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Ces étranges déferlement de sexisme dans les déclarations saluant les nominations d’Ursula Van Der Leyen et Christine Lagarde
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"Deux femmes pour sortir de la crise"

Le titre le plus sexiste a été celui du Figaro : "Europe : deux femmes pour sortir de la crise". Le Monde titrait plus justement : "Europe : le compromis franco-allemand"

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : La classe politique se félicite, ce mercredi 9 juillet au motif que ce sont des femmes, des nominations de Christine Lagarde et Ursula Von der Leyen à de hautes fonctions au sein de l'Union Européenne, semblant presque oublier leurs importantes compétences à occuper ces postes. En quoi les réactions à ces nominations nuisent-elles à l'égalité hommes/femmes ?

Eric Deschavanne : M'apprêtant à répondre à votre question, j'ai observé avec amusement que Le Monde et Le Figaro étaient sur ce point à front renversé (ou peut-être pas d'ailleurs). Le titre le plus sexiste a été celui du Figaro : "Europe : deux femmes pour sortir de la crise". Le Monde titrait plus justement : "Europe : le compromis franco-allemand". Un titre devrait délivrer une information significative pour le public, qui réponde à une question que l'on pourrait se poser : ces nominations sont-elles surprenantes ? De quel compromis sont-elles le fruit ? A-t-on choisi les meilleurs ? Ces choix sont-ils bons pour l'avenir de l'Europe ? Le choix journalistique le plus stupide que l'on pouvait concevoir consistait à répondre à la question : les candidats choisis sont-ils des hommes et des femmes ? Présenter Christine Lagarde et Ursula Von Leyen en nous informant qu'il s'agit de deux femmes ne revêt objectivement aucun intérêt. Cela témoigne simplement du sexisme qui prévaut encore dans les esprits, puisque le fait qu'une femme accède à un poste de pouvoir suscite encore de l'étonnement.
On connaît la fameuse citation de Françoise Giroud, à travers laquelle celle-ci entendait définir le critère de reconnaissance d'une société pleinement égalitaire : "La femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente." Je crains qu'elle ne se soit trompée. Sans vouloir être désobligeant envers quiconque, donc sans citer de noms, je crois pouvoir affirmer que ce critère est en vigueur depuis un certain nombre d'années. Pourtant, nous ne sommes pas encore parvenus au stade de l'égalité des conditions entre les hommes et les femmes, au sens que Tocqueville donnait à cette expression : mon égal, c'est celui que je reconnais comme mon semblable. L'égalité ne sera pas à son comble tant que les femmes seront vues avant tout comme des femmes, comme des échantillons représentatifs d'une catégorie naturelle, "les femmes", tandis que l'on considére les hommes comme des personnalités à part entière, des individus dotés de qualités, de compétences et de mérites, mais aussi de tares et de défauts, qui les caractérisent en propre, en tant qu'individus.  La femme sera vraiment l'égale de l'homme quand on cessera de s'étonner qu'une femme puisse accéder à un poste de pouvoir, quand on cessera de s'extasier comme si, ce faisant, elle avait surmonté un handicap congénital quasi-insurmontable.
Les extasiés pourraient objecter que, précisément, ces femmes ont surmonté un lourd handicap, non pas naturel mais social, pour accéder à ces postes. Mais ce n'est justement pas le cas ! C'est tout l'inverse. L'époque que nous vivons s'agissant des rapports hommes/femmes est celle du sexisme positif et de la discrimination positive. "Nos sociétés sont paritaires, l'accès aux postes de responsabilité doit l'être également", a déclaré notre Président après ces nominations, laissant ainsi entendre que la compétence était secondaire par rapport au critère de la parité. Comme chacun sait que cette invocation de la parité vise a compenser la disproportion entre le nombre des hommes et celui des femmes dans "les postes de responsabilité", ce genre de déclaration confirme l'existence d'une discrimination positive et instille le soupçon : le choix des nominations est-il fondé sur le critère de compétence destiné à satisfaire l'intérêt général ou bien vise-t-il à réaliser la parité pour satisfaire le sexisme positif des médias ? Ce soupçon "structurel" d'incompétence ne pèse que sur les femmes, en raison précisément de ce sexisme positif qui pérennise l'inégalité de conditions au lieu de l'éradiquer.

À l'inverse, nul ne met en avant la candidature de Marine Le Pen à la présidence de la République au motif qu'elle serait une femme. Est-ce le symbole, dans ce domaine, d'un progressisme sélectif et excluant ? 

Ce "progressisme" est moins sélectif qu'hypocrite et inconséquent. En effet, s'il était conséquent, Emmanuel Macron devrait déclarer : "Nos sociétés sont paritaires, l'accès à la présidence de la République doit l'être également, raison pour laquelle je ne me représenterais pas afin de laisser la place à une femme." En effet, s'ils avaient été conséquents, les "progressistes" qui disaient en 2007 que ce serait tout de même formidable si une femme accédait à la présidence de la République auraient dû dire la même chose en 2017. L'hypocrisie du sexisme positif s'arrête à Marine Le Pen parce qu'au regard des "progressistes" Marine Le Pen apparaît comme une authentique personnalité politique, dotée d'une autonomie de pensée et d'action qui pourrait, si elle accédait au pouvoir, générer des conséquences que l'on redoute. Les convictions de Marine Le Pen sont donc prises au sérieux, et sont estimées plus importantes que son appartenance au sexe handicapé qu'il faut encourager et promouvoir. C'est du reste un hommage involontaire qui lui est rendu, comme à toutes les véritables femmes de pouvoir, dont la personnalité s'impose d'elle-même, et qu'il ne vient à l'idée de personne de définir par leur appartenance à une catégorie naturelle dont elles ne seraient qu'un échantillon réprésentatif. A Vrai dire, je ne connais personne qui prétende adhérer à l'idéal de parité de manière conséquente. Dès lors que nos convictions sont en jeu, ou dès lors que le critère de compétence apparaît indispensable, la question de savoir si l'on a affaire à un homme ou à une femme,  s'il faut choisir un homme ou une femme, devient totalement secondaire pour tout le monde. Le niveau de responsabilité d'un poste de responsabilité se jauge à l'indifférence que l'on porte au sexe de son détenteur.

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