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Brexit : Theresa May peut-elle encore gouverner après un vote à 2 contre 1 en sa défaveur?
©Tolga AKMEN / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 15 janvier 2019,

Mon cher ami, 

Eh bien, c’est fait. L’accord de Brexit négocié par notre gouvernement avec l’Union Européenne est en mille morceaux. La défaite de notre Premier ministre est sans appel. Les deux tiers du parlement ont voté contre le texte. 118 députés conservateurs ont voté contre Madame May tandis que 198 votaient pour le texte. 250 travaillistes ont voté contre, contre seulement 3. Mais le plus frappant est peut-être le fait que les 10 députés du DUP nord-irlandais et les 35 députés du SNP écossais ont voté contre l’Accord. Le Royaume de Sa Gracieuse Majesté est très désuni. 

Le Royaume désuni

Que peut-il se passer à présent? Jeremy Corbyn a aussitôt demandé un vote de défiance, qui aura lieu demain. La logique politique voudrait que Madame May soit battue. A vrai dire, dans toute autre circonstance, un Premier ministre démissionnerait. Elle devrait démissionner. Ou la Chambre devrait la renverser. Mais il est improbable que ce soit le cas car cela voudrait dire accepter l’inéluctabilité du no deal Brexit. Aucun nouveau gouvernement issu des urnes n’aurait le temps de se mettre en place et de proposer une nouvelle modalité de sortie de l’Union Européenne. Et puis, aucun député conservateur n’a envie d’aller affronter le verdict des urnes dans les circonstances actuelles, qu’il soit Remainer ou Brexiteer. Ce serait une victoire assurée pour Jeremy Corbyn. Et l’establishment ne veut pas de Jeremy Corbyn

Du coup, le Labour, privé d’élections anticipées qu’il pourrait gagner, va-t-il s’obstiner à demander un nouveau référendum? Mais pour poser quelle question: êtes-vous toujours d’accord avec la sortie de l’Union Européenne? Mais il est sûr et certain, mon cher ami, que le peuple britannique répondra encore une fois oui, avec même un score plus sévère encore que la première fois. Theresa a raison de dire qu’un second référendum serait dévastateur pour la classe politique, qui en sortirait totalement discréditée. Les Remainers du parti conservateur jouent les importants et méprisent le peuple; mais au fond d’eux-mêmes ils savent très bien qu’ils déclencheraient une crise de régime en provoquant un second référendum. 

Enterrer le Brexit? 

Du coup, c’est là que l’amendement voté la semaine dernière, qui demande à Madame May de présenter un nouveau plan de Brexit d’ici lundi, prend tout son sens. Il est impossible que le Premier ministre ait quelque chose de nouveau à présenter. Son intention était plutôt de représenter son texte, en espérant qu’il soit cette fois adopté. Mais on n’inverse pas 118 votes de son propre parti en quelques jours. Du coup, les Remainers pensent tenir l’occasion qu’il cherchait: faire voter par le Parlement la prolongation de l’article 50. Et, silencieusement, enterrer le Brexit. Mais il y a un obstacle auquel personne ne pense, du moins en apparence: si la Grande-Bretagne décidait finalement de renoncer au Brexit, il faudrait élire de nouveaux députés européens britanniques et donc une campagne électorale. Eh bien, imaginez-vous ce que cela donnerait si l’on avait une majorité de Brexiteers  élus? Et puis les Remainers n’ont pas pensé au fait qu’un Parlement européen avec un nombre important de députés eurosceptiques de différents pays est peu susceptible de souhaiter le retour d’une Grande-Bretagne devenue europhile par un coup d’Etat inavoué d’une partie de sa classe dirigeante. Quant au personnel de la Commission, si favorable au sabotage du Brexit depuis le début de la négociation, il changera en partie. 

Que reste-t-il alors comme scénario à envisager? Que la Commission et le Conseil Européen deviennent soucieux de leurs intérêts de long terme? Et que pour cela, ils fassent un certain nombre de concessions qu’ils n’ont pas voulu accorder à la timide Theresa? Mais depuis le début de la crise britannique, les Européens continentaux jouent la politique du pire: ils n’ont rien voulu accorder de décisif à David Cameron qui lui eût permis de faire gagner le camp des Remainers! Ils n’ont pas plus voulu faire de concessions quand Theresa May le leur demandait, convaincus que la politique du pire amènerait le retour du Royaume Uni dans l’UE ou un second référendum. Il reste donc pour seule possibilité que le parti conservateur se resaisisse et propose à Bruxelles un autre type d’accord. Par exemple un accord de libre-échange sur le modèle de celui signé par le Canada avec l’Union européenne. Un autre scénario improbable?  Le No Deal Brexit va-t-il s’imposer tel le destin antique à tous ceux qui cherchent absolument à l’éviter? 

Les cartes rebattues

Mon cher ami, nous autres Tories avons toutes les raisons d’être inquiets ce soir. Notre parti est profondément divisé. Je me demande même s’il a encore un quelconque ressort pour rebondir le moment venu. Cependant, ce désastre était tellement annoncé qu’il me semble urgent de penser aux étapes d’après. Après Benjamin qui pleure, Benjamin qui rit: l’Union Européenne fait partie des perdants du vote de ce soir; on peut même se demander si elle n’est pas la première perdante. En outre, quel que soit le scénario qui se déclenche, il apportera du nouveau. Imaginons une nouvelle élection: comment Jeremy Corbyn, le vainqueur probable, pourra-t-il à la fois annoncer la réindustrialisation de la Grande-Bretagne et rester ambigu sur le Brexit, alors que c’est le maintien dans l’UE qui  empêcherait la Grande-Bretagne de redevenir pleinement compétitive? Si nous avions un nouveau référendum - ce qu’à Dieu ne plaise - les Remainers seraient bien en peine d’expliquer comment aucune de leurs prévisions catastrophiques ne s’est réalisée: jamais l’économie britannique ne s’est portée aussi bien, en particulier grâce à la baisse de la livre - à tel point que l’Allemagne commence à redouter une concurrence industrielle  britannique. 

Et puis, peut-être pouvons-nous dire que nous sortons d’une période cauchemardesque au cours de laquelle Calamity Theresa nous aura donné à voir une dramaturgie de l’absurde à côté de laquelle En attendant Godot est une pièce louffoque. De cela aussi nous sommes sortis. 

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli

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