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Et l’adulescence fit son entrée dans le dictionnaire : mais quelles sont les racines de cette complaisance collective dans l’immaturité ?
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Langue française

Le dictionnaire Larousse vient de dévoiler ses 150 nouveaux mots pour l'édition 2019. Parmi cette liste figure le mot "adulescent". Qu'est-ce que ce mot dit de notre jeunesse ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : Larousse vient de rendre public la liste de 150 nouveaux mots que la maison d'édition va ajouter à son célèbre dictionnaire. Parmi eux, on retrouve le mot "adulescent", qui désigne un adulte qui continue à vivre dans l'adolescence. Qu'est-ce que ce mot, selon vous, dit de notre jeunesse ?

Bertrand Vergely : Étrange mot que ce terme d’adulescence. Jusqu’à aujourd’hui, personnellement, je ne le connaissais pas. Et, force est de constater que personne ne s’en sert. Pourtant, il correspond bien à toute une population. Si bien que ce mot que personne n’utilise renvoie à une réalité que nous côtoyons sans cesse. Dit-il quelque chose de notre jeunesse ? Pas vraiment. 

Il est beau d’être jeune. On est dans l’élan de la vie. Or, ici, avons-nous affaire à un tel élan ? Non. Comme le montre le terme adulescent, qui est fabriqué à partir d’une contraction entre adulte et adolescent, un adulescent n’est ni un adulte ni un adolescent, mais une catégorie hybride faite d’adultes qui n’ont sont pas, du fait d’être trop ados pour être adultes, et d’ados qui n’en sont pas non plus, ceux-ci étant trop adultes pour être des ados. 

Avec l’apparition de la société de classes liée à la Révolution industrielle, notre monde a connu la disparition de la société d’ordres qui caractérisait l’Ancien Régime. Puis, avec la société de masses qui caractérise la postmodernité,  il a connu la disparition de la société de classes. Aujourd’hui, il voit apparaître un monde sans âge, qui renvoie à un monde inclassable à la lisère de la société de masses, monde tribal, au-delà de tout ordre, de toute clase et de la masse même des individus. 

Hier, les adolescents et les adultes étaient des âges distincts et la relation adolescent-adulte était structurée par le respect de l’adolescent envers l’adulte et la responsabilité de l’adulte envers l’adolescent. Avec le terme adulescent, les adolescents et les adultes ne forment plus des âges distincts, mais un nouvel âge sans âge dans lequel tous les âges se confondent sans qu’il n’y ait plus ni respect ni responsabilité liant adolescents et adultes. Dans cette confusion, impossible de parler de jeunesse. 

Il existe une loi qui est la loi du temps. Pour que quelque chose reste et vive, il faut que celle-ci passe et meurt. La jeunesse caractérise cette loi. Celle-ci demeure comme jeunesse parce qu’elle passe. Qu’elle se mette à demeurer sans passer ? Ce n’est plus de la jeunesse. C’est de la jeunesse attardée, autrement dit une jeunesse inexistante réduite à sa propre pantomime.  

Un vieux qui fait le jeune n’est pas jeune. Quand on est jeune, on ne fait pas le jeune. Quand on fait le jeune, c’est qu’on ne l’est pas. Ici, avec l’adulescence, on a affaire à un phénomène de ce type. Tout comme un jeune qui s’attarde à être jeune en devenant un vieux qui joue à être jeune, ces vieux ados et ces ados vieillis que sont les adulescents renvoient à un monde sans âge réduit à sa propre pantomime. 

Ce phénomène a des racines économiques. D’une façon générale, aujourd’hui, les études sont longues. Pour tout, il faut une formation d’au moins trois ans. Quand on veut accéder à des postes plus importants, la formation dure cinq ans, sept ans voire plus. La difficulté que les jeunes ont à trouver du travail fait que ceux-ci sont condamnés à demeurer longtemps jeunes. Comme pour trouver du travail il faut avoir une formation, les formations se multiplient. Ce qui rallonge la jeunesse.  La multiplication des contrats à durée déterminée (CDD) n’aide pas à passer du stade de la jeunesse à l’état d’adulte. Latence qui n’est pas pour déplaire aux  pouvoirs publics qui ne sont pas mécontents de voir les jeunes rentrer le plus tard possible sur le marché du travail afin de ne pas grossir les statistiques du chômage. Enfin, la rupture brutale de confort que les jeunes éprouvent quand ils sortent du nid familial explique  leur désir de demeurer longtemps jeunes dans le nid douillet du havre parental. Mettons tous ces phénomènes bout à bout. Le phénomène de l’adulescence s’éclaire. Mais, il y a  autre chose. 

L’heure est aujourd’hui au trans. Témoins le transgenre, le transfrontière, le transculturel, le trans générationnel etc… le tout dans une ambiance d’hybridation et de métissage généralisé. À l’heure où la notion de sexe est remplacée par celle de genre, à l’heure où, sous prétexte de se donner un genre, tous es genres tendent à se confondre, on assiste à une confusion des âges. Tout comme il y a le transgenre, on trouve le trans-âge. L’ouverture à tous les possibles revendiquée par les théoriciens du genre rejoint l’ouverture à tous les âges. SI on aspire à faire disparaître les sexes pour marquer sa supériorité sur la Nature en sommant celle-ci de se conformer au désir humain,  on aspire à faire disparaître les âges afin de marquer sa supériorité sur le temps en sommant celui-ci, non pas simplement de se conformer au désir humain, Mais de disparaître. Michael Jackson en n’étant ni blanc ni noir, ni homme ni femme, ni jeune ni vieux a été et demeure  le symbole du fantasme postmoderne d’abolir toute limite. 

Plus largement, le stéréotype du Tanguy devrait nous pousser à nous moquer de ces jeunes gens incapables de vivre en adulte. Qu'est-ce qui nous en retient ?

La mauvaise conscience. Le phénomène de l’adulescence auquel nous assistons aujourd’hui est le résultat des démissions successives qui ont été les nôtres et qui le sont encore. 

Il y a quelques années, j’ai assisté à un spectacle comique où l’acteur qui se produisait ce soir là est arrivé sur scène, casquette à l’envers, blouson ouvert, une barre de fer à la main, en mimant un jeune prêt à en découdre. Devant le public surpris, il a eu cette réplique : « Quoi ? Vous n’avez jamais vu un jeune ? ». 

Même si on entend dire aujourd’hui combien les jeunes qui arrivent sont bien, sympas, porteurs de valeurs, il n’empêche, la jeunesse est assimilée à la violence et cette violence fait peur.  Qui dit jeune dit Black Block, terrorisme, Jihad en Syrie Cela s’explique. 

Depuis la Révolution Française, sous prétexte de se débarrasser du père tyrannique nous n’avons pas cessé de tuer le père en guillotinant le roi et Dieu avant de mettre à mort le père. Cette mise à mort qui a commencé avec Mai 68 et la révolte contre toute forme d’autorité et de figure paternelle  va s’achever en Juillet prochain avec l’adoption de la PMA pour les couples de femmes et le fait que désormais la loi sera d’accord avec l’idée que, pour faire un enfant et l’élever, le père n’est plus utile. Grace erreur. 

Quand on tue le père, que se passe-t-il ? Le père tyrannique est remplacé par le fils rebelle. Qui est le fils rebelle ? Un tyran bien plus autoritaire que le père tyrannique. Pourquoi ? Par manque de père. 
Les fils ont besoin d’un père. Pour se cadrer et ainsi se désangoisser. Quand le père fait défaut, quand ils n’ont plus de cadres, quand, n’ayant plus de cadres, ils vivent dans l’angoisse, ils n’ont qu’un désir : se venger. Ce qu’ils font en devenant des fils rebelles et en installant un nouveau père tyrannique. 

La fascination de l’extrême gauche pour les tyrans de gauche en est une illustration. Témoins les maoïstes post soixante-huitard qui ont adoré Staline,  Mao, Pol Pot et plus récemment Chavez.  La fasciation de l’islamo-gauchisme pour Daech et la révolution islamiste menée par Al Baghdadi. Enfin, la fascination actuelle pour les saccages de centre ville pratiqués par les Black Blocks et la frange extrême des gilets jaunes, chaque Samedi.  Notre monde qui hurle contre le pouvoir, l’autorité et le père, ne rêve que d’une chose : d’un père autoritaire. On s’en rend compte quand, lors d’un débat il est question de pouvoir, d’autorité et de père. Les hurlements que ces termes considérés comme insupportables provoquent, permettent à ceux qui les poussent  de devenir eux-mêmes des pères tyranniques. 

Face à l’adulescence, on se retient de rire ou de critiquer. Rien d’étonnant à cela : on a mauvaise conscience. Quand on tue le père, en un premier temps on a affaire à la violence des fils rebelles. En un second temps, le père ayant été tué, il n’y a plus rien. Le père disparaissant, la violence conter le père disparait avec lui. Si bien qu’il ne reste plus qu’un monde mou d’adolescents égarés, recroquevillés chez papa-maman. Quand il n’y a plus de père à tuer, que faire ? Puisqu’il n’y a plus de père à tuer, il n’y a plus rien à faire. Le monde de l’adulescence traduit ce monde qui ne sait plus quoi faire. Grandir ? Mûrir ? Arrêter d’être un éternel ado ? À quoi bon ? Devenir un adulte a du sens quand il y a quelque chose à faire mûrir, mais quand il n’y a  rien à faire mûrir ? 

Qu'est-ce que dit cette immaturité tardive du capitalisme ou de l'évolution des moeurs de notre époque ?

Le capitalisme est aujourd’hui marqué par une redéfinition mondiale du pouvoir par l’entremise des  nouvelles technologies. À travers ces deux géants mondiaux que sont la Chine et les Etats-Unis, une nouvelle organisation est en train de se mettre en place. Totalement opposés sur le plan de leurs intérêts commerciaux, Chine et Etats-Unis  sont d’accord sur un point : l’avenir réside dans le fait de créer un monde dans lequel l’homme sera totalement pris en charge par l’Intelligence Artificielle. Grâce à cette Intelligence, dans ce monde, l’homme sera censé pouvoir faire ce qu’il veut. 

Les hommes ont toujours rêvé d’un système tombé du ciel qui les rendrait heureux. Le nouveau pouvoir techno-politique qui est en train de se mettre en place va réaliser ce rêve. Dans ce système où les robots agiront à sa place, les êtres humains seront priés de rester chez eux. Cela éclaire les programmes que l’on a vu surgir lors de la dernière élection présidentielle. Par exemple, le programme de Benoît Hamon : allocation universelle, PMA, dépénalisation du cannabis et légalisation de l’euthanasie. Programme parfaitement en phase avec ce qui se prépare. Dans le monde de demain où tout sera pris en charge par des robots,  les gens seront payés pour ne pas travailler. D’où l’allocation universelle. Afin d’être continuellement heureux, ils auront une sexualité active de type transgenre et fumeront du cannabis comme ils veulent. S’ils sont trop désespérés par cette vie absurde,  on les aidera à se suicider. 

En 1978, Vaclav Havel a vu ce qui allait se produire. Le capitalisme et le communisme vont marcher main dans la main. Tandis que le capitalisme deviendra un consumérisme communiste pour tous, le communisme deviendra un communisme consumériste totalement capitaliste. Dans ce nouveau monde, il n’y aura plus de sexe et plus d’âge. Le monde appartiendra à des ados éternels passant leur temps à jouer avec leurs tablettes et leurs smart phones. 

Le Larousse, qui a introduit le terme d’adulescence,a donc parfaitement compris l’époque qui est la nôtre. L’aduescence préfigure ce que le pouvoir sino-américain qui s’est emparé du monde prévoit pour demain. Un monde sans âge,où vivre aura comme sens le fait d’oublier le temps et la vie en jouant.

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