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Quand la croissance allemande s'essouffle à force d’avoir vampirisé celle de ses partenaires
©John MACDOUGALL / AFP

Tant va la cruche à l’eau

Locomotive européenne, l'Allemagne a frôlé la récession lors du deuxième semestre 2018, notamment en raison de la baisse de la demande étrangère, moteur économique du pays.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico :  Dans un contexte de fragilisation de la demande chinoise, et de retour à certaines pratiques protectionnistes, notamment aux Etats-Unis, comment évaluer la "durabilité" du modèle allemand ?

Alexandre Delaigue : Pour être clair, le modèle allemand est à bout de souffle. Même s'il faut voir de quel modèle allemand on parle. Ici, il faut revenir au début des années 2000 et ce qu'est devenu le modèle allemand après le passage à l'euro. L'Allemagne a toujours été un pays qui exportait et qui épargnait beaucoup mais lorsqu'elle exportait énormément, avant, cela avait tendance à faire monter le Deutsche Mark, ce qui exerçait une pression qui limitait la capacité du pays à avoir des excédents commerciaux très importants. Or, à partir du début des années 2000, ce modèle a complètement changé. Premièrement, avec le passage à l'euro, la valeur de l'euro n'était plus déterminée par les exportations allemandes mais par celles de tous les pays de la zone euro, y compris ceux qui ne sont pas particulièrement performants dans ce domaine. Le résultat est que l'Allemagne peut exporter énormément ce qui lui permet de présenter un énorme excédent commercial depuis cette période sans pour autant que cela ne se traduise par une réévaluation de l'euro. Deuxièmement, avec les réformes Schröder, l'Allemagne a exercé une importante pression à la baisse sur les salaires pour rétablir en plus une très forte compétitivité. Si on ajoute à cela le fait que l'Allemagne s'est mise à accumuler dans le même temps des excédents budgétaires, c'est à dire que le gouvernement allemand s'est mis à réduire sa dette (actuellement, l'excédent budgétaire est de 1.7% du PIB), que les entreprises allemandes n'investissent pas, que les ménages épargnent, on comprend que le modèle allemand est un modèle qui est entièrement fondé sur l'exportation. Des exportations dopées par une monnaie sous-évaluée par rapport aux caractéristiques du pays, et par une demande intérieure largement comprimée avec une volonté d'accumuler des excédents pour réduire l'endettement au maximum. Ce modèle a fonctionné, mais il ne faut quand même pas oublier qu'il a eu des conséquences extrêmement lourdes parce qu'il a été à l'origine de la crise de la zone euro. L'Allemagne est arrivée à s'en sortir en imposant une solution à la crise de la zone euro qui passait par l'austérité pour les autres pays. Les mauvais choix qui ont été faits à ce moment-là ont plutôt été payés par les autres. Mais maintenant, c'est l'addition qui commence à arriver. Parce que ce modèle s'est appuyé sur la croissance chinoise qui avait besoin des machines-outils allemandes pour soutenir l'investissement massif à l'intérieur du pays, que les oligarques chinois étaient disposés à acheter des Audi Q7, s'est appuyé également sur les ventes de véhicules aux Etats-Unis, en particulier de moteurs diesel. Mais ce modèle repose sur une demande chinoise qui va s'arrêter avec l'agenda 2025 qui indique que la Chine a la volonté de fabriquer elle-même ses facteurs de production et de faire son rattrapage dans tous les domaines ou l'Allemagne est forte. Et il repose aussi sur la bonne volonté des Etats-Unis pour jouer le rôle de "demande globale" en dernier ressort et cela est également voué à disparaître très rapidement, en particulier si - comme Donald Trump en a l'air très décidé - les Etats-Unis décident de mettre des droits de douane sur les automobiles importées. Dans de telles circonstances, le modèle allemand s'arrête tout simplement de fonctionner. 

Comment faire la part des choses entre ceux qui voient ici un modèle à suivre et ceux qui estiment que ce modèle peut-être qualifié de "cavalier solitaire" ? 

Le modèle allemand a toujours été un modèle qui ne pouvait fonctionner qu'en reposant sur la bonne volonté des autres. Bonne volonté des autres pays de la zone euro qui n'appliquent pas le même modèle, et qui jouent donc le rôle d'absorber les exportations allemandes, mais surtout au niveau international de pays qui étaient disposés à acheter ces exportations et ceux qui étaient disposés à recevoir les excédents de capital allemand qui ont, dans de nombreux pays, ont eu pour effet de former des bulles spéculatives. Pour qu'un pays puisse épargner, il faut que d'autres pays soient prêts à dépenser. Cela ne peut fonctionner qu'en solitaire, on ne peut vivre avec des excédents importants que si des pays sont prêts à accepter des déficits commerciaux. C'est un modèle qui n'a jamais pu être imité, qui ne pouvait être imité, qui était très lié aux spécificités allemandes et chercher à s'en inspirer au moment ou ce modèle trouve ses limites paraît passer complètement à côté du sens de l'histoire. 

Quelles seraient les options possibles pour Berlin pour faire face une situation de stagnation ou de faible croissance du commerce mondial ? Quelles sont les alternatives possibles ? 

Autant il y a des gens d'une grande sophistication qui comprennent très bien la situation en Allemagne, autant, on voit un aveuglement au niveau des politiques et des économistes, selon les gens qui connaissent très bien le pays. Le point aveugle est qu'on part du principe que la croissance ne va pas se poursuivre. L'idée est donc d'accumuler énormément pour partir sur une longue période de stagnation. Cela est quelque chose qui est pratiquement naturel. Il n'est donc pas du tout certains que les Allemands aient même envie de répondre à ce besoin. S'ils en avaient envie, la première chose qu'ils feraient serait de réparer leurs infrastructures publiques qui sont dans un état lamentable au lieu de maintenir des excédents budgétaires dont on se demande bien à quoi ils peuvent servir. 
En théorie, la solution qui serait préconisée par n'importe quel économiste main-stream serait de faire face à la demande extérieure qui diminue par des baisses d'impôts ou des augmentations de dépenses publiques -en particulier dans les infrastructures - pour que la demande interne vienne se substituer à cette demande extérieure en baisse. Ce serait aussi de modifier les institutions du marché du travail en vue de provoquer une augmentation des salaires qui feraient augmenter là aussi la demande intérieure des ménages. Mais, dans les deux cas, c'est quelque chose que l'on ne voit absolument pas arriver. L'augmentation des salaires sera toujours comprimée par un système qui mettra toujours la priorité sur la compétitivité alors que pour les dépenses publiques, elles seront toujours subordonnées à l'exigence d'accumuler des excédents budgétaires et de ne surtout pas se retrouver avec une augmentation de l'endettement public. Les ingrédients sont enracinés dans le modèle allemand pour que le pays se retrouve dans la situation du Japon de la fin des années 90. C'est-à-dire un pays vieillissant avec une économie en stagnation ; et cela de manière durable. Mais ce scénario n'a pas l'air d'inquiéter particulièrement le pays, ce scénario semble être accepté par la population. Il reste possible qu'un changement s'opère sur la base de considérations géopolitiques, notamment concernant le désengagement militaire américain qui pourrait conduire à une hausse des dépenses militaires pour que le pays puisse assurer sa propre défense. 

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