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Le système des partis britanniques est au bord de l'implosion
©Oli SCARFF / AFP

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli revient sur la défaite des conservateurs et des travaillistes aux élections locales britanniques.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Hughenden, 

Le 5 mai 2019, 

Mon cher ami, 

La température digne d'un début mars m'a fait allumer un feu dans la cheminée de mon bureau. Le bois tout juste sec crépite et je me remémore les pensées de l'hiver dernier. Pouvons-nous dire que nous avons raté un tournant, nous autres conservateurs ? Je savais que ça ne pouvait pas bien tourner et j'ai demandé à mes amis Brexiteers de voter l'accord de Theresa May pour que nous ayons franchi le cap psychologique d'être sorti de l'Union Européenne à la date annoncée. Mes amis Brexiteers n'ont pas voulu voter l'accord négocié entre Oliver Robbins et Michel Barnier. Je comprends très bien leurs motivations. Mais ils n'avaient pas de plan pour faire aboutir un vote au Parlement. Lorsque s'est présentée la meilleure occasion de faire aboutir un vote, l'amendement Brady, qui acceptait tout de l'accord politique sauf le backstop, le Premier ministre n'a pas su en faire un levier de négociation avec Bruxelles.  

Je reste convaincu qu'il aurait été beaucoup plus facile de négocier avec les Européens après un accord même mal ficelé de Brexit. À présent, nous voici prisonniers d'une négociation au terme incertain. Le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon se remet à jouer avec l'idée d'un référendum sur l'indépendance de l'Ecosse. Certes, nos performances économiques sont excellentes mais combien de temps pourrons-nous rester dans cette espèce d'apesanteur? Combien d'occasions laissons-nous passer de signer des accords commerciaux renouvelés avec le reste du monde tant que la situation du Brexit n'est pas réglée? 

Theresa May a rompu toutes ses promesses. Elle avait dit qu'elle préférait une absence d'accord un mauvais accord ; mais actuellement elle se dirige tout droit vers un très mauvais compromis avec le leader du parti travailliste. Notre premier ministre avait promis que nous n'aurions pas de nouvelles élections européennes et nous voilà sur le point de dépenser 100 millions de livres pour leur organisation et pour envoyer à Bruxelles et à Strasbourg des députés britanniques qui ne savent même pas combien de temps ils siégeront. Les sondages promettent, et c'est bien normal, des résultats sévères au Labour et aux Tories. 

Nous en avons déjà eu une bonne idée lors des élections aux conseils locaux (councils) ce jeudi 2 mai. Le Parti a perdu un tiers des sièges qu'il remettait en jeu, soit un bon millier et 37 conseils. Mais le plus étonnant, c'est que le Labour n'a absolument pas profité de la sévère défaite des Tories. Il perd perd une soixantaine de sièges et neuf conseils. Surtout, il ne gagne absolument pas aux endroits où les conservateurs perdent: ce sont les libéraux-démocrates qui ont profité de la déconvenue que subit notre parti, en gagnant 500 conseillers locaux et 11 conseils.

Les sondages pour les élections européennes mettent le Brexit Party, le nouveau parti de Nigel Farage, en tête, aux environs de 25% et les Conservateurs en troisième position, en-dessous de 20%. Là encore, il est intéressant de constater que les conservateurs s'apprêtent à subir une rude défaite - au profit du Brexit Party; tandis que la Labour n'en profite pas vraiment.  

Tout ceci n'empêche pas Theresa May et Jeremy Corbyn de continuer à envisager un pseudo-compromis sur le Brexit, qui consisterait à maintenir durablement le pays dans l'union douanière européenne - les inconvénients de l'accord de Theresa May mais, cette fois, installés durablement. Tout se passe comme si le Premier ministre et le chef de l'opposition ne se rendaient pas compte de combien ils ont perdu le contact avec une partie de l'électorat. Madame May reste persuadée qu'elle va pouvoir faire passer un texte au Parlement avant les élections européennes: soit un accord avec Jeremy Corbyn, soit une sorte de retour à l'amendement Brady. Mais cela ne changera rien , croyez-moi, au résultat des élections européennes. 

Ce que ni notre Premier ministre, ni Boris Johnson, ni Jeremy Corbyn ne veulent comprendre, c'est que l'électorat n'en pêut plus des personnalités politiques qui ne tiennent pas leurs engagements. Et ceci, d'autant plus qu'il existe dans le monde l'exemple d'engagements tenus. Donald Trump ou Matteo Salvini sont peut-être les épouvantails des progressistes mais une partie de leur électorat leur sait gré d'avoir tenu leurs engagements. 

Mon cher ami, je ne sais pas, à vrai dire, à quoi nous devons nous attendre. Jusqu'où notre parti pourra-t-il supporter la tyrannie impuissante de Theresa. J'ai eu longtemps de l'indulgence pour elle; mais je pense qu'elle est devenue éminemment nuisible aux Tories. Que se passera-t-il si le Brexit Party fait une percée durable? Sera-t-il en mesure de gagner des sièges aux prochaines élections générales? Notre système uninominal à un tour peut jouer dans les deux sens: celui de la victoire inattendue de l'outsider comme celui d'un sauvetage in extremis du candidat établi. Que se passerait-il si l'on voyait un parti conservateur réduit, largement, à des Remainers tandis que les électeurs Leavers du parti conservateurs seraient partis vers le Brexit Party? 

Je pense qu'on ne peut pas exclure une implosion du système actuel, avec, situation inédite, pour commencer, un multipartisme incertain: un Labour Party et un Brexit Party relativement forts mais ayant besoin d'une force d'appoint: vraisemblablement le seul accord possible se ferait dans un premier temps entre le Labour, les libéraux-démocrates et le Parti National Ecossais. Cela aurait pour conséquence de faire monter encore le Brexit Party, qui drainerait, littéralement, les voix de l'électorat populaire quittant le Labour et celle de tous les électeurs inquiets de la désintégration du Royaume-Uni. 

Dans le scénario que j'imagine, c'est le parti conservateur qui est réduit à l'insignifiance. Peut-on imaginer que les dirigeants et députés de mon parti aient un sursaut de survie dans les prochaines semaines? Franchement, quand je vois comme il n'a pas été possible de pousser Theresa May vers la sortie en décembre dernier ni de la contraindre à mieux négocier avec Bruxelles après les votes parlementaires du 29 janvier dernier, je me demande si le parti de Benjamin l'Ancien n'appartient pas désormais à l'histoire. Assez naturellement, un nombre significatif de parlementaires et de dirigeants Brexiteers rejoindront le Brexit Party et aideront à le rendre acceptable pour l'establishment. Ce sera, en quelque sorte une revanche posthume éclatante pour Enoch Powell, le grand pourfendeur de l'adhésion à la Communauté Economique Européenne, dans les années 1970.      

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