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Grand débat en péril ? Les trois erreurs politiques que semble s'apprêter à commettre Emmanuel Macron
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Gilets jaunes

Stratégie du "eux contre nous", déconnexion de la campagne pour les élections européennes du grand débat et la prétention à incarner le camp de la raison, autant d'erreurs politiques qui risquent de coûter cher au chef de l'Etat.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Macron hausse le ton" titrait le Parisien ce mardi 19 mars: si les événements violents de samedi demandent une réponse forte de la part du gouvernement, la stratégie qui vise à donner de l'ampleur à l'opposition du mouvement des Gilets jaunes et du camp du gouvernement n'est-elle pas dangereuse quand on observe le faible soutien réel dont le Président dispose dans la société ? 

Edouard Husson : En fait, le Président avait trois options après le succès du premier samedi en jaune, le 17 novembre dernier. La première était de laisser monter le mouvement, au risque d’être submergé: ce n’est pas dans son tempérament. La deuxième, celle qu’il a choisie, était l’affrontement; le risque était limité pour lui à court terme car les Gilets Jaunes sont les héritiers de vingt siècles de civilisation des moeurs et ne demandent qu’à être écoutés par, dialoguer avec et respecter un président qui présiderait, un gouvernement qui gouvernerait et un parlement qui serait un lieu de débats féconds. A long terme, cette option est plus dangereuse car, à partir du moment où le mouvement ne s’est pas laissé intimider, les atteintes répétées à l’état de droit commises, sur ordres, par la police et, du fait d’une conscience de classe, par la justice, commencent à se voir, surtout à l’étranger. La troisième option, mais Emmanuel Macron l’a écartée et ne peut plus y revenir vu le fossé qu’il a créé entre lui et la France périphérique, aurait été de profiter de la crise des Gilets Jaunes pour élargir son assise électorale, organiser un authentique Grand Débat, c’est-à-dire piloté par Chantal Jouanno à la tête d’une autorité autonome; éventuellement aller vers un référendum sur un sujet susceptible de rassembler la nation. 
Alors oui, vous avez raison, Emmanuel Macron a décidé de se bunkeriser, à l’abri de ses électeurs de premier tour et de ce qu’il juge être le soutien, indéfectible par nécessité, de la « superclasse », pour reprendre le terme de David Rothkopf.    

S'il parait difficile voire inopportun d'apporter une réponse immédiate aux échanges initiés par le Grand débat, Emmanuel Macron ne prend-il pas un risque en proposant une campagne européenne déconnectée des enjeux nationaux soulevés par le Grand débat ?

Le pouvoir essaie de nous faire croire qu’il livre un combat au nom du progrès et de l’ouverture contre l’obscurantisme, le nationalisme, le fascisme larvé. En fait, nous avons affaire à une forme de lutte des classes, comme il y en a régulièrement dans l’histoire de France. Que voyons-nous depuis deux siècles sinon la volonté de la bourgeoisie du moment de supprimer tous les liens tissés par les générations entre la France d’en haut et la France d’en bas? 1789 est la destruction de la France des solidarités traditionnelles par une bourgeoisie bien décidée à s’émanciper de la monarchie et de l’Eglise pour gouverner seule. 1830 est l’expression du refus, par une partie de la bourgeoisie,de la réconciliation entre classes sociales qu’avaient amené l’Empire et la Restauration. 1848 est au contraire une des révolutions authentiques de notre histoire, faite au nom du suffrage universel et, en partie, du monde ouvrier, sans haine du christianisme. La résistance de classe de la bourgeoisie est si forte que le système politique française ne se stabilise que par un nouveau coup d’Etat bonapartiste. Et, Napoléon III renversé, Monsieur Thiers, le bourreau de la Commune, peut s’écrier: « La question sociale est réglée pour une génération! ». Les guerres mondiales ont été, après 1848, deux nouveaux moments d’émergence de la nation moderne et le gaullisme des années 1960 représente l’apogée  de ce moment. Mais la bourgeoisie a progressivement repris ses droits, poussant Pompidou contre de Gaulle puis mettant en place « l’Europe » à partir de Giscard. 
C’est au moment où arrive au pouvoir un président qui proclame sans ambages qu’il aime la lutte des classes menée au nom de la « superclasse » qu’apparaissent toutes les failles du système. Le mouvement des Gilets Jaunes est un authentique moment révolutionnaire, comme le soulèvement de l’Ouest de la France en 1794, comme 1848, comme 1945; un moment où le peuple en chair et en os se révolte contre toutes les abstractions qui légitiment un pouvoir de classe. Emmanuel Macron n’est donc pas déconnecté de l’enjeu du moment: sans savoir l’analyser, il comprend instinctivement ce qui se passe. Et il se lance dans un combat fanatique pour sauver les intérêts de la « superclasse » en France. Pas sûr que cette dernière ne le trouve pas à un moment singulièrement peu flexible pour sa propre survie. Pas sûr non plus que les classes moyennes supérieures acceptent éternellement de jouer « les idiots utiles » des 1% les plus riches.   

Dans son intervention de lundi soir devant 70 intellectuels, Emmanuel Macron a particulièrement insisté sur la rationalité de son action et de la ligne gouvernementale qu'il tient absolument à maintenir - comme si l'objectif du Grand débat avait été de parvenir au K-O rhétorique de ses adversaires. Ce retour du "je" et de la raison ne risque-t-il pas de lui être préjudiciable ?

Disons qu’il se révèle, discours après discours, comme un idéologue qui ne fera jamais aucune concession au réel. Il a eu un moment de faiblesse, la semaine du 3 décembre 2018, après un samedi de chaos au centre de Paris. Et il a un temps écouté tous les représentants de la « superclasse » qui lui reprochaient d’avoir l’échine peu souple. Le discours du 10 décembre voit Emmanuel Macron lâcher 10 milliards en 10 minutes. Puis, une fois la frayeur passée, le président reprend sa ligne: le discours de voeux du 31 décembre réaffirme l’opposition frontale entre le progressisme mondialiste et la société française, dans toute sa complexité, réduite à une « foule haineuse ». 
Le Grand Débat, avec son enchaînement de monologues macroniens, les huit heures devant les intellectuels, les quatorze heures passées au Salon de l’Agriculture sont la traduction d’une tentative désespérée de maintenir l’idéologie néolibérale contre l’évolution du monde. Phénomène aberrant, au fond très peu politique. La grande question est de savoir, pour continuer à parler en termes de classes, quand les intérêts sociaux actuellement défendus par Emmanuel Macron auront le sentiment qu’avoir un défenseur aussi rigide et fanatique devient contre-productif. 

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