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 2018 ou l'échec cinglant d’un homme
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Bilan

Qu’on le prenne d’un côté ou d’un autre, le bilan politique de l’année 2018 renvoie d’abord à l’échec d’un homme, Emmanuel Macron, quand 42% des Français lui faisaient toujours confiance en janvier, mais que 18% seulement le soutiennent encore en décembre.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Certes, tous les Chefs de l’État récents, les Chirac, Sarkozy ou Hollande ont connu de telles baisses de leurs cotes de confiance dans leur première année de mandat, ce qui effectivement peut relativiser les choses. Mais on notera que les causes de ces effondrements successifs étaient sans doute différentes. Jacques Chirac, élu rappelons-le contre Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002, se refusa lors de son second mandat à mener la politique de droite qu’attendaient ses électeurs après la phase de cohabitation avec Lionel Jospin, le « raffarinisme » de la première année étant tout sauf gaulliste. Nicolas Sarkozy Sarkozy trahit lui aussi un électorat très à droite qu’il avait séduit avec des formules choc, en pratiquant l’ouverture à gauche comme en excluant certaines questions des réformes prévues. Et François Hollande, engoncé dans sa « normalité », mena une politique fiscale trop à droite qui lui valut – entre autres – le mouvement des « bonnets rouges », et une politique « sociétale » trop à gauche qui conduisit à la Manif pour tous.

On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Emmanuel Macron, mais, d’une part, contrairement à certains de ses prédécesseurs, il a choisi d’engager des réformes, et, d’autre part, celles-ci correspondent assez largement à ses engagements de campagne – en n’oubliant toutefois pas que ces derniers étaient formulés en termes assez subtils, autour du fameux « et en même temps », pour permettre à de nombreux Français de s’y retrouver dans un même flou. D’où vient alors cette dégringolade de 2018 ?

La première explication tient dans l’erreur faite par les Français sur le « remplacement » qu’il était censé incarner et la déception qui en résulta. Après l’élection par défaut de Chirac pour éviter Le Pen, ou de Hollande par lassitude de Sarkozy, l’élection de 2017 a été le moment de l’expression d’une vague de « dégagisme » qui traduisait une hostilité de fond aux hommes politiques en place, auxquels les Français reprochaient de ne pas oser se saisir des problèmes qui les concernaient et de se comporter en oligarques. Ils voulaient « que cela change », et pour cela (re ?) trouver chez le titulaire du pouvoir suprême un dynamisme que n’arrivait pas à incarner François Hollande. Il fallait tout à la fois restaurer une certaine verticalité, ou, au moins, une certaine dignité du pouvoir, tout en renouant le dialogue entre ce pouvoir et les citoyens. Bref il fallait un pouvoir fort au service de la nation.

Emmanuel Macron a su incarner cela, et le faire même avec assez de talent pour que sa cote de popularité résiste plus longtemps que celle de ses prédécesseurs. Favorisant ce relatif « état de grâce », la presse n’avait alors pas de mots assez forts pour nous vanter le jeune chef et son équipe de « premiers de cordée ». Et puis… et puis l’affaire Benalla. Et de manière très surprenante, sur laquelle il faudra un jour se pencher, cette même presse qui, non seulement, laisse passer l’information, mais la crée, l’amplifie, et se retourne contre l’homme qu’elle encensait la veille. Car Emmanuel Macron a ici beaucoup plus été trahi en 2018 par ceux-là même qui avaient contribué à son arrivée au pouvoir en 2017 que mis à bas par ses ennemis politiques.

Viennent alors les erreurs majeures du Chef de l’État et de son entourage en termes de communication de crise, des erreurs qui vont changer, de manière peut-être irrémédiable, la perception qu’avaient les Français de l’homme. Sa confiance en soi devient de l’arrogance, sa hauteur de la suffisance, sa distance du mépris, et cette autorité dont les Français souhaitaient la restauration semble soudain moins légitime.

À partir de là, c’est un château de cartes qui s’écroule, car si le mode de gouvernement d’Emmanuel Macron pouvait être cohérent dans une phase offensive de réformisme, il ne l’était pas dans une phase défensive. Le Président dirige en effet la France avec une équipe réduite de conseillers placés à l’Élysée, jeunes, brillants, mais peu enclins à composer avec ceux qui osent mettre en doute la nécessité de leurs décisions, et la bulle médiatique qui a entouré - et partiellement permis - son arrivée au pouvoir a enfermé l’acteur-né et les siens dans une impression de toute-puissance qui les conduit à accumuler les erreurs. Le système macronien repose essentiellement sur la confiance en un homme, et lorsque celle-ci n’existe plus – et c’est ce qui est apparu avec l’affaire Benalla -, quand la perception qu’ont les Français de la personnalité du Président change, il faut impérativement tenter de restaurer son image. Mais avec quoi ? Le problème est qu’il n’y a rien autour, ni soutiens importants, ni « fusibles » politiques.

Le Premier ministre n’est ainsi que l’exécutant zélé de la politique décidée par le Chef de l’État, quand ses ministres sont pris en étau entre le contrôle des conseillers de l’Élysée et les freins des hauts fonctionnaires. Les élus de La République En Marche ensuite, ce parti qui n’est jamais que le parti du Président, censés exprimer la richesse de la société civile et remplacer des politiques déconnectés des réalités, sont apparus eux aussi comme terriblement éloignés des préoccupations de leurs concitoyens et tenus par une stricte discipline de vote. Dans les deux cas, gouvernement et assemblée, le bon côté de la disparition de certains hiérarques locaux, ces tout - et trop - puissants barons, cette absence voulue de contrepoids à la volonté absolue du titulaire de la fonction présidentielle et de ses affidés, se paye par l’impossibilité de trouver des appuis convaincants… ou de pouvoir désigner d’autres coupables que l’hôte de l’Élysée.

La disparition des corps intermédiaires a elle renforcé l’isolement du pouvoir au risque de le rendre autiste. Certes, Emmanuel Macron n’est pas responsable du discrédit qui a frappé les partis politiques, les syndicats et les collectivités locales – on oubliera les usines à gaz inopérantes comme le CESE -, en grande partie détruits par leurs propres dérives. Il a même bénéficié de ce discrédit, on l’a dit, en surfant en 2017 sur la vague du  « dégagisme ». Mais il s’est bien gardé de tenter de les restaurer, quand c’étaient autant de moyens de prendre le pouls de la société et que leur absence le laissait nu face aux attaques. Quant aux médias, quand bien même se seraient–ils rendus compte qu’ils étaient allés trop loin en déboulonnant la statue du Commandeur que le mal était fait.

Et de fait, il est apparu crûment que, de ces temps nouveaux qu’ils annonçaient début 2018, il ne restait rien à la fin de l’année. Emmanuel Macron allait définir, nous disait-on, un nouveau rapport de forces avec les USA de Donald Trump, le voilà ridiculisé à Washington et à Paris. Il portait un nouveau multilatéralisme international, ses coups de poings rageurs à la tribune de l’ONU n’ont suscité aucun élan. Il allait repenser l’Europe, il se montre seulement servile envers une Allemagne dont la chancelière, en fin de vie politique, le soutient comme la corde le pendu. Il allait redonner un nouvel élan à l’économie française, il se contente de brader les « bijoux de famille » pour continuer d’emprunter, sans vraiment se poser la question des gouffres financiers sans fond. Il allait enfin renouer le dialogue avec ses concitoyens… et c’est le mouvement des « Gilets jaunes ».

Car c’est en effet dans cette société déçue que ressurgit, à la fin de l’année 2018, cette question essentielle du consentement à l’impôt qui va amener des centaines de milliers de Français à manifester à partir de la mi-novembre. Des Français qui, pour beaucoup, travaillent, qui comprennent parfaitement qu’ils doivent nécessairement payer un impôt pour bénéficier des protections sociales (retraite, sécurité sociale…) dont ils veulent le maintien, mais qui estiment que l’impôt est devenu inéquitable dans notre pays. Inéquitable pour ces contribuables pressurés qui ne font partie ni de ceux, sociétés ou individus, qui peuvent échapper à l’impôt par l’évasion et l’optimisation, ni de ceux qui n’en payent pas et bénéficient amplement des aides générées par ces mêmes impôts.

Au-delà, en cette fin d’année 2018, certains Français croient comprendre qu’Emmanuel Macron ne représenterait finalement qu’une nouvelle forme, plus performante que les précédentes en même temps que plus radicale, d’un pouvoir oligarchique qui entend bien continuer de transformer de fond en comble les bases mêmes de nos sociétés, ses bases économiques, institutionnelles ou anthropologiques. Des bouleversements qu’ils perçoivent comme dangereux et auxquels ils entendent bien s’opposer.

Mais comment ? On a évoqué l’atonie des corps intermédiaires. L’année 2018 est aussi celle de l’échec d’une partie de l’opposition politique. Lorsque, après un mois de crise violente, le chef revendiqué d’une partie de l’opposition, Laurent Wauquiez, est considéré dans les sondages comme ayant moins bien géré la crise que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, tout est dit ou presque. Le parti des Républicains, bateau ivre, oscille depuis 2017 – si ce n’est avant - au gré des tensions internes et des pusillanimités de ses chefs. Très logiquement, 2018 aura donc aussi été l’année où le Rassemblement national s’est remis de l’échec de Marine Le Pen aux présidentielles, et où Debout La France de Dupont-Aignan a presque doublé son capital électoral, quand, à gauche, La France Insoumise s’est affirmée à la Chambre comme une des principales forces d’opposition.

Pensant renouer les liens avec la nation lors de son « itinérance mémorielle » destinée à commémorer la fin des combats de la Grande Guerre, Emmanuel Macron, même s’il a alors eu plusieurs confrontations directes avec les citoyens, n’a pas mesuré l’ampleur de la vague qui arrivait. Mélangeant les messages, trop occupé à ne pas vexer l’Allemagne et à utiliser le moment comme une plateforme vers les élections européennes de 2019, avec comme rhétorique simpliste : « le nationalisme c’est la guerre, l’Europe c’est la paix », il a perdu son ultime chance de désamorcer le conflit. Un conflit avec une frange de la population qui, lassée, déçue, s’est affranchie des médiations en engageant une action directe sur le terrain.

Quelles sont donc les leçons politiques de cette année 2018 ? Que pour un pouvoir rien ne peut se faire sans légitimité. On sait que Max Weber en distinguait trois, les légitimités traditionnelle, charismatique, et légale, et il faut constater qu’aucune d’entre elles ne s’applique plus au pouvoir politique en France. La première d’abord, qui traduit un conservatisme certain, ne saurait être invoquée par un pouvoir qui détruit avec rage les fondamentaux et les structures de la société qui lui précédait. La seconde a pu être construite autour de la personnalité d’Emmanuel Macron, mais les limites de l’acteur sont apparues quand son impression de toute-puissance l’a conduit à accumuler les erreurs de communication. Peut-elle être restaurée ? La question est posée pour 2019.

Reste la légitimité légale, mais sur ce point la réponse des « Gilets jaunes » est claire : la loi ne peut selon eux être uniquement faite par les élus, et l’on doit mettre en place parallèlement des procédures de consultation populaire, les référendums, des consultations qui doivent avoir comme source potentielle, parmi d’autres, une demande exprimée parles citoyens. Il ne s’agit pas ici d’en terminer avec la démocratie représentative, mais de tempérer celle-ci par des éléments de démocratie directe, autant pour éviter certaines dérives que pour pouvoir débattre en France de questions qui, sinon, ne sont jamais évoquées par les titulaires du pouvoir. Bref, sa seule légalité n’implique pas, ou plus, aux yeux de nos concitoyens, la légitimité de la norme invoquée par le pouvoir.

On le voit, l’année 2018 nous renvoie ainsi, au-delà de l’anecdotique question de savoir qui est vraiment Emmanuel Macron et pourquoi il choisit de mener telle ou telle politique, ou qui, à droite ou à gauche, aurait vocation à le remplacer, à des interrogations essentielles sur le fondement et le devenir de nos démocraties, des interrogations que nous partageons d’ailleurs avec de nombreux autres peuples, en Europe ou aux USA, et qui pourraient bien avoir des impacts importants, tant sur les politiques à mener que sur la manière de les décider. 2018 année charnière ? Peut-être.

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