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Hausse des impôts ou baisse des dépenses publiques : le moins dommageable n’est pas forcément celui que vous espériez
©LUDOVIC MARIN / AFP

Nouvelle recette

Contrairement aux attentes, les hausses de taxes ne sont pas forcément mauvaises pour l'économie. Elles pourraient être un moyen efficace de générer des recettes sans réduire le PIB.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment une politique fiscale n'impacterait-t-elle pas les économies de manière négative ?

Michel Ruimy : La politique fiscale a toujours un impact sur l’économie. Les changements de fiscalité peuvent notamment affecter l’économie via deux principaux canaux : les canaux de l’offre et de la demande.

Concernant l’offre, les effets transitent par des mécanismes d'incitations. Par exemple, suite à une baisse d’impôts, les agents peuvent être incités à travailler davantage (heures supplémentaires défiscalisées), à investir (primes) ou à embaucher (exonérations des cotisations patronales). Avec ce canal d’offre, un changement fiscal n’aura d’impact que s’il modifie substantiellement le comportement des agents.

Concernant la demande, les effets reposent sur le revenu disponible des agents. Une baisse d’impôts, parce qu'elle engendre une hausse du revenu disponible, va conduire à une hausse de la consommation, qui va elle-même engendrer des revenus supplémentaires pour les entreprises, et donc des embauches, de l’investissement, des rentrées fiscales supplémentaires pour l’Etat, etc. C’est le mécanisme keynésien du multiplicateur fiscal.

Comme les réformes fiscales sont un élément central des politiques publiques, il existe encore d’intenses controverses sur leur impact macroéconomique. Par exemple, vaut-il mieux relancer la consommation des ménages ou accorder des baisses de charges aux entreprises pour stimuler l’investissement et les embauches ? Ces questions ne cessent d’être débattue.

Mais, pour répondre plus précisément à votre question, il semble que la taille du pays est un paramètre non négligeable à prendre également en compte. Une étude récente de VoxEU, montre que si les hausses de taxes ont un important effet négatif sur l’activité économique des pays développés, et en particulier sur ceux d’Europe, cette conclusion empirique ne s’applique pas à un échantillon plus large. Dans les pays en développement, un niveau élevé de taxes peut engendrer des rentrées fiscales sans, pour autant observer une baisse du Produit intérieur brut (PIB). Cela est particulièrement vrai pour des pays à faible fourniture de biens publics ou pour des pays dépendant de produits de base.

Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de ces facteurs, il convient également de bien évaluer les effets des politiques fiscales car les erreurs d’appréciation peuvent avoir de très lourdes conséquences. L’exemple de la Grèce est, à cet égard, emblématique. Les organisations internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) ont défendu, à partir de 2010, la nécessité de fortes hausses d’impôts afin de rétablir les finances publiques. Alors que le FMI anticipait que les efforts exigés conduiraient à une baisse du PIB réel d’environ 6% entre 2010 et 2012, le PIB s’est, en réalité, effondré de 17%, et le chômage a atteint 25% au lieu des 15% prévus. Le FMI a reconnu quelques années plus tard son erreur d’appréciation. Il considérait, en effet, que le multiplicateur était de l’ordre de 0,5 - une hausse d’1 point de PIB des prélèvements obligatoires n’entrainait qu’une baisse de 0,5% du PIB - avant d’admettre que le multiplicateur était, en réalité, jusqu'à trois fois supérieur.

Comment peut-on mesurer les effets et impacts d’une politique fiscale, indépendamment du contexte économique ?

Vaste et importante question ! Les erreurs d’appréciation viennent en grande partie de la remise en cause par les économistes libéraux des mécanismes keynésiens qui a conduit au développement de modèles macroéconomiques dans lesquels, quasiment par hypothèse, les hausses d’impôts ne peuvent avoir d’effets récessifs. Paradoxalement, dans les modèles dits « nouveaux keynésiens », les effets de l’impôt ne passent que par les incitations des agents (effet d’offre).

Par ailleurs, les hypothèses sur lesquelles ont été construits ces modèles macroéconomiques ont conduit à la disparition du canal de la demande et l’idée même de multiplicateur. Par exemple, dans ces schémas, les ménages sont supposés consommer, non pas en fonction de leur revenu disponible, mais de leur « revenu permanent » c’est-à-dire de l’estimation de leur revenu à long terme qui intègre les revenus passés, présents et à venir. Il est également supposé que toute baisse d’impôts sans baisse équivalente des dépenses publiques ne peut avoir d’effet sur l’activité car les ménages vont anticiper une hausse future des impôts pour rembourser la dette publique et choisir alors d’épargner plutôt que de consommer ces ressources supplémentaires. C’est l’« équivalence ricardienne ». Pourtant, ces hypothèses théoriques de revenu permanent ou d'équivalence ricardienne ont été très rapidement rejetées par les études empiriques.

En fait, il est difficile d’évaluer correctement les effets agrégés des politiques fiscales pour plusieurs raisons. Tout d’abord, différents facteurs peuvent influencer en même temps l’activité et les recettes fiscales. S’ils ne sont pas isolés, l’évaluation qui est faite n’est pas celle de la fiscalité sur l’activité, mais aussi celle de l’ensemble de ces facteurs. Ensuite, parce que l’activité économique influence les recettes fiscales autant que ces dernières influencent l’activité. Aussi, pour isoler l’effet allant de la fiscalité vers l’activité économique en éliminant l’effet inverse (de l’activité vers la fiscalité), il faut retenir, parmi les principaux changements fiscaux, ceux ayant été pris indépendamment du contexte économique (exogènes) et en mesurer l’impact.

Dernièrement, pour dépasser ces difficultés, l’approche dite « narrative » a été développée. Elle consiste, en utilisant différents documents d’archives - débats parlementaires, rapports d'organisations internationales, articles de journaux, etc. -, à identifier les motivations des politiques fiscales et à ne retenir que les mesures « exogènes » c’est-à-dire prises indépendamment du contexte économique. En procédant de la sorte, plusieurs études, portant sur les Etats-Unis ou sur le Royaume-Uni, sont arrivées à constater des multiplicateurs fiscaux de l’ordre de 2-3 c’est-à-dire que suite à une baisse d’impôt d’1 point de pourcentage du PIB, le PIB augmente de 2 à 3% au bout de 3 ans.

Dans le contexte actuel d’économies ouvertes et interdépendantes, les politiques fiscales expansionnistes peuvent-elles être efficaces ?

Il existe un dilemme des politiques fiscales expansionnistes. Si elles ont des effets positifs sur l’activité à court terme, en particulier sur la consommation, l’investissement et l’emploi, elles conduisent, dans le même temps, à une aggravation des déficits extérieurs. Cet effet sur le solde extérieur d’une politique de relance est connu sous le nom de « déficits jumeaux ».

Dans une économie ouverte, une partie de la demande additionnelle créée par une relance fiscale est adressée à l’extérieur (propension de la population à consommer des produits importés) et se traduit par une dégradation de la compétitivité. C’est ce à quoi la relance de François Mitterrand, en 1981, avait conduit et qui avait nécessité de dévaluer le franc à trois reprises pour rétablir la compétitivité. Une partie des gains de pouvoir d'achat s’était, en effet, reportée sur l’achat de produits allemands et japonais.

Ce danger des politiques de relance avait été anticipé par Keynes lui-même, qui prenait le problème du déficit commercial très au sérieux. Il considérait ainsi qu’une politique d’expansion, bien que désirable, devait être accompagnée par l’introduction d’« un sérieux tarif douanier ». Il s’agissait, selon lui, d’une solution beaucoup moins coûteuse en termes d’emplois qu’une baisse des salaires, alternative défendue, à l’époque pour réduire le chômage et sauver l’industrie britannique.

Peu de temps auparavant, il avait souligné le danger d’« abandonner toute industrie incapable, pour le moment, de survivre » et, pour l’éviter, il avait préconisé de protéger les industries automobiles, du fer et de l’acier. Dans le même temps, il mettait en garde contre le risque d'escalade : si, à l’échelle d'un pays, un tarif douanier peut contribuer à la réduction du chômage, une montée du protectionnisme à l’échelle mondiale conduirait à un jeu à somme négative.

Reste à savoir si Keynes parviendrait à la même recommandation d'instaurer « un sérieux tarif douanier » dans le contexte actuel d’économies hyper mondialisées, où les chaînes de valeur sont beaucoup plus fragmentées, et où les risques d’escalade et de tensions commerciales constituent une menace plus sérieuse pour l’économie mondiale.

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