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Emmanuel Macron, ce nouveau Chirac ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Habile, trop habile

Le Président de la République semble avoir convaincu à la fois François Bayrou et Jean-Michel Blanquer de leur influence politique. Un fait révélateur de sa stratégie avec ses proches interlocuteurs politiques et qui rappelle la tempérance de Jacques Chirac envers le Parti radical.

Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Atlantico : Le Président de la République semble avoir convaincu à la fois François Bayrou et Jean-Michel Blanquer de leur influence politique. En quoi est-ce révélateur de sa stratégie avec ses proches interlocuteurs politiques ? Comment la met-il en place ?

Samuel Pruvot : Plus qu'une stratégie, c'est un comportement, une manière d'être chez Emmanuel Macron. Il est séducteur comme beaucoup d'hommes politiques, mais séducteur au point qu'il est capable de dire à son interlocuteur vraiment ce qu'il a envie d'entendre. Vous pouvez avoir quelqu'un de FO qui passe, ou quelqu'un du Medef, chacun sort du bureau du Président convaincu d'avoir été profondément compris, entendu, comme dans certaines pièces de Molière. Les gens se parlent ensuite et voient que cette stratégie du en même temps n'est pas forcément possible, parce qu'on ne peut pas être d'accord avec tout le monde. On ne peut pas être pour tous à la fois. Cette capacité de séduction qui lui permet de faire croire à son interlocuteur qu'il est le seul est majeure chez lui. Elle ne vient pas absolument de nulle part, parce qu'il a une grande capacité d'attention, de considération et d'empathie.

Il est donc tout à fait normal que même ses proches, qui connaissent les ficelles, même M. Blanquer, M. Le Maire, M. Bayrou, pensent qu'ils ont vraiment son oreille et qu'ils ont une influence déterminante. Plusieurs me l'ont dit avec un peu d'amertume. Et au final, la force d'Emmanuel Macron, c'est qu'il est seul. C'est lui qui décide. Il entend, il écoute, certes, mais à la fin, c'est lui qui prend les décisions. Très peu de personnes, sauf peut-être Brigitte Macron, peuvent se targuer d'avoir son oreille.

Un dernier indice : il s'est toujours reconnu dans des aînés à qui il donnait un crédit et une confiance totale. Eux avaient son oreille. Quand il était jeune homme, c'est Manette, sa grand-mère, qui avait une influence. Il y a eu aussi et il y a toujours Brigitte son épouse. Ses conseils sont déterminants pour lui. En revanche, sorti d'un cercle minuscule, très peu de personnes peuvent avoir accès au Président, et surtout, très peu de personnes peuvent l'influencer. La force d'Emmanuel Macron, c'est qu'il décide toujours tout seul.

Est-ce le signe de sa force ou de sa faiblesse ? Est-ce que cela ne montre pas qu'il ne prend en réalité que peu de décisions fondamentales?

En fin de compte, il fait des choix ! Quand on regarde l'exemple de jeudi soir, tout n'est arbitré certes, car il relance la balle au gouvernement sur certaines choses, mais il a déjà fait un certain nombre d'abritrages : par exemple, sur le RIC, il a choisi qu'il n'y en aurait pas. Il y a bien d'autres exemples. Au final, il a écouté, et il a arbitré tout seul, ce qui pour un Président, n'est pas forcément mauvais. Il est capable de décider.

Ce n'est pas là qu'il faut lui faire des reproches. Ce qui est plus inquiétant, c'est plutôt qu'entre le début du quinquennat et aujourd'hui, ceux qui avaient son oreille et qui étaient son biotope, pour aider à la décision, sont de moins en moins nombreux. Il y a une hémorragie à l'Elysée. Ceux qui sont encore là sentent naturellement qu'ils ont plus de poids, parce que le désert avance. C'est une influence un peu par défaut. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas d'idées. Pour autant, ce n'est pas François Bayrou ou Bruno Le Maire qui vont télécommander Emmanuel Macron.

Est-ce que sa capacité de séduction n'est pas à l'origine de son isolement et est-ce vraiment tenable politiquement ?

Vous avez raison, ce n'est pas vraiment tenable. Pour reprendre l'exemple de la pièce de Molière, cela se passe toujours très bien quand il y a deux interlocuteurs, Emmanuel Macron et un autre. Mais quand deux interlocuteurs ayant rencontré le Président se parlent entre eux d'un sujet ayant fait l'objet d'un litige. Par exemple, si un conseiller est pour le RIC, un autre est contre, chacun estime avoir eu gain de cause. Quand la décision tombe, il y a forcément une désillusion pour une partie de ses proches. Comme mode de gouvernement, cela confine à l'isolement, ou alors, à la recherche d'autres conseillers. Pour l'instant, les conseillers ne sont pas remplacés.

J'ai un exemple de ce problème. J'ai fait un entretien avec François Bayrou et je lui ai demandé pourquoi Emmanuel Macron, alors qu'il est plutôt littéraire, s'entoure de technos. La réponse de François Bayrou est la suivante : on ne peut pas gouverner sans les technos, mais faites-moi confiance, le fond du cœur d'Emmanuel Macron, c'est celui d'un littéraire, il a le sens de l'histoire. Je lui réponds qu'il prend tout de même des décisions de technos, et François Bayrou me dit qu'il lui a parlé de la lutte chez lui entre l'homme qui a le sens de l'histoire et du tragique, et le techno, le serviteur de l'Etat, et il faut que tu sois un homme d'Etat pour marquer ton temps et pas un techno. François Bayrou plaide pour la première version d'Emmanuel Macron. Mais il devait jeudi soir être le premier à être déçu.

En quoi cette manière de faire fait-il de lui un digne continuateur de Jacques Chirac, qui était capable de donner l'illusion de l'influence à ses proches ?

C'est vrai, mais à propos de Jacques Chirac, on a souvent parlé de son dernier mandat comme un mandat de roi fainéant, en étant dur, surtout à cause de l'indécision. Peut-être donnait-il l'impression d'écouter tout le monde mais je pense que Jacques Chirac avait un profil idéologique différent. On a souvent considéré qu'il était un continuateur du radical-socialisme et donc d'une sorte d'éternelle tempérance, un éternel compromis, entre des choses qui semblent à peu près raisonnables. C'est cela le radical-socialisme du point de vue de la décision. Chez Emmanuel Macron, il y a vraiment un aspect monarchique voire autoritaire. Souvenez-vous de la façon dont il a osé traiter l'ancien CEMA, de Villiers, quand il a dit : « ici, c'est moi le chef ». Donc en fin de compte, il fait croire aux gens qu'ils les écoutent mais leur fait aussi bien comprendre qu'il est le dernier à décider.

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