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Prime aux fonctionnaires de Bercy : Gérald Darmanin veut-il transformer les experts-comptables et chefs d'entreprise en gilets jaunes ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Privilèges, vous avez dit privilèges ?

Le ministre de l'Action et des Comptes publics veut accorder une prime de 200 euros par tête à 40 000 fonctionnaires de Bercy. La possible opération coûterait 8 millions d'euros à l'Etat.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Cette prime, qui peut se comprendre par l'augmentation du temps de travail ces derniers mois, ne pose-t-elle pas question dans le contexte actuel de tensions ?

Eric Verhaeghe : Il y a plusieurs niveaux de compréhension de cette prime pour en éclairer le contexte. Le premier niveau est, disons, littéral: la mise en place du prélèvement à la source est effectivement une opération délicate, et le ministre peut considérer que ses fonctionnaires répondent utilement présents au défi qui est lancé. Il veut les récompenser. Un deuxième niveau s'explique par le fait que les mesures décidées par Emmanuel Macron au profit des Gilets Jaunes, après un samedi ultra-violent, n'ont pas concerné les fonctionnaires. Pour ménager la très grande susceptibilité de ceux-ci, il faut donc arrondir les angles et, partout où cela est possible, faire des gestes pour apaiser les tensions et les frustrations. Un troisième niveau tient à la façon dont le prélèvement à la source a été préparé. Les syndicats l'ont souligné: la direction générale des finances publiques n'a pas misé sur la communication interne, et le pilotage s'est révélé très vertical. Dans un climat d'agitation, les fonctionnaires des impôts sont donc devenues une population à risque, et les 200 euros de primes visent aussi à faire oublier les manquements du management public dans cette opération. Mais, vous avez raison, de nombreux salariés du secteur privé sont régulièrement, parfois une fois par an, sommés de mettre en place des révolutions dans les procédures internes, et il ne viendrait à l'esprit d'aucun manager de leur verser une prime aussi égalitaire pour les remercier d'avoir simplement fait leur travail. De ce point de vue, on nourrit bien la perception, dans l'opinion publique, d'un deux poids deux mesures. Surtout que, dans cette opération, la mise en place du prélèvement à la source vise à transférer sur les employeurs privés la charge de la collecte de l'impôt. C'est un comble de récompenser les fonctionnaires qui se débarrassent de leur travail, au lieu de récompenser ceux qui seront chargés de le faire à leur place.  

Cette prime ne contraste-t-elle pas avec la demande du gouvernement aux experts comptables de ne pas augmenter le prix de la fiche de paie ? 

Oui, bien sûr. On retombe sur tous les excès du management public, qui sont aujourd'hui insupportables et qui vaudront tôt ou tard un retour de bâton aux hauts fonctionnaires, et singulièrement à l'élite de Bercy. Ceux-ci sont en effet pleins de morgue lorsqu'il s'agit de demander aux autres, et spécialement aux employeurs privés, de faire des efforts nouveaux pour concourir à des politiques publiques qui ne les concernent pas. Mais ils trouvent, dans le même temps, tout à fait normal de s'appliquer à eux-mêmes des mesures favorables qu'ils critiquent chez les autres. On parle de la fiche de paie, qui ne devait pas être "majorée" par les expert-comptables alors que ceux-ci jouent désormais un rôle décisif dans la collecte de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Mais on pourrait parler de la transparence sur les rémunérations, qui est significative dans les entreprises réglementées, et inexistantes dans le service public. Les fonctionnaires sont pourtant payés avec l'argent des impôts. Pourquoi connaît-on (en principe, il est vrai, mais c'est déjà ça), le salaire d'un Carlos Ghosn ou d'un grand patron, et pourquoi ne sait-on rien du salaire du directeur général des finances publiques, qui emploie tout de même 110.000 fonctionnaires. Ce serait pourtant intéressant de savoir comment coûte ce personnage au contribuable. Mais la même chose peut être dite sur une quantité phénoménale de règles imposées aux entreprises par les grandes administrations, mais dont les grandes administrations s'affranchissent allègrement. 

Ce genre de comportements ne renforcent-ils pas l'idée selon laquelle les hauts-fonctionnaires de Bercy formeraient une aristocratie d'Etat ?

Bien entendu, c'est une aristocratie dominatrice et sûre d'elle-même qui considère comme fondamentale la règle selon laquelle elle doit échapper au sort commun. C'est même sa caractéristique principale, qui se vérifie dans de nombreux domaines, à commencer par celui des rémunérations. Les fonctionnaires de Bercy ont refusé d'entrer, à titre d'exemple, dans là règle commune des rémunérations variables de l'administration et disposent de leur propre système réglementaire pour leurs primes. Mais ils présentent de nombreuses autres particularités. Tout spécialement, la direction de la législation fiscale est chargée d'élaborer les textes fiscaux intégrer aux projets de lois de finances. À ce titre, elle dispose d'une fonction déterminante pour mener les politiques publiques et, si elle ne collabore pas avec le ministre, elle peut le mettre en sérieuse difficulté. L'inspection générale des finances considère qu'elle a un accès privilégié aux postes clés de l'État. L'affronter peut s'avérer extrêmement dangereux. Ce n'est pas un hasard si trois présidents de la Vè République sont issus de ce corps. Tous ces éléments sont porteurs d'une conséquence: les hauts-fonctionnaires de Bercy se considèrent volontiers comme les garants de la continuité républicaine, par-delà les élus et souvent malgré les élus. Pour les Bercyens, les élus sont des incompétents, des hâbleurs, des empêcheurs de tourner en rond, dont il faut mater les volontés d'indépendance ou d'émancipation. Ils donnent du fil à retordre à Emmanuel Macron lui-même lorsqu'il entreprend d'apaiser les Gilets Jaunes. Il n'y aura pas de rééquilibrage des pouvoirs en France sans une remise à plat en profondeur de Bercy. 

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