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Pourquoi les Francs-maçons ne sont certainement pas les héritiers des constructeurs de cathédrale qu’ils disent être
©JOEL SAGET / AFP

Science fiction

Depuis l'incendie de Notre-Dame de Paris, représentants et membres de la franc-maçonnerie n'ont eu de cesse de se réclamer des "bâtisseurs de cathédrale".

Natalia Trouiller

Natalia Trouiller

Journaliste essayiste spécialiste des gnoses.

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Atlantico : Cet héritage revendiqué est-il justifié ?

Natalia Trouiller : Absolument pas, et tous les historiens vous le diront. Mais la Franc-maçonnerie a ceci de particulier qu’elle est un objet historique particulièrement difficile à étudier puisqu’elle passe son temps à réécrire sa propre histoire, parce que le réel ne la satisfait pas. Tout au long de son histoire, elle va non seulement s’inventer des origines prestigieuses, mais elle va également continuellement réécrire des épisodes peu glorieux de son existence.

C’est ainsi qu’on voit le Grand Orient célébrer chaque 1er mai en grande pompe les morts de la Commune, alors que si des francs-maçons ont bien été communards, l’obédience de l’époque s’est soigneusement rangée du côté de Thiers et a applaudi au massacre. Idem pour l’esclavage : si le Grand Orient aujourd’hui se targue d’avoir compté Victor Schoelcher dans ses rangs, c’est en oubliant qu’ils ont fait radier le même Schoelcher pour « activités politiques » en 1844. 

Comment s'explique cette fascination des franc-maçons pour les confréries médiévales de tailleurs de pierre ? Est-ce la seule filiation historique dont la franc-maçonnerie se revendique ?

La filiation des bâtisseurs de cathédrales n’est ni la première, ni la seule filiation revendiquée par les francs-maçons, et ce qu’il faut savoir c’est qu’aucune de ces filiations revendiquées n’est vraie historiquement. La vraie filiation, ce sont les tavernes londoniennes où sociabilisaient bourgeois et lords qui venaient s’encanailler. On le sait grâce aux chansonniers de l’époque, comme dans cette chanson des années 1720 : « We make [you mason]for five guineas, the price is but small, and then Lords and Dukes, you your Brother may call, have gloves, a white apron, get drunk and that’s all » (« on te fait maçon pour 5 guinées, c’est peu cher payé, et dès lors tu peux appeler les Lords et Ducs tes frères, tu mets des gants, un tablier blanc, tu t’enivres et voilà tout »).  

Dans les tout premiers rituels, le premier Franc-Maçon est Noé ; très vite il cède la place à Hiram, architecte du temple de Salomon, ce qui donne aux Francs-Maçons une filiation prestigieuse, ancienne et invérifiable. Du temple de Salomon aux cathédrales, il n’y a qu’un pas qui fut vite franchi. Puis en 1723, il y eut un tournant majeur. La mode de la franc-maçonnerie était devenue une véritable fièvre en Europe : tout le monde voulait se faire initier. Trois grades, ce n’était plus assez, et surtout les cathédrales ce n’était plus assez prestigieux : à la cour même on voulait être initié ! On a donc un document, le discours du chevalier de Ramsay, qui dit en substance ceci : nous savons bien que nos origines de bâtisseurs de cathédrales sont une ineptie, à partir de maintenant, nous allons dire que nous sommes les descendants… des Templiers. Plus tard encore, au XIXe siècle, des demi-soldes de l’armée impériale, les frères Bédarride, inventeront une nouvelle origine, celle des prêtres de l’antique Egypte et vivront de la vente de grades maçonniques – ils en créeront jusqu’à 90.

Pourquoi est-ce que ce genre de mythes fondateurs parfaitement inventés continuent selon vous à prospérer dans ces milieux franc-maçons pourtant notoirement très hostiles aux croyances ?

Je crois que les Francs-Maçons viennent en loge pour rêver. Il y a ceux, assez peu nombreux en fait car les Francs-Maçons connaissent très mal leur propre histoire, qui savent que tout cela est du vent mais qui s’en fichent complètement parce que pour eux l’essentiel n’est pas là : le rituel leur permet, disent-ils, d’ouvrir un espace symbolique où ils peuvent être ce qu’ils disent qu’ils sont. C’est la fonction performative – magique si vous voulez – du rituel qui les intéresse. Et les autres n’ont pas forcément envie de savoir. La question, c’est dans quelle mesure ils se prennent au jeu. Travailler son ego quand on est couvert de babioles en toc et affublé du titre de Sublime Chevalier Elu, j’ai du mal à voir comment cela peut se faire.

Natalia Trouiller est l'auteur de "Sortir ! Manifeste à l'usage des premiers chrétiens"

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