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Rassemblement contre l'antisémitisme : le bal des apprentis sorciers
©BORIS HORVAT / AFP

Antisémitisme

Selon les organisateurs, le rassemblement contre l'antisémitsme a réuni 20 000 personnes à Paris.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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J’étais hier soir Place de la République. Tel Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme, je me garderai bien de raconter la manifestation. Il y avait sans doute dix-mille personnes. La sonorisation était très mauvaise et donc, de là où je me situais, entouré par une foule compacte et silencieuse, je n’entendais pas grand chose. Il n’y avait pas d’écran ni de slogans préparés au-delà d’une pancarte sur laquelle on peut lire “Grand rassemblement contre l’antisémitisme” au recto et #ça suffit au verso. Le PS organisateur n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut - malgré la gravité du sujet, on ne pouvait s’empêcher de sourire à voir une main jaune “touche pas à mon pote” défraîchie et visiblement ressortie du placard. J’ai lu ensuite dans les compte-rendus que des ministres étaient venus, des chefs de partis. J’ai préféré ne pas savoir cela en direct parce que j’aurais sans doute été agacé par le bal des apprentis-sorciers. 

Je connais plusieurs personnes qui, pour de bonnes raisons, ne se sont pas rendus à la manifestation, craignant la récupération; ou sincèrement choquées que des partis, si laxistes face à l’islamisme et détruisant avec acharnement la République assimilatrice, essaient de s’acheter un brevet de bonne conduite à si bon compte. Je partage le constat mais je pensais justement qu’il ne faut pas laisser la noble cause de la lutte contre l’antisémitisme à la récupération politique. Quelles que fussent les arrière-pensées des organisateurs, il y avait une chose certaine: notre classe politique et notre gouvernement sont, à quelques exceptions près, à ce point dépassés par les événements qu’on pouvait faire le pari que si certains avaient eu de mauvaises intentions en organisant cette manifestation, rien ne se serait passé comme ils avaient prévu. 

Le silence et le recueillement étaient les seules attitudes appropriées. Et il faut espérer que la journée d’hier aura marqué un tournant. En particulier, il faut souhaiter que le président de la République, qui s’était indignement tu, quand il était candidat, devant le meurtre de Sarah Halimi, le 4 avril 2017, aura pu méditer, au cimetière de Quatzenheim, sur le danger qu’il y a à faire des calculs politiques, quelquefois pour se taire, quelquefois pour manipuler l’opinion et finalement se retrouver face à l’atrocité de tombes profanées. Emmanuel Macron n’est que le plus exposé de tous les apprentis-sorciers qui ont pensé dissimuler leur impuissance politique et leur refus de voir le monde tel qu’il est derrière des slogans, la conjuration des spectres des années 1930 et la recherche de bouc-émissaires. 

Espérons, sans nous faire d’illusions, que le président et son gouvernement vont enfin commencer à traiter la crise protéiforme qui ronge le pays. L’antisémitisme est une des manifestations de cette crise. C’est beaucoup plus qu’un symptôme: c’est un révélateur très profond. Aujourd’hui, il n’est pas possible d’enseigner l’histoire de la Shoah dans tous les lycées de France, et cela dure depuis des années. Aujourd’hui, certains de nos concitoyens sont molestés, obligés de déménager, craignent pour leur vie ou celle de leurs proches parce qu’ils sont juifs. Aujourd’hui, il existe à l’extrême-gauche et dans tout un tissu associatif et religieux gangrené par l’islamisme, une haine brutale et mortifère des Juifs et de l’Etat d’Israël, qui dissimule à peine, une détestation plus générale des nations occidentales en général et de la République française en particulier. Naguère - c’était dans la présente décennie, avons-nous oublié? - des terroristes qui étaient des individus que notre République n’avait pas voulu ni su transformer en citoyens ont tué sur notre sol certains de nos compatriotes parce qu’ils étaient juifs. 

Il y a bien eu quelques slogans lancés ici ou là dans le rassemblement d’hier soir, place de la République, par des individus qui, visiblement, n’étaient pas de vieux routiers des manifs. Globalement, le silence l’a emporté, cependant, et c’est mieux ainsi. Nous n’avons plus besoin de mots, nous avons besoin d’actes contre l’antisémitisme. Nous avons besoin que le Président de la République lise, enfin, la Constitution et apprenne à présider, au nom de l’intérêt national, au-dessus des partis. Nous avons besoin d’un gouvernement qui gouverne. Nous avons besoin d’une opposition qui écoute tous nos concitoyens qui souffrent, se rassemble pour porter la longue complainte du peuple de France à l’Assemblée et joue son rôle irremplaçable dans la bonne marche de la démocratie. C’est seulement alors que nous saurons que notre monde politique a tiré la leçon des drames antisémites de ces dernières années. 

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