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Et maintenant ils l'empêchent d’aller au ski… pourquoi les conseillers d’Emmanuel Macron ne comprennent vraiment rien aux problèmes politiques du président
©LUDOVIC MARIN / AFP

Piste rouge

Des proches du chef de l'Etat ont conseillé à Emmanuel Macron de ne pas se rendre au ski cette année car, en pleine crise des Gilets jaunes, l'image que renverrait un président descendant les pistes ne serait pas bonne.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Le gouvernement a-t-il fait le bon choix selon vous ?

Arnaud Benedetti : Il a manifestement fait le choix de la sobriété, de la discrétion, d’une certaine forme d’humilité dans un contexte politique tendu et incertain. Emmanuel Macron s’efforce de reconstruire un lien avec les Français, après avoir perdu beaucoup de son capital symbolique depuis plusieurs mois. Ce qui faisait sa force iconique et politique, sa jeunesse et sa détermination à réformer, se sont retournés contre lui pour laisser la place à une impression d’immaturité et d’impuissance. Le Président a surinfecté sa politique par une com’ qui se voulait libre, décomplexée, cash. Macron est dans une période de repli communicant pour tenter de recréditer sa réputation. Quand un pays exprime de la colère, du mécontentement, de la tension, le Prince doit adapter son comportement à la situation . Des vacances ostentatoires, l’exhibition même du corps privé du souverain  pourraient abîmer encore plus l’image présidentielle.

Qu'en conclure de l'état de la communication du président ?

La com flamboyante, c’est fini. Le récit du succès, de la maîtrise des agendas, la fiction jupitérienne, le jeune premier de la politique à qui tout réussissait, cela est désormais derrière nous. La macronie donne le sentiment d’être encalminée entre un mouvement, celui des gilets jaunes, qui lui renvoie la réalité de la France fracturée, des sondages en berne et aussi une forme d’isolement sur la scène européenne. La com’ présidentielle ne fera pas de miracles si le Président ne revoit pas plus en profondeur son logiciel politique : sur la question européenne, sur la question sociale, sur la question institutionnelle. Concernant la première , l’UE est perçue à tort ou à raison comme un espace contraignant pour les peuples qui ne protège pas , à tous les niveaux ; au regard de la seconde , la scène primitive du macronisme ( fin de l’ISF , augmentation de la CSG , etc...) n’en finit pas de travailler, de troubler un imaginaire national qui perçoit l’action gouvernementale comme foncièrement injuste ; sur la question institutionnelle , on se rapproche dangereusement d’une zone de rupture où des segments entiers de l’opinion ne se reconnaissent plus dans l’espace politique , dans ses formes de représentation , dans leur rapport à une démocratie qu’ils jugent faussées ... C’est aussi cela que dit , parfois maladroitement , le mouvement des gilets jaunes qui , quelque part , prend à revers la vision politique d’Emmanuel Macron . Ce dernier est confronté à son destin. Il incarne malgré lui la fin d’une histoire. La question qui lui est posée est de savoir s’il sera en capacité de s’élever à la hauteur de celle qui commence !

Donald Trump ou d'autres leader populistes sont souvent très fortunés, cela ne les empêche pas de bénéficier d'un électorat populaire pour autant malgré des activités propres à leur niveau de vie. Comment en France en est-on arrivé à penser que le couple présidentiel qui se rend au ski, "n'est peut-être pas le meilleur message à adresser" ?

Tout simplement parce que les élites ont oublié les classes populaires et moyennes. Et ce, hélas, depuis des décennies. Il arrive un moment où la société présente la facture de la fracture à ses dirigeants. Trump a été élu par les classes populaires et moyennes, Macron a une base sociologique beaucoup plus étroite. Et c’est bien son problème. Il a gagné dans un paysage électoral où les parts du marché étaient fortement " fractalisées". Arrivant en tête au premier tour, confronté au second tour à Marine le Pen, il a raflé la mise. Ce fut un joueur terriblement chanceux, mais la réalité c’est que la sociologie profonde du pays n’adhère pas forcément à son offre politique. Sa com’ réussie des premiers mois et des premiers a constitué un exercice funambulesque au-dessus d’une extraordinaire béance ... D’où la nécessité d’en revenir à un usage du pouvoir empreint de gravité et d’ascétisme ...

Comment Emmanuel Macron et sa communication peuvent-ils corriger le tir et montrer qu'ils comprennent et respectent les Français ?

En cessant de caricaturer et de stigmatiser les français qui souffrent, en cessant de donner le sentiment qu’une élite préempte le pouvoir et l’avenir, en acceptant de douter ... Cela relève d’une modification en profondeur de ce que Bourdieu appelait l’habitus. Il existe un habitus collectif au niveau des technostructures dirigeantes, lesquelles mélangent politiques, haut-fonctionnaires, capitaines d’industries, qui expriment facilement une assurance, une absence de doutes quant à la direction donnée aux affaires. Cette attitude irrite  profondément les classes populaires et moyennes, lesquelles restent, culture politique oblige héritée du mythe révolutionnaire, fortement attachée au sentiment égalitaire. L’erreur serait de croire que le problème de la majorité se réduit à un problème de pédagogie. Le problème est d’abord et exclusivement politique. Avec les gilets jaunes, le Président est confronté sans doute à la première crise de « l’irrésistible ascension » du techno-libéralisme. Pour en sortir, il va falloir qu’Emmanuel Macron se fasse violence...

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