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Les horreurs du pire bloc de la prison de Doha
©KARIM JAAFAR / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Pierre Marongiu publie aux éditions Les Nouveaux Auteurs "InQarcéré". Détenu au Qatar sans procès, pendant plusieurs années, il dévoile la vérité sur son incarcération dans la prison centrale de Doha. Il ne cache rien. Il n'épargne personne. Il nous dépeint son quotidien dans ce dernier étage avant l'enfer, puis l'enfer. Extrait 2/2.

Dans la salle des opérations, Zakki parade, c’est lui qui a tiré les marrons du feu et remplace Abou Azim.

– Ah, le Français! On te transfère, il vaut mieux pour toi que tu ne revoies pas les Sheikhs.

– Quel bloc ?

– Le six ! Celui des punis.

Je grimace. Le bloc 6, c’est le dernier cercle de l’enfer.

C’est le bloc le plus crasseux, le plus délabré, le lieu où sont emprisonnés les drogués les plus agressifs, prêts à tout pour une dose. Un bloc où personne ne dort jamais sous peine d’être dépouillé dans son sommeil de sa moindre possession, un stylo à bille, une brosse à dents, une dent en or.

– Je veux parler à mon ambassade !

C’est à Zakki de grimacer, l’administration carcérale n’aime pas les détenus qui font appel à leur consulat, cela fait toujours du bruit, ce n’est pas bon.

Tu n’es qu’un fouteur de merde ! C’est trop tard maintenant, tu les auras demain.

On me menotte dans le dos, suprême humiliation.

Je ne sais pas si mon instinct a raison de croire que j’ai fait le bon choix, mais ce qui est certain, c’est que je vais passer un sale moment en attendant que la situation s’améliore. On me pousse la tête la première à peine la porte du bloc ouverte, et elle se referme aussitôt. Il n’y a plus de gardiens à l’intérieur du bloc depuis que l’un d’eux s’est fait arracher un œil à coups de tuyauterie par un forcené en état de manque.

Agenouillé au sol, dans la pénombre, je distingue à peine des chaussures trouées qui s’avancent vers moi. On me redresse brusquement, un individu aux cheveux longs dégoulinant de sébum déverrouille les menottes. C’est Mubarak! Le superviseur de ce cloaque, c’est une vieille

connaissance. C’est le matamore violeur d’enfant que j’avais assommé à Mulaq. Il a fondu, il n’est plus qu’une ombre squelettique, je ne sais pas s’il me reconnaît. Une lueur malsaine dans ses yeux m’incline à le croire. Il me regarde, tousse grassement, crache au sol puis s’éloigne dans l’obscurité.

Ça sent le vomi et la pisse ; dans les recoins obscurs, cela grouille d’une vie repoussante, des rats, des cafards ou des vers, je ne veux pas le savoir.

– Eh, Giampiero!

Je reconnais Mahmoud, un Jordanien auquel j’avais acheté des téléphones à Mulaq. Il est lui aussi dans un état déplorable, les yeux injectés de sang, il n’a plus que la peau sur les os – Comment tu vas, bro? Tu as reconnu Mubarak ?

Il est foutu, il crache et il chie du sang.

– Tu n’as pas l’air bien, toi non plus?

– Ah ça, c’est le shabu, du crystal meth quoi!

Il parle de la méthamphétamine, une drogue de synthèse extrêmement addictive. Elle provoque, entre autres, une hypertension artérielle, une tachycardie et une intense stimulation mentale. Pur, le shabu se présente sous une forme solide cristalline qui rappelle du verre pilé. C’est une saleté, à long terme les effets sont des hallucinations, des délires paranoïaques et une violence extrême. Un coup d’œil autour m’indique que tout le bloc est affecté.

– Y a-t-il des lits disponibles? Je connais la réponse, mais je pose la question quand même.

– Tu rigoles, nous sommes 230, avec toi 231, pour 60 lits. Mais on va s’arranger. On a écouté les infos, tu as fait fort encore une fois! Putain, t’es givré, toi! Ils vont finir par te buter. Mais pas ce soir, il y a un ami à toi ici, suis-moi.

Ce bloc devrait être fermé. C’est un ancien bâtiment qui date des années soixante-dix, bâti sans fondations, à même le sable. Il comporte vingt cellules, chacune conçue pour trois personnes. Des cellules étroites, longues de trois mètres pour deux de large.

Extrait du livre de Jean-Pierre Marongiu "InQarcéré", publié aux éditions Les Nouveaux Auteurs.

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