Jacques Chirac, l’homme qui ne comprenait plus les jeunes mais qui est devenu une de leurs références<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Jacques Chirac,  l’homme qui ne comprenait plus les jeunes mais qui est devenu une de leurs références
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Simon Laplace publie "Jacques Chirac, une histoire française" (Editions Nouvelles Sources – Geste éditions), une biographie de l'homme politique français, depuis ses études jusqu'à sa retraite. Son parcours politique est mis en lumière avec son lot d'échecs, de succès, de trahisons et de scandales. Extrait 2/2.

Simon Laplace

Simon Laplace

Simon Laplace est né en 1987 à Niort, ville où il va grandir et cultiver son intérêt pour le patrimoine.
Diplômé de Sciences Po Bordeaux et de l’ESCP, ce haut-fonctionnaire passionné d’Histoire est, depuis avril 2014, Conseiller municipal délégué au Patrimoine historique.

 

Voir la bio »

Alors que son histoire devient celle, universelle, de tout homme au soir de sa vie, Jacques Chirac fait l’objet d’un net regain de popularité. Au-delà de l’aspect simplement politique de son destin, sa personne même devient une icône hipster, barrant les t-shirts de la jeune génération. Un Tumblr, Fuck Yeah Jacques Chirac, lui est consacré à partir de 2011, alternant photos représentatives d’une esthétique 70’s-80’s soignée et interventions décalées. Jacques Chirac se fait malgré lui, avec son allure féline et décontractée, ses cheveux gominés et ses lunettes d’écailles, une incarnation du « swag ». On peut du reste noter que cette tendance se nourrit autant de la sympathie et de la stature bienveillante dégagées par le personnage que d’une indéniable nostalgie française pour une époque de liberté. Dernier avatar de la popularité de Jacques Chirac, un sondage paru en octobre 2018, pour les soixante ans de la Ve République, en faisait le deuxième président le plus apprécié de l’histoire du régime, derrière le général de Gaulle.

Comment expliquer la popularité retrouvée de celui qui fut un président en exercice si décrié ? D’aucuns avancent, à raison, la personnalité chaleureuse de Jacques Chirac et sa profonde proximité avec celle des Français – un mélange d’élégance et de gauloiserie, d’humanisme et de chauvinisme, d’ardeur et de réflexion, de filouterie et de générosité, alternant entre l’étoffe d’un héros et celle d’un loser magnifique. Par son parcours de Rastignac à mi-chemin entre Paris et la province, comme par ses valeurs, empruntant à la gauche comme à la droite, Chirac fait singulièrement écho à la formule employée jadis par Jean d’Ormesson pour qualifier Georges Pompidou : « le plus exceptionnel de tous les Français moyens ». 

Sans doute Chirac avait-il entendu en juin 1969 les mots du même Pompidou, son modèle en politique, celui auprès duquel il aura appris l’exercice du pouvoir : « Que mon nom soit mentionné [dans les manuels d’histoire] ou ne le soit pas n’est pas très important. Ce qui compte, c’est que mon mandat soit pour la France une période de sécurité et de rénovation, de labeur et de dignité ». 

Le bilan des années de pouvoir de Jacques Chirac est assurément ambivalent. La postérité retiendra probablement son action sur la scène internationale, où il a su porter haut la voix de la France et adapter la vision gaullienne aux enjeux du xxie siècle naissant – la modernisation de l’armée française, sa promotion du multilatéralisme ou sa position forte lors de la crise irakienne sont là pour en témoigner. À l’intérieur de nos frontières, l’inventaire est plus contrasté. Ses deux mandats auront connu d’indéniables avancées économiques, techniques et sociétales ; ils sont également marqués par la trace des affaires et par la timidité des réformes engagées pour rénover un modèle social français à bout de souffle ou assainir les finances publiques. Dans ce domaine, s’il serait excessif de parler de page blanche, les résultats apparaissent relativement modestes au regard des moyens d’action dont il a pu disposer à l’Élysée – notamment au lendemain de l’élection triomphale de 2002. Prudence ou immobilisme, ils traduisent, en définitive, l’obsession protectrice de Jacques Chirac vis-à-vis de la société française : garant soucieux de l’unité nationale, le Président se sera fixé pour règle d’or de ne pas fragiliser une cohésion sociale déjà mise à rude épreuve par la crise économique, la mondialisation et les mutations culturelles de la société française. D’où la coloration centriste que prendra la politique présidentielle, empruntant au gaullisme social ou au radical-socialisme pour poser des jalons réformateurs. Ce faisant, Jacques Chirac ne transformera certes pas l’État, pourtant malade, en profondeur ; il ne clivera jamais non plus le peuple français, à l’inverse de ses successeurs directs – une présidence pacifique qui est aussi, probablement, à mettre à son crédit. 

L’ancien président trouve également, a posteriori, sa place dans la chaîne des temps. Emmanuel Macron l’avait relevé, dans une publication de 2015 : la France est une nation qui, tout en ayant guillotiné son roi, en est restée nostalgique, cherchant inconsciemment dans ses chefs une figure monarchique autant que tribunicienne. Les vertus qu’elle attend d’eux sont ainsi celles des grands noms de son histoire : l’esprit de conquête de Bonaparte et l’esprit de justice de Saint-Louis, la grandeur louis-quatorzienne… Quid alors de Chirac, volontiers qualifié de « roi fainéant » par ses détracteurs ? Les premières années de sa carrière, entamée sabre au clair et menée tambour battant jusqu’à l’Élysée, de coups de gueule en remontées fantastiques, sont pleines de la fougue et de l’appétit que les Français aiment à retrouver dans les grands destins politiques. Quant aux années de sa présidence, mûri et assagi, Jacques Chirac s’y fera volontiers le gardien d’une certaine conception de la justice sociale et de l’équité entre les nations. Imperceptiblement le pont d’Arcole et le chêne de Saint-Louis, en quelque sorte. Plus fondamentalement, on retrouve chez Chirac la chaleureuse bonhomie associée à Henri IV, souverain aux manières simples mais dignes, inlassablement attaché à l’unité entre les Français et à la notion de juste équilibre. 

À chacun, en définitive, de se faire son opinion d’une présidence qui ne sera probablement ni parmi les plus héroïques ni parmi les plus médiocres de l’histoire de notre pays. Laissons le dernier mot à Jacques Chirac lui-même : « seuls comptent, finalement, ce que l’on est dans sa vérité et ce que l’on peut faire pour la France ».

Extrait du livre de Simon Laplace, "Jacques Chirac, une histoire française", publié aux éditions Nouvelles Sources – Geste éditions.

Lien direct vers la boutique Amazon : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !