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Chômage historiquement bas mais travailleurs pauvres : le match Royaume-Uni / Allemagne
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Moins de chômeurs mais avec quels emplois ?

Le Royaume-Uni et l'Allemagne rivalisent en termes de plein-emploi : le premier affiche un taux de chômage record (3,9%), au plus bas depuis 1975, tandis que le second réduit le sien de 0,5 point chaque année (3,1% aujourd'hui). Pourtant, il y a environ un travailleur sur huit sous le seuil de pauvreté dans les deux pays. Est-ce le prix à payer pour le plein-emploi ?

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Erwann  Tison

Erwann Tison

Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail et aux questions de formation. Il dirige les études de l’Institut Sapiens depuis décembre 2017.

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Atlantico :  Contrat « zéro heure » au Royaume-Uni, politique de bas salaires en Allemagne : les mesures pour réduire le chômage ne se sont-elles pas faites aux dépends des travailleurs ?

Rémi Bourgeot : La réduction du chômage dépend avant tout du niveau d’activité économique. En Allemagne, la compression salariale, ainsi que l’intégration de l’Europe centrale dans les chaînes de production des groupes allemands ont été les principaux outils de l’accroissement de l’excédent commercial national. Cette demande externe pour la production des entreprises allemandes a été au cœur de la dynamique de croissance depuis le début des années 2000. Cette politique a en particulier permis de résorber le chômage de masse issu de la réunification et l’explosion du système monétaire européen au début des années 1990. Tout au long des années 1990, l’Allemagne avait vu sa position commerciale affaiblie au profit des pays comme l’Italie qui avaient, avec le Royaume-Uni, le plus bénéficié de la dépréciation de leur devise face au Deutschemark. Une fois l’euro mis en place, la politique de compression salariale mis en œuvre à partir des années 2000 a nourri l’expansion de la machine exportatrice allemande, qui a elle-même enrayé le chômage de masse, jusqu’à la situation de quasi plein emploi actuelle. La compression salariale, reposant sur une large catégorie de travailleurs pauvres composés en bonne partie de citoyens issus de l’ex-RDA et d’enfants d’immigrés, n’est pas une recette magique qui assurerait aux pays en question d’atteindre le plein emploi. Les gouvernements allemands y ont eu recours pour développer un modèle déséquilibré sur le plan commercial, aux dépens des partenaires commerciaux du pays, en particulier à l’échelle européenne. Et ce modèle, qui a dans une certaine mesure été étendu au continent, montre aujourd’hui d’importants signes d’essoufflement.

Au Royaume-Uni, la croissance des trois dernières décennies s’est faite sur fond de grande spécialisation sur certains secteurs de service, comme la finance. Dans ce système à deux vitesses, on a effectivement vu se développer à la fois des salaires bien plus élevés que leurs équivalents européens dans les secteurs de service en vogue. A l’opposé, on a observé une compression des salaires dans les zones géographiques reléguées, désindustrialisées, et dans les secteurs faisant appel aux afflux de travailleurs d’Europe centrale et de diverses autres régions dans les services relativement peu qualifiées et en particulier dans les fonctions manuelles. Cette logique a été consacré avec les « zero-hour contracts ». La part des salaires dans l’économie britannique reste bien plus élevée que la moyenne européenne, et on ne peut donc parler dans ce cas d’un modèle dont la croissance reposerait en tant que telle sur les bas salaires. C’est plutôt le contraire. La portion de bas salaires et de précarité est plutôt le symptôme du caractère inégal du modèle de croissance, qui a été un facteur important du vote du Brexit.

Erwann Tison : On remarque que ces pays ont fait un choix de société. Ils ont eu une volonté claire et nette de combattre le chômage coûte que coûte. Ce coûte que coûte a justement été la création de contrats que nous appellerions des contrats précaires. Par exemple en Allemagne il y a eu en 2005 les « ein-euro-job » permettant à n'importe qui de travailler à partir de 1€, chose totalement impensable en France. Mais c'est parce que cela correspond à leur philosophie de mettre tout le monde au travail, l'emploi étant la pierre angulaire de leur société.

C'est un choix que l'on n'a pas fait, nous continuons à glorifier nos amortisseurs sociaux et nous continuons à les mettre en avant en favorisant les emplois bien payés plutôt que des emplois mal payés et tant pis si la conséquence est du chômage.

C'est cependant fataliste de dire que l'on est obligé d’en passer par là pour réduire le chômage, il y a d'autres idées qui existent mais tant que l'on n'a pas trouvé de « meilleures » pistes, la précarité s'impose forcément comme le moyen de réduite le chômage.

Comment expliquer que les deux pays, qui ont des modèles économiques assez différents, partagent une proportion quasiment identique de travailleurs pauvres ? Peut-on pour autant comparer un travailleur pauvre britannique avec un travailleur pauvre allemand ?

Rémi Bourgeot : Les inégalités au Royaume-Uni et la pauvreté en particulier ont une forte dimension géographique, du fait de l’extrême concentration de l’activité économique sur Londres et le Sud-Est du pays dans son ensemble. Bien que Londres concentre aussi une quantité assez importante d’emplois de services mal rémunérés, la pauvreté se concentre en particulier dans les régions désindustrialisées. On ne trouve pas beaucoup de travailleurs pauvres dans les secteurs florissants au Royaume-Uni. Les salaires y sont au contraire particulièrement élevés par rapport à l’équivalent européen. Il ne s’agit donc pas d’un modèle de plein emploi basé sur les bas salaires. Le pays a par ailleurs un problème de productivité plus aigu encore que ses partenaires d’Europe de l’Ouest.

On voit plus généralement en Europe une dichotomie dérangeante entre des économies qui embauchent beaucoup mais sans connaître d’importants gains de productivité, et d’autres dont le problème de productivité est légèrement moins sévère, mais dont le marché de l’emploi favorise l’exclusion de long terme, comme c’est le cas en France. Le danger de cette deuxième tendance reposant sur l’exclusion du marché de l’emploi consiste notamment, en fonction des circonstances, à exclure des catégories entières de travailleurs non plus sur des critères de productivité mais d’âge (jeunes ou séniors) ou autres, ouvrant dès lors une crise de compétence. Cela situe notamment, de façon schématique, la divergence entre la France et le Royaume-Uni sur le plan de la productivité et de l’emploi. Rappelons qu’un modèle économique stable repose à la fois sur des gains de productivité conséquents et une bonne inclusion des forces productives.

En Allemagne, la pauvreté revêt également une dimension géographique (clivage est-ouest), mais on trouve également des catégories de travailleurs pauvres au cœur de ce qui a été présenté comme un miracle économique. De plus, les modèles qui reposent excessivement sur l’abaissement illimité des coûts, en plus de dépendre excessivement des aléas de la demande mondiale, ont finalement tendance à souffrir de retard en ce qui concerne certaines vagues de modernisation technologique.

Erwann Tison : Ce sont effectivement des économies différentes. L'Allemagne possède une économie plus industrialisée que la Grande-Bretagne, il est donc difficile de comparer les deux. Cependant ce que l’on peut comparer c'est la nature même de ces emplois. On se rend compte que la plupart des gens qui ont des emplois « précaires » et qui sont donc des travailleurs pauvres occupant des emplois à faible valeur ajoutée. La plupart de ces lois d’assouplissement du marché du travail ont été développées pour créer des emplois, quitte à en créer qui rapportent peu à l’entreprise et à la société. Le peu de valeur ajoutée que va amener chacun de ces actifs lui sera directement redistribué. C'est un choix de société qui a été fait.

Malgré la divergence des modèles économiques des pays de la zone euro, y a-t-il des solutions propres aux modèles britanniques et allemands applicables dans des pays qui ont un taux de chômage élevé ?

Rémi Bourgeot : On a longtemps tenté d’appliquer un modèle allemand mal connu et fantasmé à l’ensemble des pays européens, en particulier les pays les plus gravement touchés par la crise au sein de la zone euro. Le principal enseignement du modèle allemand des dernières années repose dans le lien entre emploi et activité productive. Le problème dans le cas allemand a consisté à faire reposer cette stratégie de croissance sur les exportations au détriment de ses partenaires européens, de façon démesurée, à une échelle qui dépasse largement les déséquilibres chinois en la matière, et également au détriment des travailleurs pauvres jusque dans les industries les plus performantes.

Il est intéressant de voir au Royaume-Uni, malgé l’incertitude du Brexit, le problème de productivité commencer à s’améliorer peu à peu sous l’effet justement du plein emploi, dans un contexte donc où la croissance des salaires et la relative pénurie de travailleurs qui en résultent tous deux encouragent les entreprises à investir davantage dans la modernisation technologique.

Erwann Tison : Avant de vouloir supprimer le SMIC ou vouloir casser la limitation du temps de travail, ce dont on pourrait peut-être s'inspirer chez nos alliés anglais et allemands, c'est leur vision du dialogue social. Ils ont une vision du dialogue social bien plus décentralisée qu'en France permettant d'avoir des accords d'entreprises « offensifs » et « défensifs » qui permet aux différentes entreprises d'adopter différentes stratégies, notamment salariales en interne, afin de faire face à des phases conjoncturelles qui ne sont pas nécessairement propices à l’activité économique et à la croissance.

Notre modèle social est extrêmement protecteur mais très rigide.

Le fait qu'il soit piloté de manière très centralisé ne permet pas cette adaptation pour les entreprises. Dans le cadre où elles ont des cycles conjoncturels qui soient plus ou moins négatifs pour elles sont obligés de licencier pour adapter leur masse salariale.

Autre point dont on pourrait s'inspirer, c'est ce qui concerne le temps-partiel. Il y a des initiatives en France, notamment ATD Quart Monde ou les territoires zéro-chômeurs visant à développer l'idée de se dire que l'on peut créer des emplois rémunérés par l'entreprise en-dessous du SMIC et l’État compense la part du salaire qui n'est pas versé sous le SMIC. On peut continuer cette logique en l’appliquant à des emplois qui sont très inférieurs à des emplois payés au SMIC en terme de rapport valeur-ajoutée. L'Etat pourrait – plutôt que de verser une allocation-chômage – compenser en versant cet écart directement à l'entreprise.

L'entreprise pourrait ainsi verser 400 ou 500€ par mois à son salarié mais il serait toujours payé 1200 ou 1300 € par mois.  

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