la chasse dans les régions plus éloignées et moins attrayantes.

Les animaux aussi chassent !

On peut aussi épingler la partialité du raisonnement :  personne n’oserait appliquer froidement ce type de calcul utilitariste aux humains, même pour faire leur bonheur. Alors, pourquoi l’appliquer aux espèces en voie de disparition, fût-ce pour les préserver ? Le problème, c’est que les détracteurs de la chasse sont les premiers à commettre un deux poids deux mesures en reprochant à l’Homme ce qu’ils excusent au lion: de chasser.

À cela, certains rétorqueront que les animaux ne tuent que pour manger, contrairement aux chasseurs de trophée qui tuent pour le plaisir. Mais c’est faux : le surplus killing est un phénomène répandu et récurrent dans le monde animal. Les prédateurs ne tuent pas seulement pour se nourrir, mais parce qu’ils le peuvent, tout simplement. Le préjugé de la bête-qui-ne-tue-que-pour-manger révèle surtout notre propension à projeter nos sentiments moraux sur un monde animal qui y est superbement indifférent.

On peut évidemment être juste dégoûté par la chasse sans avoir à s’en justifier, et partager avec d’autres ce dégoût. Mais prenons garde alors à ne pas prendre nos dégoûts personnels pour des certitudes morales, et à ne pas nous en servir comme d’un blanc-seing pour nos pires instincts de meute.

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