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Ces 9 idées économiques “mainstream” qui nous mèneront dans le mur en 2022 et même 2027
©Jean-Pierre MULLER / AFP

Habile

Comment être sûr et certain de saboter lamentablement son programme de politique économique, et comment se donner toutes les chances d’échouer dans le redressement du pays après 2022 (je pars du principe qu’avant 2022 c’est déjà foutu…) ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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1ère voie qui ne rime à rien : le discours anxiogène sur la faillite du pays :

Faillite intellectuelle, morale et spirituelle : sans aucun doute. Emile Cioran et Philippe Muray ont écrit sur ces sujets de belles pages, si belles qu’elles sont forcément vraies. Mais faillite financière, non : les pays en faillite se financent à 20% ; leurs dettes ne sont pas recherchées dans le monde entier comme des refuges. En dépit de toutes les bêtises budgétaires que nous accumulons comme à plaisir, la charge de la dette (rapport du stock de dettes aux taux d’intérêt) est historiquement basse, et c’est cela qui compte, plus que l’avis d’une agence de notation. L’analogie avec le budget des ménages n’a pas de sens (les ménages ont rarement le pouvoir de collecter des taxes, et leur horizon de temps est rarement dynastique), mais imaginez un ménage qui pourrait s’endetter à taux fixe à 5 ans à -0,5% : que ferait-il ? il ne multiplierait pas les colloques sur sa faillite imminente, ou sur l’ardente obligation de hausse de ses revenus.  

Certes, notre ex-beau pays va mal. Mais affirmer que nous n’avons qu’une seule option, qui est de réduire la voilure, vite et sans vaseline, et avec une seule alternative qui serait de monter les impôts pour « équilibrer les comptes » (le genre Juppé), c’est tout simplement mensonger, ou cela reviendrait à dire qu’aucun projet public ne peut à l’horizon de 5 ans dépasser une utilité sociale (un rendement) de l’ordre de -0,5%, la facture présente de nos dépassements budgétaires. Je n’ai qu’une confiance limitée dans nos autorités, mais un rendement significativement positif pourrait être atteint par des gens très peu capables dans la recherche médicale, dans l’exploration spatiale, et même dans des programmes sociaux (remises de dettes, impôt négatif, diffusion de la participation, allocation universelle). VGE affirmait que nous devions faire la « politique de nos moyens », ce qui aboutit à resserer toujours plus les liens avec l’Allemagne, jusqu’à l’absurde ; de nos jours, nos élites nous disent qu’il ne faut plus faire de politique du tout, car nos moyens sont nuls et nos talents inférieurs à 0% ; et l’on s’étonne ensuite de la sinistrose.   

Fillon a échoué à cause d’affaires fort opportunément révélées, mais il a échoué aussi car son programme ne parlait qu’à une base limitée de français, avec des gains et des larmes trop concentrés sur quelque uns. Ce n’était pas un vrai programme présidentiel ; on ne s’enthousiasme pas pour un taux de déficit public réduit à 1 ou 2% ; il a trahit sa fibre seguiniste/gaulliste, qui l’aurait incité par exemple à équilibrer son plan de réduction de 500 000 fonctionnaires par un plan généreux de participation dans le secteur privé, et de rachat des rentes dans le secteur public, par exemple. Reproduire le même déséquilibre, en 2022, face à l’agence de communication Macron, c’est aller direct à l’échec, dès le 1er tour. Et, dans le meilleur des scénarios électoraux possibles où ce programme l’emporterait, le quinquennat serait vite repeint en jaune.  

2e orientation indispensable à un avenir bouché : ne surtout pas regarder la réalité en face quant à l’intelligence artificielle, et considérer le revenu de base universel comme un truc de gauchiste :

Lisez les gens qui connaissent vraiment les nouvelles technologies (Brynjolfsson, pas Moncef Mahjoubi, pas Bruno Bonnell), les gens qui ont investis dans de futurs géants et pas dans de pseudo-licornes : ils disent, pour l’essentiel, que les machines qui se profilent ne sont pas comme les anciennes, que le discours rassurant des économistes comme moi (« le progrès technique détruit des emplois ET il en crée d’autres ») ne va plus tenir bien longtemps. C’est un bain de sang sur l’emploi ou du moins sur l’emploi salarié qui va peut-être arriver, parce que même pour un grand nombre de tâches cognitives supérieures les robots vont bientôt faire bien mieux que nous. Il faudrait donc un plan B, surtout pour un pays comme la France qui s’est idéalement placé pour se faire sauvagement disrupter dans de nombreux secteurs. Le « new space » a rapidement éclipsé Ariane, demain Tesla pourrait rapidement laisser Peugeot sur place. Et ce n’est qu’un début. Un revenu de base pour tous se justifierait très bien, comme une dotation de survie, et comme l’occasion de remettre à plat tout notre système d’aides qui est bien trop compliqué. Une allocation universelle qui ne serait pas celle de Benoit Hamon, qui ne s’ajouterait pas au fatras byzantin actuel et qui ne déresponsabiliserait pas trop : plutôt une allocation à la Friedman, éventuellement couplée à un EITC à la française (l’impôt négatif). Mais j’oubliais : tout ira très bien pour le facteur travail en France, car Bruno Lemaire s’en occupe. Dormez tranquilles !  

3e famille de solutions rétrogrades : des discours larmoyants sur les inégalités, mais sans jamais frapper là où ça fait mal (dans les causes modernes de génération des inégalités injustes) :

On déplore la polarisation des revenus, mais sans s’attaquer aux restrictions foncières qui de nos jours dans de nombreuses villes sont la source première d’un apartheid qui sait très bien se déguiser en noble cause (« préservation des paysages et des espaces verts », par exemple) : les prix de l’immobilier vont se calmer sans qu’il soit nécessaire de distribuer plus de permis de construire, comme par magie. On déplore la perte de « pricing power » des salariés par rapport au Grand Kapital, mais sans jamais se poser vraiment la question de l’ouverture de ce dernier (encouragements à un capitalismer populaire, distribution d’actions gratuites au-delà des seuls cadres dirigeants, etc.). On déplore la dispersion des revenus et on multiplie les études à la Piketty, mais sans trop faire le lien politiquement incorrect avec l’immigration (pour ne pas parler de la fragmentation de la famille traditionnelle, sujet totalement tabou dans l’univers intellectuel parisien). Et, s’agissant de l’immigration, on ne propose rien, sauf les extrêmes stériles de l’immigration 0 ou de l’immigration libre totale, sans jamais aborder des pistes innovantes de filtrage par un mélange de quantité (que l’on pourrait débattre au Parlement chaque année, pour donner une consistance à la promesse gouvernementale), et de prix (qu’un marché des droits à immigrer pourrait aider à fixer), ah mais je m’égare, nous allons résoudre nos problèmes sociaux sans jamais intégrer la dimension des plus basses qualifications et des populations dont les taux de chômage sont les plus élevés, comme d’habitude.

4e voie qui a fait ses preuves : injecter à fond, sans rien changer à la gouvernance :

EDF, SNCF, universités sous Pecresse, plan Borloo, banques : dans de nombreux domaines, la République a été bonne fille. Elle verse de l’argent, souvent de l’argent emprunté mais de l’argent. Et puis, rien ne change, car on n’exige pas en retour que les règles soient changées, que les vieux réseaux tombent, que les pratiques de cogestion soient revues, que de bonnes structures d’incitations soient rétablies, que la transparence soit faite pour les clients et pour les contribuables. En bref, l’Etat donne trop souvent dans des puits sans fond ; il arrose un certain nombre de canards boiteux sans contreparties effectives. Il absorbe une grosse dette SNCF sans obtenir que le ferroutage puisse fonctionner. Il parlait de scinder les banques alors que le ménage qu‘il fallait y faire n’avait rien à voir avec des scissions ou des amendes ou une banque publique dite d’investissement ; et une décennie plus tard le secteur reste dysfonctionnel, sous perfusion BCE. Il dépensait à l’époque de Sarkozy pour les universités, mais sans obtenir ni un dépoussiérage des règles syndicales d’avancement, ni un changement de la non-sélection hypocrite à l’entrée, entre autres spécificités que personne ne nous envie. Injecter « du pognon de dingue », oui, c’est parfois très nécessaire, mais pas dans des citadelles, pas sans évaluation, sinon rien ne change et en plus les acteurs arrosés ne disent même pas merci. 

5e solution, tellement ingénieuse que le monde entier reste béat d’admiration : nommer des faucons supplémentaires à la BCE, pour coller encore plus à l’Allemagne :

Affaire en cours, en lien avec tout ce que nous disons dans Atlantico depuis des années, mais chut, l’OAT 10 ans est en territoire négatif, et ce n’est pas DU TOUT de la japonisation au stade terminal, bah non alors, tout va très bien. 

6e voie très sûre pour échouer en détruisant au passage un maximum de valeur : le « protectionnisme intelligent » :

Le protectionnisme n’est JAMAIS intelligent. Créer un impôt sur les vaches, ce n’est pas taxer les vaches : c’est taxer le consommateur, ou l’agriculteur. L’impôt sur les sociétés n’a jamais été payé par une société, nulle part : il est toujours payé par des clients, des salariés et des actionnaires, des gens bien concrets qui auraient pu faire des choses productives avec cet argent. Demain, recréer des tarifs reviendrait à pénaliser nos dernières chaines de production et à frapper les classes moyennes anxieuses, dont les écrans plats viennent de Taiwan, les vêtements du Vietnam (sans substitution locale possible à des prix abordables). En quoi cela redresserait-il l’industrie hexagonale, qui refourgue de plus en plus ses avions, ses champagnes et ses produits cosmétiques aux asiatiques ? En quoi cela renforcerait-il notre pouvoir d’achat et notre liberté de choisir ? 

Le combat à mener ici est, en amont, de mieux préparer les jeunes. Une éducation nationale moins gnangnan, moins soviétique, pour un meilleur positionnement sur les futures chaines de valeur globales ; et c’est loin d’être gagné quand on voit le surinvestissement éducatif des chinois. Les firmes qui gagneront demain seront perfectionnistes à l’extrême, leur recrutement ressemblera plus à celui des forces spéciales qu’à celui des gros bataillons. Il y a aussi un secouage de cocotier qui s’imposerait vis à vis de la BCE, afin qu’elle n’oublie pas les taux de changes dans son « analyse » : on peut faire tous les efforts de « compétitivité » que l’on veut, avec un euro à 1,6 dollars comme en 2008, ça ne sert pratiquement à rien. Encore aujourd’hui, à 1,14, l’euro est trop cher (la meilleure preuve étant qu’on ne converge pas du tout vers la cible d’inflation de la BCE à 2%/an). Mais croire qu’il y a de l’avenir dans la taxation des produits étrangers (un blocus que l’on s’impose à nous-mêmes !) ou dans l’universalisation forcée de normes environnementales germanopratines que nous ne respectons même pas,… non.   

Mais l’efficacité politique, me direz-vous ? On verra, en 2020 aux USA, mais mon petit doigt me dit que soit Trump reculera dans ses menaces protectionnistes d’ici là, soit il finira par le payer sur le terrain politique (via le marché des actions, ou via les représailles) ; il a déjà un peu reculé sur le Mexique. A noter que la FED est là pour l’aider, qui vient d’affirmer contre toute logique qu’elle pouvait lisser ce choc d’offre négatif via une stimulation de la demande agrégée (baisse des taux d’intérêt) !! Mais la France n’a pas une banque centrale à sa disposition pour faire la calinothérapie des marchés, et elle est bien plus ouverte que les USA : son protectionnisme serait lourdement sanctionné, avec pour seule contrepartie des gains microscopiques pour nos finances publiques. Après une courte euphorie cocardière, l’électeur-consommateur français subirait une gueule de bois assez mémorable.

7e axe bien documenté pour un échec pathétique : le jeu de bonneteau sur les finances publiques et autres tours de passe-passe :

Depuis 1991 dans ce pays, à droite exactement comme à gauche, la « politique économique » consiste à ne surtout rien faire et même à ne plus rien dire sur la monnaie, et à consacrer toute l’ingéniosité fiscale à une politique prétendument très maline qui n’arrive pas à grand-chose au final, en net : la baisse des charges sociales compensée par des hausses de CSG. Sur le papier, c’est malin (et même indispensable, vues les hausses du SMIC et la façon dont nos énarques culpabilisent sur le coût du travail peu qualifié). Dans la réalité, beaucoup de bruit pour rien. Les sommes en question sont transférées, pas vraiment investies. Toute la démarche est défensive, comptable ; tout change pour que rien ne change. Et, pendant que nos inspecteurs des finances organisent des flux dans tous les sens, on ne se pose pas les bonnes questions : le périmètre de l’Etat, la productivité dans les services publics c’est-à-dire au fond les incitations, l’évaluation. 

Macron va encore plus loin que ses prédécesseurs dans cette impasse, le fanfaronnage en plus. Le budgétarisme hydrolique est à la fête ; la croisière de la tuyauterie s’amuse. Le Prince fait joujou avec des acronymes, des prébendes, des mécanismes. Dernièrement, il a procédé de cette façon avec l’indemnisation du chômage, en attendant de faire de même pour les retraites. Le gel et le rabot financent de nouvelles dépenses ; en net, rien ne change. A noter bien entendu que ceux qui subissent les mesquineries budgétaires ne sont pas ceux qui devraient les subir ; les rentiers de l’administration n’ont rien à craindre, toute la flexibilité repose sur les jeunes, les contrats précaires, les agents exposés au public, etc. Sécurité aux journalistes de France 2, travail pour les pigistes, ce genre là, un peu partout, et vous obtenez une société solidement hypocrite. 

8e voie désastreuse : la concentration de tous les « pouvoirs » à l’Elysée :

Des guillements pour pouvoirs, car bien entendu le locataire de l’Elysée se retrouve vite très seul au milieu de ses courtisans, coupé des réalités, en plus d’être privé de tout vrai pouvoir régalien en économie (puisque l’arme monétaire est à Francfort) : il va donc nommer plein de gens à plein de postes, et faire de nombreux discours magnifiques de Versailles jusqu’aux Invalides en passant par TF1, Strasbourg et France-Info, mais sa prise sur le réel se limitera à bien peu de choses. Notre soleil Elyséen fonctionne comme un extincteur. En faisant tout remonter vers lui, en parlant pendant 4 heures sur tous les sujets, Toutanmacron prépare son échec ; il devrait organiser les délégations plutôt que les oraisons et les ovations.

Que faire après 2022, une fois Narcisse tombé à l’eau ? Une voie constructive consisterait à ne plus trop infantiliser les parlementaires (historiquement en charge du contrôle des finances publiques), les collectivités locales (dont les finances sont honteusement primitive), et l’ensemble des français d’ailleurs. Ne pas attaquer le Sénat, en dépit de ses défauts et de son coût démentiel, car c’est souvent le dernier contre-pouvoir face à une Assemblée de godillots. Ensuite, nettoyer les comités Théodule, par le vide. A quoi peut bien servir par exemple un conseil de la « compétitivité » peuplé d’une douzaine de gens qui pensent à peu près la même chose ? Enfin, une petite réflexion sur une presse un peu moins oligarchique ne serait pas inutile, mais bien entendu je rêve.   

9e voie pleine d’allure, la concurrence victimaire : des quotas, partout :

Au diable la société patriarcale capitaliste transphobe : progressons vers une France pas hypocrite du tout et nullement soumise aux pires influences américaines avec des décennies de retard ; une France organisée par les gens de Sciences-po à la façon des nouvelles règles de sélection à l’entrée de… Sciences-po Paris. Pour les femmes, les jeunes de banlieue, les minorités sexuelles et ethniques : car il n’est manifestement pas question de trouver un moyen plus juste, moins pérenne et plus pacificateur d’améliorer leur sort. Des quotas, et aussi quelques procès. 

Voilà, plein de solutions dispendieuses sans objectifs clairs, une gouvernance de république bananière, de la force avec les faibles et de la faiblesse avec les forts, aucune anticipation, la monnaie toujours externalisée (et confiée à des satrapes jamais remis en cause), et pourquoi pas une nouvelle commission Attali : un positionnement parfait pour échouer en 2022, et de bonnes bases pour faire échouer le pays jusqu’en 2027.  

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