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Salon de l‘agriculture :  la France va-t-elle laisser ses producteurs devenir la victime collatérale de la guerre commerciale américaine contre les excédents allemands ?
©DAMIEN MEYER / AFP

Voiture contre nourriture

Les Américains souhaiteraient que l'Europe intègre dans les négociations commerciales la question de l'agriculture. Une ligne rouge pour la France.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Suite à la remise d'un rapport relatif au secteur automobile, le département du commerce des Etats-Unis aurait conclu que ce secteur relèverait de la sécurité nationale, ouvrant ainsi la voie à la mise en place de tarifs douaniers sur l'importation de véhicules étrangers. Une situation qui concerne l'Allemagne en premier lieu pour le cas européen. En brandissant cette menace, les autorités américaines laissent entendre que les Européens seraient bien avisés d'inclure, dans les négociations commerciales entre Etats-Unis et Europe, la question de l'agriculture, ce qui serait une ligne rouge pour les autorités françaises. Dans quelle mesure l'administration Trump est-elle en train de mettre un "coin" sérieux dans les relations entre Paris et Berlin ? 

Frédéric Farah : Trump dresse l’inventaire des déficits commerciaux américains, et bien évidemment, il y a pour l’administration américaine, une revanche à prendre sur la Politique agricole commune européenne. Les Etats-Unis sont les premiers importateurs de biens agricoles au monde, la France le septième, et l’Allemagne le troisième. 

On peut ajouter que le premier client de l’Union européenne en matière agricole, sont les Etats-Unis, c’est dire combien le dossier est stratégique. Il ne faut pas oublier que les Etats unis sont le second fournisseur de biens agricoles pour l’Ue après le Brésil.

 Pour information,  Les secteurs et services liés à l’agriculture et à l’alimentation fournissent plus de 44 millions d’emplois dans l’UE, y compris un travail régulier à 20 millions de personnes dans le secteur agricole. 

Les Européens ont essayé de calmer le jeu en augmentant leurs importations de soja entre septembre et décembre 2018. Mais l’Europe n’a pas de stratégie dans le fond, car politiquement , c’est une fiction. D’intérêt européen, il n’en existe pas. Trump essaye d’atteindre deux cibles, la puissance industrielle allemande qui aurait beaucoup à perdre dans une guerre commerciale de l’automobile et la force de l’agroalimentaire français.

Pour informations la France exporte pour 62 milliards d’euros de biens agricoles et en importent pour 51 milliards.  L’Allemagne exporte pour 76 milliards de produits agricoles et importent pour 89 milliards, l’Allemagne est déficitaire.
L’Allemagne reste le premier client agricole de la France et cette dernière fait des Etats-Unis, un client de premier plan.

 Il sait bien que les européens partent de manière désordonnée à la bataille.

Pour mémoire, la PAC 2021-2027 fera aussi l’objet de discussions européennes en 2020.

 Par ailleurs, les relations franco-allemandes ne se portent pas à merveille. E Macron et A Merkel sont en position faiblesse. Je gage malheureusement que la France défende plus mal ses intérêts que l’Allemagne. Lorsqu’on observe les développements commerciaux récents, accords avec le Japon, le Canada, négociations avec le Mercosur , le marché commun du cône sud, les citoyens européens n’ont pas énormément de raison de se rassurer.

Quelles seraient les conséquences -notamment en France -de voir l'agriculture intégrée dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis ?  

La question agricole est la question la plus sensible dans le fond, car elle touche non seulement à la question centrale de la souveraineté alimentaire, mais aussi au type d’agriculture que l’on souhaite et la position de notre  balance commerciale, ce n’est pas rien. Le troisième excédent commercial de la France est l’agroalimentaire. 

L’Union européenne est la zone économique la plus ouverte au monde mais là où l’on retrouve les pics tarifaires les plus élevés demeurent l’agriculture. Plus encore, et nous l’avons observé dans les négociations de feu, le traité transatlantique ou encore l’accord avec le Canada ou avec le Mercosur combien nos exploitants agricoles et notre opinion publique étaient sensibles sur l’interdiction des OGM, la défense des AOC, des IGP…

Les agriculteurs sur notre territoire nourrissent déjà le  sentiment d’être délaissés. Ils craignent d’être les sacrifiés des futures négociations si elles doivent s’ouvrir. Le salon de l’agriculture s’ouvre bientôt, ce sera l’occasion même relative d’observer la profession et d’entendre l’expression de certaines de ses attentes.

L’actuel gouvernement n’a rien à gagner de susciter la colère des agriculteurs déjà inquiets, voire en colère. Le gouvernement n’a pas intérêt à nourrir la constitution de nouveaux bataillons de «  gilets jaunes »  

Pourrait-on imaginer une riposte européenne alternative qui permettrait de sauvegarder les intérêts des uns et des autres, tout en répondant aux critiques de l'administration européenne sur la question des excédents commerciaux européens sur les Etats-Unis ? 

Je crois tout simplement à un déficit d’imagination de la part de nos dirigeants européens et de leur enfermement dans une clôture idéologique que Foucault nommait en son temps, le « fondamentalisme de marché ». 

Nos élites européennes sans vouloir céder à des généralités abusives croient aux vertus du marché, à un certain libre échange, et à une célébration de la concurrence. 

Ils n’agissent pas et réagissent, Trump a la main, de Paris à Bruxelles ou Berlin, il y aura des réponses qui vont relever du bricolage, d’une improvisation. Les européens trouveront le moyen de  faire ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire une concurrence sauvage entre eux. Dans le fond, ils vont jouer la carte du libre-échange, vont se réjouir de récupérer des flux de la guerre commerciale sino-américaine. Des fonds régionaux, des compensations seront peut être mobilisés pour rendre la pilule moins amère. Je crains que l’Ue tente de maquiller derrière quelques rodomontades sa défaite, face aux Etats-Unis.

Peu à peu les opinions publiques des Etats membres comprennent combien l’idée de l’Europe qui protège est une fiction terrible. Les orientations économiques  de la construction européenne non seulement fragilisent cet espace institutionnel et le rendent vulnérable  , pire encore , organisent la guerre de tous contre tous. 

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